Le
30 janvier 1875, l'amendement Wallon adopté à une voix de majorité avait
fait sortir la République de l'ambiguïté.
Le 21
juillet 2008, à une voix de majorité, Nicolas Sarkozy a fait entrer la
France dans l'ambiguïté.
Le
député Henri Wallon, catholique et conservateur, n'avait certes pas de
sympathie particulière pour le régime républicain, mais il appartenait à
cette génération de bourgeois, formés aux humanités classiques, qui ne
se payaient pas de mots et ignoraient la «novlangue». Il lui fallait
appeler un chat un chat. Puisque la France n'était ni en monarchie, ni
en régime impérial, c‘est qu'elle était en république : voilà l'évidence
qu'il fit reconnaître à une Assemblée réactionnaire qui n'en avait pas
trop envie.
Amertume à gauche et chez les
gaullistes
La
réforme constitutionnelle de grande ampleur qu'a si laborieusement - et
en ne ménageant aucun moyen pour convaincre les récalcitrants
(audiences, menaces, promesses, sondages bidon) - fait adopter Nicolas
Sarkozy en ce lundi de juillet où la France court après Bison futé,
laisse un grand malaise.
La
gauche, qui escomptait une victoire politique, et les gaullistes, comme
Nicolas Dupont-Aignan, qui voyaient dans cette réforme un coup décisif
porté à l'héritage du général de Gaulle, sont amers d'être passés si
près du succès. Le Président, lui, aura senti le vent du boulet et vu
les limites de ses manœuvres.
Au
parti socialiste, tous ceux qui rêvaient d'une VIe république peuvent se
dire qu'ils s'en rapprochent, même si la discipline de parti leur
dictait de voter non. A l'UMP, la centaine de députés qui voyait
clairement les dangers de la réforme mais ne voulait pas courir le
risque de se mettre à dos le Président, aurait sans doute préféré
qu'elle ne passât pas.
La
Constitution, une montre molle à la Dali
Les
rancœurs vont rester : du parti socialiste à l'égard de Jack Lang et
Jean-Michel Baylet – qui n'a rien d'autre désormais à faire que de
basculer à droite - , des sarkozystes à l'égard de ceux qui ont voté non
et, parmi ceux-ci, de ceux qui n'ont pas calé à l'égard de ceux qui se
sont laissé circonvenir.
L'ambiguïté est aussi du côté des nouvelles institutions. La Ve
République était une belle mécanique, comparable à ces montres suisses
qu'affectionne, paraît-il, le Président. Elle est désormais une montre
molle à la Salvador Dali.
Le
Président, tout en se voyant conférer le pouvoir de s'adresser au
Parlement à l'instar du grand frère Bush, ce qui semble le renforcer, a
organisé la confusion de pouvoirs. S'il y garde sa position d'arbitre –
à condition d'avoir une majorité - il perd, en affaiblissant le
gouvernement, une partie de ses moyens d'action. Lui qui se plaignait
que la France ne veuille pas bouger assez vite, n'a à présent pas fini
de ramer.
Coïtus
interruptus
L'Assemblée se voit doter de nouveaux pouvoirs, mais qu'en fera-t-elle,
elle qui utilise si peu ceux qu'elle avait déjà ?
Ce
n'est plus tout à fait la Ve République, ce n'est pas vraiment le retour
à la IVe. On s'est rapproché de la Constitution américaine mais sans
aller jusqu'au bout de la démarche, ce qui eut supposé de supprimer le
premier ministre. Coïtus interruptus.
D'une
façon générale, tout va devenir plus compliqué : le vote des lois, les
nominations, les procédures judicaires. Moderniser, c'est ça.
Après
ce vote, la France a la gueule de bois.
Il
est probable qu'elle entre dans une période de grand malaise, celui de
la horde primitive désemparée, que décrit Freud (1), où les frères
viennent de tuer le Père (le général ! bien sûr), pire, ne l'ont fait
qu'à moitié.
Il
est probable aussi que Nicolas Sarkozy a perdu dans l'affaire ses
dernières chances de réélection. Le quinquennat ne lui en laissait déjà
pas beaucoup, interdisant au Président de se refaire une virginité par
la cohabitation. Non seulement la réforme votée grille définitivement le
premier ministre, nécessaire paratonnerre par temps d'orage, mais encore
le Président qui voulait tant bouger la France sans rien respecter, même
pas la Constitution, s'est ce faisant coupé les mains, comme un gosse
qui vient de casser son jouet.
(1) Sigmund Freud, Totem et tabou, Payot. |