Deux
jugements récents rendus par la Cour de Justice européenne révèlent une
nouvelle fois la nature profondément anti-sociale de l'Europe telle
qu'elle existe aujourd'hui.
Un premier jugement
(affaire Viking) a ainsi reconnu le droit à une entreprise de déménager
son siège dans un autre pays, à la seule fin de remplacer entièrement du
personnel bien payé (finlandais) par un autre (estonien). Un second
(affaire Laval) a permit à une entreprise de Lettonie d’envoyer ses
ouvriers sur un chantier à Stockholm, là encore en piétinant la
convention collective, qui a force de loi en Suède.
La cour de
Strasbourg légalise ainsi le dumping social le plus sauvage à
l’intérieur de l’Union européenne, malgré les belles promesses
hypocrites des eurocrates de lutter contre (cf. affaire Bolkestein).
Voilà donc cette
belle Europe que l'UMP et le PS prétendent en cœur honnir mais qu'ils
favorisent pourtant en soutenant main dans la main la ratification du
Traité de Lisbonne, texte qui conforte et pérennise sa voie libérale et
anti-sociale.
Raison de plus pour
les français et les européens d'exiger un référendum !
L’ACTION REPUBLICAINE
L’Europe légitime le
dumping social
Pierre
Avril, correspondant du Figaro à Bruxelles
Les magistrats de la Cour européenne ont donné
raison à une entreprise lettone qui versait, en Suède, des salaires
inférieurs aux conventions locales. Le spectre du plombier polonais qui,
en 2005, avait tant contribué au rejet de la Constitution européenne, a
spectaculairement refait surface hier dans l’enceinte de la Cour
européenne de justice. Les magistrats de Luxembourg ont donné raison à
une entreprise lettone implantée en Suède, qui reprochait aux syndicats
scandinaves de vouloir lui imposer l’application des normes salariales
en vigueur à Stockholm.
L’arrêt ébranle l’ensemble du modèle de
négociation collective qui fait la fierté de la Suède et du mouvement
syndical européen, où les partenaires sociaux ont la responsabilité
exclusive de la fixation des salaires.
L’affaire remonte à mai 2004, lorsque Laval,
société lettone de BTP basée à Riga, détache ses travailleurs sur un
chantier suédois. Il s’agit de rénover un établissement scolaire situé à
Vaxholm, petite ville insulaire située au nord-est de Stockholm. Le plus
consciencieusement du monde, son patron tente de négocier les salaires
de ses collaborateurs avec le syndicat suédois du bâtiment, Byggnad.
C’est l’échec. Il se tourne alors vers le syndicat letton du bâtiment
avec qui il conclue finalement un accord, mais à des conditions
salariales moins avantageuses.
Les représentants suédois des salariés hurlent au
dumping social et déclenchent une grève sur le chantier dans le but de
faire plier Laval. Résultat, la filiale du groupe letton fait faillite.
Les travailleurs détachés plient bagage. La direction réclame réparation
du préjudice devant la Cour de Justice et conteste la légalité des
«actions collectives» suédoises. À bon droit.
En organisant un blocus autour de Laval pour
forcer l’entreprise à respecter leurs propres normes, les syndicats
scandinaves se sont montrés trop gourmands, a tranché la Cour. Les
conditions que ces derniers ont voulu imposer sont susceptibles de
«rendre moins attrayant, voire plus difficile, l’exécution de travaux de
construction sur le territoire suédois et constituent une restriction à
la libre prestation des services». Les magistrats reprochent à la
« réglementation nationale» suédoise d’ignorer la convention collective
que, faute de mieux, Laval a dû conclure avec les syndicats lettons.
Obliger en plus l’entreprise à passer sous les
fourches caudines du contrat social suédois constitue une
«discrimination». Seule baume au cœur pour les représentants des
salariés, le fait «de mener une action collective doit être reconnu en
tant que droit fondamental».
Cette position juridique est «nuancée», a aussitôt
réagi la Commission européenne, plutôt acquise aux thèses libérales. «Le
droit à engager des actions collectives et la liberté de prestations de
services sont des droits fondamentaux qui doivent être réconciliés», a
commenté le porte-parole de José Manuel Barroso, Johannes Laitenberger.
En revanche, la Confédération européenne des syndicats (CES) s’est
déclarée «déçue». L’arrêt aura des «conséquences sur la capacité des
syndicats à encourager l’égalité de traitement des travailleurs», estime
la CES, et constitue un «défi» au regard des «modèles de “flexicurité”»
encouragés en Suède.
À Stockholm, le ministre du Travail a «déploré le
verdict». Quant au président du Parti socialiste européen, Nyrup
Rasmussen, il a jugé que l’Europe s’était «tiré une balle dans le
pied». «Ce n’est pas un bon jour pour une Europe sociale, c’est un jour
de brume derrière laquelle pourront s’abriter les mauvais employeurs et
ceux rognant les salaires», a-t-il commenté. |