Communiqué du 24 novembre 2008

 

La permanence du gaullisme

 
  • Entretien exclusif avec Roland Hureaux - pour Gaullisme.fr

Objectif-France Magazine - Roland Hureaux, ne croyez-vous pas, comme beaucoup le disent, que la référence au général de Gaulle soit un peu dépassée aujourd’hui, trente huit ans après sa mort ?

A ceux qui posent cette question, que l’on entend en effet souvent,  je voudrais rappeler qu’au temps où le général de Gaulle exerçait le pouvoir, soit dans les années soixante, on le disait déjà. La gauche le disait, Lecanuet et les centristes le disaient, les révoltés de mai 68 le disaient encore plus.

On le disait pour toute une série de raisons : le fait qu’au lieu de l’URSS, il disait le plus souvent la Russie, ce qui paraissait d’un autre âge, sa volonté de revenir à l’étalon-or, son attachement à l’Etat, qui faisait un peu louis-quatorzien. D’ ailleurs Le Canard enchaîné le représentait en Louis XIV.

 

OFM -Et alors, qu’en tirez-vous ?

Que sur tous les points ou presque où on le considérait alors comme dépassé, il s’est avéré être au contraire très en avance sur son temps.  La Russie s’appelle à nouveau la Russie et Leningrad, qui l’eut cru ? Saint-Pétersbourg. L’étalon-or n’a certes pas été encore rétabli    mais on en parle ; surtout on sait que l’effroyable crise mondiale que nous connaissons est due pour l’essentiel à ce que de Gaulle dénonçait : l’étalon dollar, le privilège insigne que les Etats-Unis se sont arrogés depuis la guerre de fournir au monde sa monnaie en achetant des denrées aux autres pays sans rien leur donner en échange que des billets verts ( ou plutôt des lignes de crédit électroniques !) . S’agissant de l’Etat, après trente ans de libéralisme sans frein, voilà que tout le monde nous parle de son retour !

 

OFM - L’histoire serait donc cyclique : c’est l’ « éternel retour » comme disait Nietzsche

Je ne le crois pas. Ce qui faisait la force de De Gaulle, ce qui explique qu’il ait pu à la fois avoir raison avant tout le monde – sur les sujets que je viens d’évoquer et aussi sur bien d’autres comme la défaite ultime de l’Allemagne en 1940  ou   la décolonisation en 1958 - et rester d’actualité quarante ans après sa mort, c’est qu’il a fondé  toute sa réflexion politique, non  pas sur les changements et les modes mais sur ce qu’il y a de permanent dans l’histoire. Je dis bien sa réflexion politique parce que dans d’autres domaines, comme l’art militaire ou l’économie, il fut au contraire très conscient des nécessités du progrès technique. Qu’est-ce qui est permanent ?  Peu de choses à vrai dire mais des choses essentielles : les nations ou plus généralement les groupes humains, les peuples  auxquels  il pensait qu’on n’arrive jamais à imposer durablement une volonté étrangère : voyez ce qu’il disait des Vietnamiens à Phnom-Penh et appliquez le  aujourd’hui aux Afghans, ce qu’il disait des Palestiniens  et qui vaut toujours ; voyez ce qu’il disait de  l’Europe : l’impossibilité de l’unir  en voulant faire table des nations et qui explique en partie la crise actuelle de la construction européenne,  le caractère passager des idéologies comme on l’a vu en Russie.

Autres permanences : le rôle du chef, qu’il soit un roi , un premier ministre ou un président démocratiquement élu,  qui est selon lui de défendre  bec et ongles l’honneur et les intérêts de son peuple sans se fixer à une idéologie, surtout sans donner la priorité à l’idéologie qu’elle soit la Révolution nationale, le socialisme, le libéralisme ou... l’européisme sur ces intérêts fondamentaux.

Permanence encore : que les Etats sont des monstres froids et qu’il ne faut jamais compter que sur soi-même  pour défendre ses intérêts vitaux, la nécessité donc de préserver à tout prix l’indépendance nationale.

 

OFM - Cela reste très général.

Certes, et c’est pour cela que le gaullisme sera toujours d’actualité parce qu’il s’attache à des principes généraux et permanents.  Mais ne croyez pas que pour autant, il s’agisse d’évidences. La preuve : rappeler ces principes  gêne encore beaucoup de monde. Et si on vous dit que ces principes sont dépassés, c’est qu’en réalité on en a peur, on n’en veut pas. Il y a ceux qui vous disent que la France est devenue trop petite, qu’elle doit rentrer dans l’OTAN ( alors que l’OTAN a moins que jamais de raison d’être, la guerre froide terminée). Il y a ceux qui vous disent que construire une grande œuvre – parfaitement idéologique selon moi – comme l’Europe vaut bien que l’on sacrifie notre intérêt national supposé « étroit » ou égoïste ». Il y a ceux enfin qui vous disent que l’Etat « régalien » est dépassé, qu’il doit se faire « modeste » , que le laissez faire généralisé, dans le champ économique et même social  assure spontanément les équilibres . On voit où nous mène aujourd’hui, par exemple  en matière bancaire, la déréglementation généralisée...

 

OFM  - De Gaulle n’avait pas que des idées générales ; il avait aussi une « certaine idée de la France ». C’est à partir de sa politique que l’on a construit l’idée d’ « exception française. »

On peut débattre pour savoir si De Gaulle partait d’abord d’une idée de la France ou bien d’une philosophie  générale sur le rôle des nations. Mais comme il n’était pas un philosophe de métier mais un homme d’action et un chef  et qu’il parlait aux Français,  il leur a d’abord parlé de la France. « La France n’est elle-même qu’au premier rang » a t-il dit par exemple. On en rit aujourd’hui mais je pense qu’il ya bien là une permanence du tempérament français – analogue à celle de certains individus d’ailleurs -: dès que la France veut rentrer dans le rang, quand elle commence à s’auto-dénigrer, à se repentir de tout, elle  se divise, elle déprime et , ajoutons que loin d’être mieux aimée des étrangers, elle l’est encore moins : on le voit aujourd’hui où malgré – ou à cause - des tortillements du président actuel  pour faire rentrer notre pays dans le rang, les Français  n’ont jamais été  aussi mal vus dans le monde et leurs dirigeants plus méprisés.

Mais de Gaulle savait aussi se faire entendre comme personne des autres peuples. Parce qu’il s’appliquait à saisir leur génie propre. Je note au passage qu’il parlait mieux les langues étrangères que  la plupart de ses successeurs qui se veulent modernes et ouverts au monde. S’il pensait qu’il y avait une exception française, il n’eut pas, je pense, renié l’idée qu’il y  avait une exception de chaque pays.  

 

OFM - Mais alors pourquoi se référer à de Gaulle. Pourquoi pas à une philosophie politique plus générale ?

Pourquoi pas en effet ? Après tout je pense que saint Louis, François Ier, Henri IV, Richelieu et peut-être aussi le Gambetta de 1870 ou  le Clémenceau de 1918 ont été gaullistes avant la lettre.

Un philosophe très à la mode en Amérique comme Léo Strauss propose de refonder la politique sur certaines permanences qui transcendent les époques. Il  recherche ces permanences dans les  auteurs grecs, Platon et surtout  Aristote. La notion de « bien commun » que saint Thomas d’Aquin nous a transmise vient d’Aristote. Le rôle premier du chef politique, dans cette perspective, c’est de rechercher le « bien commun » d’une cité, d’une nation, d’un groupe humain particulier. Cette formule, assez proche de la respublica, de Gaulle ne l’eut certainement pas reniée à condition de ne pas lui donner un sens étroit, purement économique. Il  pensait que chaque peuple devait non seulement prospérer mais être fier de lui, cultiver son génie  propre, faire rayonner ses valeurs, de manière pacifique certes mais active. Le gaullisme, c’est la défense du  bien commun mais pas dans la grisaille d’un conseil d’administration, avec de la couleur et du panache. Ce bien commun au sens large, c’est au chef qu’il convient de le  promouvoir. Avec la foire aux intérêts particuliers qu’est devenue notre République, sur fond s’abaissement national, on est, vous le voyez, loin du compte.