Le
Premier ministre François Fillon a précisé dimanche soir (13
janvier 2008) que la réforme qui consisterait à supprimer le
département n'était "pas d'actualité". Selon "Le Figaro" du
jeudi 10 janvier 2008, la commission Attali propose de faire
"progressivement disparaître" les départements dans un rapport
sur la libération de la croissance qui doit être remis à Nicolas
Sarkozy le 23 janvier.
"Le
président de la République ne s'est pas engagé sur cette
suppression du département. Donc, je le dis clairement: c'est
pas d'actualité, c'est pas à l'ordre du jour", a souligné
François Fillon lors du Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI. "La
suppression du département, ou en tout cas le débat autour des
structures locales, ça passe soit par un débat à l'occasion de
l'élection présidentielle et de l'élection législative, soit par
un référendum". "Il y a pas eu ce débat au moment des élections
législatives et présidentielle. On n'a pas l'intention de faire
de référendum sur ce sujet", a-t-il dit.
On lit depuis
quelque temps, sous des plumes qui se veulent « dans le vent »,
que l'institution du département en France serait un archaïsme,
et un obstacle à la modernisation du pays. Qu'il conviendrait
donc de la supprimer au plus vite, sans autre forme de procès.*
Ce qui pourrait
n'apparaître que comme une boutade provient en réalité des mêmes
personnes que celles qui nous exposent, en deux mots, que la
nation est un concept dépassé, et que sa disparition nous
permettrait, par l'intercession d'une Europe immaculée,
d'accéder au nirvana du bienheureux oubli de notre identité.*
Il convient donc
d'y regarder de plus près. L'Ancien Régime connaissait une
grande variété de provinces, aux statuts divers, qui se
répartissaient
entre « pays d'Etat » et « pays de généralité ». Certaines,
quoique s'intégrant peu à peu au reste du pays, étaient
encore « réputées
étrangères », et d'ailleurs, il avait fallu l'effort
multiséculaire des rois de France pour arracher peu à peu à la
domination de l'Empire germanique des régions de langue et de
culture française, qui n'avaient été séparées du Royaume que
pour constituer des apanages plus ou moins équitables entre des
princes Francs ou Burgondes.*
Ce rappel n'est
pas inutile, au moment ou des groupes d'influence plus ou moins
autorisés, chez nos voisins, cherchent à imposer, sous l'aimable
voile d'une « Europe des régions », un éclatement des nations et
une « communautarisation » de notre continent, avec pour
conséquence inéluctable la disparition du droit français et la
fin de la République.*
Ces départements,
que constitua la Révolution, s'ils étaient de taille à peu près
analogue, étaient -- et la suite l'a prouvé -- beaucoup moins
artificiels que certains ne veulent le donner à croire. Ils ont
été composés à la suite de longues discussions au plan local, et
suivaient souvent les limites des anciennes provinces ou
évêchés, voire des « pagi » gallo-romains. C'est ainsi que le
Maine-et-Loire correspond à peu près à l'Anjou, et l'Aveyron au
Rouergue. Il faut noter que leur création n'aura en aucune
manière freiné l'apogée de la civilisation rurale au XIXème
siècle, qu'il s'agisse de mobilier, de costumes, de fromages ou
même des langues régionales.*
L'argumentation
aujourd'hui porte sur leur taille, mais de ce point de vue, les
actuelles Régions de programme (apparues sous le régime de
Pétain) seraient encore trop petites. Sous prétexte que telle ou
telle région ne ferait pas le poids face aux régions étrangères,
il faudrait les fusionner. Et d'ailleurs, pourquoi pas ? Mais
aussi, pourquoi ? Quelle est la région française qui « ferait le
poids » face à la Ruhr ou à la Bavière ? Derrière tout cela, n'y
aurait-il pas la volonté de détruire la cohérence de notre
politique extérieure ? Ces questions ne doivent pas être
escamotées.*
Il est en effet
trop facile d'appeler à davantage de décentralisation,
sous-entendant en faveur des régions, mais sur ce point, on
aurait avantage à tout mettre sur la table. Si la démocratie
demande que les décisions soient, autant que possible, prises au
plus près des personnes auxquelles elles s'appliquent, elle
exige également une cohérence, qui ne peut être établie en
dernier ressort qu'au niveau national. Il ne faut pas oublier
non plus que, souvent, le pouvoir pèse moins lourd lorsqu'il est
plus lointain, et cela est vrai, au premier chef, en matière
culturelle. Pour dire les choses crûment, il ne s'agit pas
d'établir une concentration abusive de pouvoirs au profit de
nouveaux « ducs » ou « barons ». Les choses ne sont donc pas
aussi simples.*
Et si la réalité,
complexe, appelait des réponses à géométrie variable ? Les
régions existent, certes, et constituent bien, dans nombre de
domaines, un échelon utile, voire indispensable. Mais peut-être
pas unique. Ainsi, à côté des régions « classiques », on trouve
les Agences de Bassin, les « villes à une heure de Paris », etc.
Il y a d'ailleurs une réflexion à mener sur le temps et
l'espace. Si les départements, à l'origine, ont été créés de
manière que chacun puisse atteindre le chef-lieu en une journée,
les moyens de transport d'aujourd'hui ne déplacent pas
obligatoirement le problème de façon univoque. Il faut compter
en distance-temps, et la vitesse réelle d'un trajet en
automobile, par exemple, se trouve diminuée du temps perdu dans
les encombrements. On peut donc être content de ne devoir
effectuer telle ou telle démarche qu'au niveau du département,
et non de la région.*
Prenons l'exemple
d'un habitant de l'Oise, qu'il en soit originaire, ou qu'il se
soit établi dans ce département pour bénéficier d'un certain
environnement, ou pour pouvoir accéder à la propriété, tout en
restant à proximité de Paris. Bien souvent, il ne se sent pas
Picard, et ne va pas plus souvent à Amiens qu'à Clermont-Ferrand
! En revanche, le département n'est jamais artificiel. Il a
toutefois une taille suffisante pour ne pas avoir de caractère «
tribal ». Ceux qui réclament un département basque doivent être
préparés à faire face un jour à la demande de création d'autres
départements « ethniques » contraires à la conception française
de la République et de la citoyenneté.*
Enfin, à l'heure
de l'élargissement des échanges internationaux, des ordinateurs,
de la Toile et du télétravail, chacun possède un réseau de
relations, amicales ou professionnelles, qui n'est pas toujours
corrélé à une proximité géographique. Tout cela doit être pris
en compte lorsqu'on parle -- souvent sans beaucoup réfléchir --
de décentralisation. L'expression reste populaire, mais souvent
peu élaborée dans ses conséquences. Il doit s'agir en tous cas
de simplifier, et non de compliquer la vie.*
La proximité
géographique reste cependant un facteur incontournable, qu'il
s'agisse de l'école ou des commerces, par exemple. Mais c'est
bien le département qui est à l'échelle de beaucoup de ces
réalités de la vie quotidienne.*
Au total, nous
voudrions attirer l'attention sur la nécessité de prendre en
compte l'ensemble de ces facteurs, afin de chercher à résoudre
les problèmes pour eux-mêmes, sans à priori, mais en gardant à
l'esprit le nécessaire maintien de l'unité nationale. Selon la
nature des questions et l'importance des budgets en cause,
l'unité pertinente sera le département ou la région, mais ce
serait une erreur grave que d'abandonner de manière irréfléchie
une structure qui donne satisfaction à l'ensemble des Français.
Elaguer les doubles emplois, rationaliser : oui. Détruire, non
!* |