Si
Bernard Kouchner avait été ministre des Affaires étrangères en 2003, la
France aurait sans doute des troupes en Irak en ce moment, tout aussi
embourbées que celles des Etats-Unis. Bernard Kouchner est le chef de la
diplomatie française depuis trois mois, et voilà qu'il nous parle déjà
de "guerre", cette fois avec l'Iran.
Etrangement, c'est la
France qui parle le plus de guerre avec l'Iran ces temps-ci. Nicolas
Sarkozy avait déjà employé un ton martial sur le nucléaire iranien, dans
son discours aux ambassadeurs de France fin août, qui avait fait
sursauter jusqu'au New York Times. Bernard Kouchner est allé un pas plus
loin, hier sur LCI: "il faut se préparer au pire", c'est-à-dire, a-t-il
précisé, "la guerre".
Les bruits de botte
contre l'Iran faisaient également la "une" des journaux britanniques ce
weekend. Mais, aux Etats-Unis, pas de propos similaires ces jours-ci.
Comme si les Américains, qui viennent de passer la semaine à se
demander, sans trouver de réponse, comment ils allaient sortir d'Irak,
laissaient monter au front leurs alliés européens, soudainement devenus
alarmistes et guerriers. Ou pire, comme si Washington avait suscité une
telle campagne de préparation psychologique.
La difficulté des
responsables politiques, en Europe ou aux Etats-Unis, est qu'il est
impossible d'entendre ces appels à la guerre contre l'Iran sans avoir
une petite musique intérieure qui nous rappelle les énormes mensonges
proférés pour justifier l'invasion calamiteuse de l'Irak. Un proche de
Tony Blair révélait la semaine dernière que l'ex-premier ministre
britannique n'avait pas été favorable à la guerre en Irak lors de ses
premiers entretiens avec George Bush. Mais il s'est quand même retrouvé
embarqué dans cette aventure, couvrant les pires mensonges et envoyant
ses troupes en mission impossible. Il faudra faire preuve d'une
formidable persuasion pour convaincre les opinions publiques de la
justesse d'une guerre en Iran, et, désolé Bernard Kouchner, le ton
adopté dimanche sur LCI n'y suffira pas.
Il ne s'agit pas ici de
minimiser le risque iranien. Le régime de Téhéran, sous sa composante
religieuse ou son visage civil incarné par Mahmoud Ahmadinejab, défie
ouvertement les Nations Unies, à la fois sur son programme nucléaire ou
sur ses appels à la destruction d'Israël, Etat-membre de l'ONU. Son
système interne ne le rend pas particulièrement sympathique non plus.
Mais la complexité de la situation interne en Iran rend toutefois
difficile de répondre à ce défi en disant "la guerre", comme si cela
allait de soit, comme si c'était la seule approche possible. Le
précédent irakien est là pour montrer que même en s'en tenant à
l'objectif du renversement d'une dictature que soutenait M. Kouchner en
2003, on voit bien que l'intervention d'armées étrangères n'est pas la
panacée et peut déboucher sur un désastre humanitaire, politique et
stratégique sans équivalent dans l'histoire récente.
Le durcissement de la
position française sur l'Iran est d'autant plus suspect qu'il s'inscrit
dans une démarche de séduction vis à vis de Washington. Cela ne poserait
pas de problème si cela ne signifiait servir de béquille à une
administration Bush largement discréditée, et qui amorce, au plus bas
dans les sondages, la dernière ligne droite de son mandat. Les gestes se
multiplient, dont les vacances américaines du Président ne sont pas le
moindre; Mais il y a aussi le ballon d'essai lancé la semaine dernière
par le ministre de la défense Hervé Morin pour un retour de la France au
sein de la structure militaire intégrée de l'OTAN, la visite de Kouchner
à Bagdad, ou cette dernière sortie sur l'Iran.
Comme toujours en France,
la politique étrangère se fait et se change sans débat national, pas
même de discussion parlementaire. S'il existe encore une opposition dans
ce pays, peut-être pourrait-elle demander des éclaircissement avant le
départ du premier avion français pour aller bombarder Téhéran?
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