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Michel
Guillou est né à Beuzeville dans l’Eure. Après avoir
effectué ses études à Paris, il devient Docteur ès
Sciences Physiques, Faculté des Sciences de Paris, puis
Docteur Honoris Causa de l’Université de Moncton au
Canada et de l’Université de Sofia en Bulgarie.
Entre autres distinctions
honorifiques, il est Chevalier de l’Ordre de la Pléiade,
Chevalier de la Légion d'Honneur, Commandeur de l'Ordre
du Lion de la République du Sénégal depuis 1986 et a
obtenu la médaille de Vermeil de la Ville de Paris en
1980.
Premièrement Ingénieur de
recherche à la Direction des Etudes d'Electricité de
France, il a poursuivi sa carrière en tant que Maître de
Conférences à l'Université de Rouen et à l'Université de
Paris Val de Marne de 1973 à 2001, puis Professeur des
Universités à l'Université de Paris XII.
Il est actuellement
Professeur et directeur de l’Institut pour l’Etude de la
Francophonie et de la Mondialisation à l’Université Jean
Moulin Lyon 3 (depuis 2001).
Conseiller du Président
de l'Association Internationale des Régions
francophones, il a été l'artisan de l'engagement du
réseau des Universités partiellement ou entièrement de
langue française auprès de l'Organisation Internationale
de la Francophonie. Il a dirigé de 1991 à 2000 l'Aupelf-Uref,
devenue en 1998 l'Agence Universitaire de la
Francophonie.
Il est l’auteur de
nombreux ouvrages dont Les défis de la Francophonie,
pour une mondialisation humaniste (éditions Alpharès,
2002), Les Entretiens de la Francophonie 2001-2003,
pistes pour aller de l’avant (éditions Max Milo –
Alpharès, 2004) et Francophonie - Puissance (éditions
Ellipses, 2005). |
L’enterrement de la Francophonie est-il
programmé ?
Qu’on veuille bien
excuser ce titre provocateur et ces lignes sans tabou. Il ne
s’agit en aucune sorte d’une critique systématique. Non, ces
propos traduisent le décalage entre ce que pensent les parlants
français et la Francophonie intergouvernementale. C’est le
constat d’un malaise, la traduction d’un désarroi.
Le meilleur baromètre,
ce sont les jeunes, et dans mon cas, les étudiants. Certes,
l’étudiant du Nord ne connaît pas ou peu la Francophonie, qui
est pour lui un non-sujet, mais pour l’étudiant du Sud, c’est
plus grave. Non seulement il ne la connaît pas, mais il se pose
parfois à haute voix la question de son utilité, allant jusqu’à
penser qu’être francophone est un handicap vis-à-vis de la
modernité. Il rêve du monde anglo-saxon. Cette réalité, il faut
la voir en face.
Francophonie apathique
L’apathie francophone
est générale. Après une période pionnière à la fin des années 80
et début 90 où, ambitieuse, innovante, conquérante, elle a lancé
structures et programmes d’avant-garde, la Francophonie s’est
anesthésiée et technocratisée. L’innovation a quitté la table.
Finie l’époque heureuse où, de passage à Paris, on faisait un
détour par le quai André Citroën ou la place de la Sorbonne pour
être au courant des initiatives et des actions nouvelles de l’ACCT
(aujourd’hui l’Organisation internationale de la Francophonie)
et de l’AUPELF-UREF (Association des universités partiellement
ou entièrement de langue française-Université des réseaux
d’expression française).
Dans ce contexte, le
malaise existentiel ne cesse de s’accroître. Depuis le Sommet
d’Hanoï en 1997, la Francophonie ne fait apparaître que des
déclarations creuses et des consensus mous. Le déclin de
l’intérêt des politiques est manifeste. On constate une sorte
d’acceptation générale d’un rôle de second plan, la naissance
d’un sentiment fataliste d’impuissance, une attitude de
soumission, une incapacité à affirmer sa spécificité. Elle n’a
pas compris que la mondialisation est sa chance et non son
éteignoir. Bref, elle semble avoir perdu son âme.
Pourtant, elle demeure
un espoir et continue d’exercer un attrait indiscutable, et ce,
malgré l’Amérique toute-puissante et sa déferlante économique,
linguistique et culturelle. De nouveaux pays frappent à sa
porte. Elle commence à faire preuve d’une capacité d’influence à
l’échelle de la planète, comme l’a montré son action pour
l’adoption en 2005 de la Convention de l’Unesco sur la promotion
et la protection des expressions culturelles.
Un second souffle
Cessons de gémir, de
préparer son enterrement. Travaillons plutôt à lui donner un
second souffle. Le Sommet de Québec doit être le rendez-vous
historique du renouveau. Il faut en finir avec les sommets sans
espoir, imposer une rupture et signifier un « Ça suffit ! » à
tous les militants de l’abandon. La Francophonie ne peut
continuer à être floue, sans ambition, et à se satisfaire d’un
statut de priorité gommée.
Elle doit dire le rôle
qu’elle entend jouer. Il lui faut, tout aussi impérativement,
être utile et répondre aux besoins des francophones, et en
particulier à leur aspiration légitime à vivre mieux. Pour
reconquérir sa légitimité, elle a besoin de visibilité, de
gestes évocateurs et rassembleurs, d’actions phares donnant une
impulsion au changement.
Cependant, la
Francophonie n’est pas une évidence. Elle est teintée pour
certains de néocolonialisme français et pour d’autres de combat
d’arrière-garde face à un anglais qui serait déjà accepté comme
seule langue du monde.
Rôle et atouts
La culture devient, aux
côtés du politique et de l’économique, un pilier de la
mondialisation et s’assoit comme acteur à la table des relations
internationales. Les aires géoculturelles vouées au troisième
dialogue — celui des cultures — prennent une importance toute
particulière, comme antidote pacifique à la guerre des
civilisations qui s’amorce et qu’attestent le terrorisme et la
montée des fondamentalismes. Les grandes aires linguistiques
font naturellement partie de cette topologie, particulièrement
lorsqu’elles s’organisent en unions géoculturelles d’États et de
gouvernements.
La Francophonie dont
nous parlons n’est ni la francophonie de la fin du XIXe siècle —
la première francophonie liée à l’expansion coloniale — ni la
seconde, fille de la décolonisation, proposée dans les années 60
par le Sud pour fonder un Commonwealth à la française, mais la
francophonie du dialogue et des échanges au sein de l’union
géoculturelle de langue française. C’est ce qui fonde sa
légitimité. Avec cette troisième francophonie, on passe des
espaces postcoloniaux aux espaces de dialogue interculturel.
Par rapport aux autres
ensembles culturels, la troisième francophonie a pris les
devants en matière d’organisation et de coopération. Communauté
ouverte, elle s’agrandit tandis que pour d’autres, tel le
Commonwealth, le cercle est maintenant fermé. Elle accueille des
membres qui n’ont jamais été des colonies ; c’est le cas des
pays de l’Europe de l’Est. Depuis l’origine en 1986, elle n’a
cessé d’augmenter le nombre de ses membres, de 43 à 68
aujourd’hui. Tous les continents y sont présents. Cependant, cet
élargissement pose problème. Des voix réclament un
approfondissement impliquant que la Francophonie cesse
d’admettre des pays sans engagement francophone réel, comme cela
est malheureusement le cas.
Dialogue des cultures
Le recouvrement est
frappant entre ses valeurs et les besoins qui s’expriment. Elle
défend certains principes des altermondialistes et prend des
positions de non-alignement. Laboratoire de mondialisation
culturelle et humaniste, sa chance, c’est le dialogue des
cultures, si nécessaire depuis le 11-Septembre. Elle prône la
diversité culturelle et linguistique, la solidarité comme
compagnon de la liberté et le dialogue comme outil de la paix.
Elle choisit pour l’accès à l’universel, la synthèse des
différences et non l’affirmation d’un modèle unique et dominant,
et privilégie l’approche multilatérale. Il faut l’envisager
comme une réalité géopolitique à part entière.
Ces principes justifient
le développement de la Francophonie politique, mais le soutien
des peuples francophones ne sera fort que s’ils ont envie de
francophonie et sont fiers d’être francophones. Il y a dans la
Francophonie une part de rêve, de modernité qu’il faut faire
partager, des dynamiques qu’il faut rendre visibles, des
attentes auxquelles il faut répondre. Elle doit être un plus
dans le quotidien de chacun. Pour y parvenir, elle doit arrêter
de négliger son volet coopération.
Zones de travail
Les chantiers du
renouveau sont multiples. Plusieurs crèvent les yeux.
L’éducation
et la formation. D’évidence, la Francophonie ne peut accepter
l’illettrisme, et la formation aux métiers est nécessaire. Rien
n’est possible sans un effort exemplaire en leur faveur.
Malheureusement, la Francophonie ne dispose pas pour
l’enseignement primaire, secondaire et technique d’un opérateur
direct.
L’économie.
Rien n’est possible sans elle. Il faut donner à la Francophonie
sa dimension économique, ce que l’on se refuse de faire depuis
le Sommet d’Hanoï, où la question a été posée par le Vietnam. Il
faut en finir avec les rendez-vous manqués entre l’économie et
la Francophonie.
La
diversité culturelle. La convention de l’Unesco sera un leurre
si chaque culture ne peut créer ses propres biens culturels. La
Francophonie a besoin de disposer d’un outil spécifique comme il
existe au Québec. La langue unique détruit la diversité ;
l’action pour le multilinguisme est au coeur du combat
francophone, du local à l’international.
La
jeunesse est l’avenir de la Francophonie. Il faut l’informer et
l’impliquer. Un vaste programme de jeunes volontaires de la
Francophonie s’impose pour générer le sentiment d’appartenance
et renforcer la connaissance de l’autre.
La
langue française. C’est la grande oubliée de 20 ans de
francophonie institutionnelle.
Faute d’une charte
linguistique les engageant, des pays membres ne font pas
l’effort qu’il conviendrait quant à son emploi à l’international
et à son enseignement.
La
communication. Le déficit de notoriété et l’absence de
visibilité sont tels qu’il convient de lancer à grande échelle
un plan de communication. Il faut aussi l’enseigner et en faire
un objet d’étude et de recherche.
Des nations plus fortes
Par ailleurs, la
Francophonie est pour les Québécois et les Français une occasion
de renforcer leur nation. Elle affirme et conforte leur identité
respective dans l’ensemble canadien et européen. La France, pour
sa part, alors qu’elle s’engage toujours plus dans l’Union
européenne, a besoin d’une Francophonie influente pour garder sa
spécificité et conforter son identité nationale. Pour toutes ces
raisons, il faut relancer au Sommet de Québec la construction de
la troisième francophonie.
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