Communiqué du 27 juillet 2008

 

Gueule de bois après l'adoption de la Constitution

 
  • Par Roland Hureaux. Qui fait l'addition des dégâts politiques et institutionnels de l'adoption de la Constitution sarkozienne.

Le 30 janvier 1875, l'amendement Wallon adopté à une voix de majorité avait fait sortir la République de l'ambiguïté.

Le 21 juillet 2008, à une voix de majorité, Nicolas Sarkozy a fait entrer la France dans l'ambiguïté.

Le député Henri Wallon, catholique et conservateur, n'avait certes pas de sympathie particulière pour le régime républicain, mais il appartenait à cette génération de bourgeois, formés aux humanités classiques, qui ne se payaient pas de mots et ignoraient la «novlangue». Il lui fallait appeler un chat un chat. Puisque la France n'était ni en monarchie, ni en régime impérial, c‘est qu'elle était en république : voilà l'évidence qu'il fit reconnaître à une Assemblée réactionnaire qui n'en avait pas trop envie.


Amertume à gauche et chez les gaullistes

La réforme constitutionnelle de grande ampleur qu'a si laborieusement - et en ne ménageant aucun moyen pour convaincre les récalcitrants (audiences, menaces, promesses, sondages bidon) - fait adopter Nicolas Sarkozy en ce lundi de juillet où la France court après Bison futé, laisse un grand malaise.

La gauche, qui escomptait une victoire politique, et les gaullistes, comme Nicolas Dupont-Aignan, qui voyaient dans cette réforme un coup décisif porté à l'héritage du général de Gaulle, sont amers d'être passés si près du succès. Le Président, lui, aura senti le vent du boulet et vu les limites de ses manœuvres.

Au parti socialiste, tous ceux qui rêvaient d'une VIe république peuvent se dire qu'ils s'en rapprochent, même si la discipline de parti leur dictait de voter non. A l'UMP, la centaine de députés qui voyait clairement les dangers de la réforme mais ne voulait pas courir le risque de se mettre à dos le Président, aurait sans doute préféré qu'elle ne passât pas.


La Constitution, une montre molle à la Dali

Les rancœurs vont rester : du parti socialiste à l'égard de Jack Lang et Jean-Michel Baylet – qui n'a rien d'autre désormais à faire que de basculer à droite - , des sarkozystes à l'égard de ceux qui ont voté non et, parmi ceux-ci, de ceux qui n'ont pas calé à l'égard de ceux qui se sont laissé circonvenir.

L'ambiguïté est aussi du côté des nouvelles institutions. La Ve République était une belle mécanique, comparable à ces montres suisses qu'affectionne, paraît-il, le Président. Elle est désormais une montre molle à la Salvador Dali.

Le Président, tout en se voyant conférer le pouvoir de s'adresser au Parlement à l'instar du grand frère Bush, ce qui semble le renforcer, a organisé la confusion de pouvoirs. S'il y garde sa position d'arbitre – à condition d'avoir une majorité - il perd, en affaiblissant le gouvernement, une partie de ses moyens d'action. Lui qui se plaignait que la France ne veuille pas bouger assez vite, n'a à présent pas fini de ramer.

 

Coïtus interruptus

L'Assemblée se voit doter de nouveaux pouvoirs, mais qu'en fera-t-elle, elle qui utilise si peu ceux qu'elle avait déjà ?

Ce n'est plus tout à fait la Ve République, ce n'est pas vraiment le retour à la IVe. On s'est rapproché de la Constitution américaine mais sans aller jusqu'au bout de la démarche, ce qui eut supposé de supprimer le premier ministre. Coïtus interruptus.

D'une façon générale, tout va devenir plus compliqué : le vote des lois, les nominations, les procédures judicaires. Moderniser, c'est ça.

Après ce vote, la France a la gueule de bois.

Il est probable qu'elle entre dans une période de grand malaise, celui de la horde primitive désemparée, que décrit Freud (1), où les frères viennent de tuer le Père (le général ! bien sûr), pire, ne l'ont fait qu'à moitié.

Il est probable aussi que Nicolas Sarkozy a perdu dans l'affaire ses dernières chances de réélection. Le quinquennat ne lui en laissait déjà pas beaucoup, interdisant au Président de se refaire une virginité par la cohabitation. Non seulement la réforme votée grille définitivement le premier ministre, nécessaire paratonnerre par temps d'orage, mais encore le Président qui voulait tant bouger la France sans rien respecter, même pas la Constitution, s'est ce faisant coupé les mains, comme un gosse qui vient de casser son jouet.


(1) Sigmund Freud, Totem et tabou, Payot.