-
La mort de dix soldats français, mardi, relance
le débat sur ce conflit qui dure depuis sept ans.
Zineb Dryef et Pascal Riché (Rue89)
Photo : Tireurs d’élite du 2e Régiment étranger
d’infanterie en Afghanistan en 2005 (Darvic/Wikipedia)
La mort des dix soldats français de la force de
l’Otan en Afghanistan,
tués lundi et
mardi lors de combats contre les talibans (qui ont
également fait 21 blessés dans les troupes françaises, non loin
de Kaboul), relance le débat sur le sens de cette guerre démarrée
il y a sept ans. Nicolas Sarkozy
doit se rendre
mardi soir en Afghanistan, où 3300 militaires
français sont actuellement déployés.
1 - Où en est la
situation, sept ans après les premiers bombardements ?
L’état du pays est de plus en plus chaotique .
L’année 2007 a été marquée par une forte dégradation de la
situation. En juin dernier, 49 soldats de la Force
internationale d’assistance à la sécurité (Isaf) de l’Otan et de
la coalition sous commandement américain sont morts. Le bilan le
plus lourd depuis le début de la guerre.
On est loin du
plan initial. Le 7 octobre 2001, moins d’un moins après
l’attaque du World Trade Center, G.W. Bush annonçait que les
frappes américaines, soutenues par les pays de l’Otan, par l’ONU
et par l’Alliance du Nord, coalition afghane anti-Talibans,
avaient commencé contre les camps d’Al-Qaeda, soupçonnée d’être
à l’origine des attentats du 11 septembre. Washington avait, en
vain, réclamé la tête d’Oussama Ben Laden avant d’attaquer
le pays.
En novembre 2001, la chute des talibans,
« étudiants en religion » à la tête d’une dictature islamiste
brutale depuis 1996, consacrait la victoire-éclair des
Américains. Rapide, mais éphémère : la guerre s’est éternisé ;
les talibans ont ouvert des fronts dans l’Est du pays et la
démocratie rêvée est restée une illusion. En dépit de l’élection
présidentielle de 2004 et de l’arrivée au pouvoir d’Hamid
Karzaï, les Occidentaux n’ont pu se retirer du pays.
L’insécurité n’a fait que croître : plusieurs ministres ont été
tués, le président Karzaï a échappé à plusieurs tentatives
d’assassinats. Sans compter les victimes civiles afghanes :
durant les cinq premiers mois de 2008, la Mission d’assistance
des Nations unies en Afghanistan a fait état de 698 civils tués,
tandis que durant la même période de 2007 on enregistrait 430
décès. Enfin,
le nombre de
tués au sein de la coalition internationale n’a fait
que croître d’année en année :
Côté français, y compris les pertes
d’aujourd’hui, 24 soldats sont morts depuis 2001.
2 - Quel est le
rôle joué par la France ?
Malgré la présence d’environ 50000 hommes de l’Isaf
-dont près de la moitié d’Américains-, la sécurité se délite
continuellement en Afghanistan. Les Etats-Unis ont donc appelé à
renforcer la force internationale. L’Allemagne a refusé, le
Canada a hésité et la France a dit oui.
Pourtant, en 2007, pendant la campagne
présidentielle et alors que des humanitaires français étaient
retenus en otages par des talibans, Nicolas Sarkozy estimait que
la guerre en Afghanistan n’était pas « décisive » pour la
France :
Depuis, Nicolas Sarkozy a changé d’avis et juge
désormais prioritaire le renforcement des troupes françaises
dans cette partie du monde. En mars 2008, en visite en
Angleterre, il déclare :
« Est-ce que l’on peut se permettre, nous,
l’Alliance, les alliés, de perdre en Afghanistan ? La réponse
est non. Parce qu’en Afghanistan se joue une partie de la lutte
contre le terrorisme mondial, donc on doit gagner. Est-ce que la
France veut partir, la réponse est non. »
Pourquoi ce revirement ? Officiellement, parce
que la situation s’est dégradée et que tant la France que
l’Europe ont intérêt à ce que l’Afghanistan ne retombe pas dans
le chaos. Pour le grand public, Nicolas Sarkozy place son action
sur le plan moral : il s’agit d’empêcher le retour au pouvoir de
gens qui « ont amputé d’une main une femme parce qu’elle avait
mis du vernis à ongles » (une rumeur non vérifiée, soit dit
en passant).
Mais le revirement du président français
s’inscrit aussi dans une inflexion de la stratégie nationale.
Sarkozy souhaite que la France reprenne sa place pleine et
entière dans les instances de l’Otan - à commencer par son
commandement militaire - et qu’elle prenne la tête de son
« pilier européen ». Envoyer des troupes en Afghanistan, c’était
apparaître comme le chef déterminé d’une France qui n’hésite pas
à engager ses troupes au côté de ses frères d’armes de
l’Alliance sur des terrains éloignés. Une France qui se
distinguerait ainsi dans une Europe de plus en plus frileuse.
Sur le terrain, après avoir stationné à Kandahar
des Mirage autrefois basés au Tadjikistan et envoyé des
formateurs supplémentaires auprès de l’armée afghane, Nicolas
Sarkozy décidait en avril d’envoyer 700 hommes supplémentaires.
Il y a donc désormais 3 300 soldats français affectés au terrain
d’opération afghan.
Source : ministère français de la Défense
Cet été, la France a pris la direction du
Commandement régional à Kaboul, succédant ainsi à l’Italie. Le
contingent français a plusieurs missions : stabiliser et
sécuriser les zones qui lui sont attribuées ; surveiller les
zones sensibles (aéroports, frontières) ; détruire des munitions
(obus et mines) ; soigner militaires et civils dans certaines
zones ; assurer le transport des troupes (hélicoptères, avions)
et former l’armée nationale afghane.
Ce qui est regrettable, c’est que ces décisions
aient été prises
sans débat
national, presque en catimini. Elles n’ont pas été
bien accueillies par l’opinion, qui y a vu non seulement un
alignement sur Washington, mais aussi un risque inutile pour la
vie de ses soldats. Non sans raisons, comme l’embuscade mortelle
le démontre aujourd’hui.
3 -
Faut-il
négocier avec les Talibans ?
La situation est aujourd’hui si mauvaise pour les
forces occidentales, que le parallèle avec l’occupation russe
s’impose. Après l’invasion de 1979, l’armée rouge a occupé le
pays pendant dix ans, sans jamais parvenir à le contrôler.
L’Américain
Eric Margolis,
chroniqueur pour le Toronto Sun, l’un des experts les plus
réputés de l’Afghanistan, juge cette guerre impossible à gagner,
comme
il nous l’a
expliqué en avril dernier. Dans les années 1980, les
Soviétiques avaient mobilisé 160 000 hommes et, face à une
communauté pachtoune déterminée, et soutenue par les Etats-Unis,
ils n’avaient pas réussi à contrôler le pays, malgré des appuis
pro-communistes importants.
Alors, comment
espérer contrôler cette mosaïque de tribus avec 20000 soldats
occidentaux? « Il ne peut y avoir de solution militaire »,
assène Margolis, qui suggère de donner aux Pachtouns une
représentation politique plus importante et même d’ouvrir une
négociation avec les ennemis d’aujourd’hui : les talibans.
Margolis n’est pas le seul à prôner le dialogue
avec les talibans : c’est une proposition qui a également été
avancée en Grande Bretagne. Mais un tel discours est
actuellement inaudible aux Etats-Unis (ou « taliban » et
« Al-Qaeda » sont quasiment synonymes). Et pour Sarkozy,
discuter avec les « amputeurs de mains » n’est pas non plus une
option envisageable, même si son ministre des Affaires
étrangères Bernard Kouchner
s’est montré
plus ouvert.
|
20
août
: Accompagné par les ministres des Affaires étrangères, Bernard
Kouchner, et de la Défense, Hervé Morin, le chef de l'État s'est
rendu, hier, au quartier général du comman-dement régional de la
Force inter-nationale d'assistance à la sécurité (Isaf) de
l'Otan, à Kaboul
« Je
tenais à vous dire que le travail que vous faites ici, il est
indispensable [...]. Pourquoi on est ici ? Parce qu'ici se joue
une partie de la liberté du monde. Ici se mène le combat contre
le terrorisme. Vous défendez ici les droits de l'homme et
particulièrement les droits de la femme », a poursuivi
Nicolas Sarkozy.
Je n'ai
pas de doute, il faut être là. [...] Je vous dis en conscience
que si c'était à refaire, je le referais. »
Une fois de
plus, la position de Nicolas Sarkozy Président est à l'opposée
de celle du candidat….
un communiqué de Nicolas
Dupont-Aignan, député DLR, gaulliste et républicain
L’annonce de la mort des 10 soldats français en Afghanistan me
peine profondément et m’indigne. Je pense à ces jeunes vies
sacrifiées pour mener une guerre qui n’est pas la nôtre et qui
de surcroît est conduite en dépit du bon sens.
Souvenons-nous, à l’époque du renforcement des effectifs
français, et surtout de leur redéploiement dans les zones à
risque, le Président de la République nous avait promis que cet
effort national permettrait d’obtenir des Etats-Unis un
changement de stratégie militaire sur le terrain. En vérité, il
n’en a rien été.
Autant en 2001, la présence française était légitime pour
chasser les Talibans du pouvoir, autant aujourd’hui il est
contre-productif de conforter une politique américaine qui ne
fait que nourrir le retour des Talibans.
Voilà ce qui malheureusement arrive quand on veut plaire, voire
complaire, aux Etats-Unis de Georges Bush.
Combien de morts faudra-t-il pour que le Président Sarkozy et
son gouvernement ouvrent les yeux sur cette politique qui engage
nos troupes dans un bourbier, dans une impasse ?
Lorsque j’ai voté la motion de censure, certains ne l’avaient
pas compris.
J’avais osé le faire, car pour la première fois, l’engagement de
troupes supplémentaires en Afghanistan, tout comme la
réintégration complète de la France dans l’OTAN, était contraire
à la politique d’indépendance nationale, voulue et restaurée par
le Général de Gaulle à partir de 1958.
Une politique digne qui n’engageait la vie de nos soldats que
lorsque notre intérêt national était en jeu.
Aujourd’hui, le choix est simple : soit les Etats-Unis revoient
leur politique en Afghanistan et nous pouvons alors maintenir
nos troupes, soit ils poursuivent dans l’impasse et nous devons
au plus vite redéployer nos soldats sur le terrain ou même les
rapatrier.
Le
Président de la République osera-t-il prendre ses
responsabilités pour défendre l’intérêt de la France ou
persistera-t-il à privilégier l’idéologie d’alignement sur les
Etats-Unis, quel qu’en soit le coût politique et humain ?
19 août 08 |