ÉCONOMIE & SOCIAL

 

20/03/2002

La faillite

 

Mon travail d'économiste est d'essayer de poser des problèmes de fond dans un langage accessible, lesquels auront de grandes chances d'être illustrés par l'actualité (en vertu du principe "plus ça change, plus c'est la même chose"). Ainsi, quand j'évoquais dans une récente chronique que tout a un prix et que je considérai des exemples sur le marché immobilier ou dans le domaine de la santé, je ne me doutais pas (mais j'aurai dû m'en douter) que les socialistes proposeraient ensuite l'équivalent à la CMU dans le domaine du logement.

 

Aujourd'hui, on glose sur l'Argentine ou l'entreprise Eron. Dans le cas de l'Argentine, j'ai en ma possession des textes publiés dans les journaux financiers (Wall Street Journal) il y a près de 10 ans en arrière qui mettaient en garde sur la situation argentine, et notamment la politique économique de ce pays sans cesse financée par un déficit public voué à s'accroître. 

 

Mais, les discussions autour de la faillite d'Eron sont plus révélatrices sinon intéressantes. Ce n'est pas la première fois - ni la dernière - qu'une grande entreprise fait faillite aux USA. Je dirai même que la faillite est au cœur du principe de fonctionnement de l'économie de marché : si les patrons ou managers savent que l'Etat vient automatiquement au secours des entreprises en difficulté (comme en France où les patrons ne se privent pas de faire un chantage au social) alors il y a fort à parier que les entreprises seront mal gérées et les ressources très mal allouées. Il n'y avait pas de faillite dans l'économie soviétique car il n'y avait pas d'entreprise ... mais c'est l'économie soviétique dans son ensemble qui a fait faillite.

 

Comme le développe brillamment le professeur Salin dans son livre "Libéralisme", c'est bien la possibilité de faire faillite qui pousse les acteurs économiques à essayer de faire des choix les plus efficaces possibles, même s'ils ne détiennent jamais de certitude à ce propos. La faillite du groupe Eron n'est donc en rien la faillite du système ; elle prouve au contraire que le système fonctionne, en éliminant les entreprises qui gaspillent des ressources (forcément limitées) qui pourraient être mieux utilisées par d'autres managers (qui dans ce cas se proposeront de racheter les actifs de l'entreprise en faillite, ces derniers conservant une valeur aux yeux des repreneurs potentiels... du moins tant qu'il y a des repreneurs). Il n'y a qu'en France que l'on croit que l'on peut interdire les licenciements, supprimer la faillite (l'Etat se portant au secours des entreprises en difficulté ... mais avec quels moyens puisque ce principe aboutit à ce que toutes les entreprises se tournent inévitablement vers l'Etat).

 

Un Etat interventionniste qui nourrit l'illusion de réguler l'économie prend le risque de la ruiner, entraînant la société toute entière dans son naufrage. Et c'est précisément ce qu'il s'est passé en Argentine ou en URSS... et peut-être en France un jour, s'il n'y a pas de changement politique marquant.

 

Et si la faillite d'Eron a fait gloser les anti-capitalistes de base, qu'ont-ils à dire du parcours de Microsoft, Sun, HP ou Apple, des entreprises qui ont débuté avec un capital-risque somme toute modeste (en comparaison de l'argent public engouffré dans BULL) et qui sont aujourd'hui des firmes multinationales qui fonctionnent. Mais dans ce cas, c'est le succès de l'entreprise que l'on va condamner : on va reprocher à Microsoft d'être en situation de monopole et la justice va "casser" le groupe. Alors, lorsqu'une grande entreprise fait faillite, on l'assimile à la faillite du système lui-même ; et lorsqu'une entreprise se développe, on crie au danger.

 

Finalement, ces commentaires ne sont pas rationnels. Les marchés, les industries et les entreprises obéissent à des cycles de vie à l'intérieur duquel la possibilité de grandir ou de faire faillite joue un rôle régulateur.

 

 

Jean-Louis Caccomo

(Économiste)

 

PS : Les responsables français vivent dans l'ordre virtuel du discours. Pendant qu'ils défilent à Porto Allegre, à la parade de la bonne conscience auto-proclamée, la France finit de se déconsidérer à Madagascar où elle soutient à bout de bras un président corrompu, tricheur et qui a ruiné son peuple qui le rejette en masse.