17 mai
2009

 

Pourquoi les prix de l'électricité et du gaz vont s'envoler

 
  • Les prix de marché de l’électricité sont naturellement bien plus élevés que les tarifs dits "régulés" dont nous bénéficions aujourd’hui. Quant aux prix du gaz, ils suivent ceux du pétrole. Avec la libéralisation du marché de l'énergie et la fin programmée des tarifs régulés, la facture énergie des Français risque de subir une forte hausse, de l’ordre de 25%...pour commencer. Celle des entreprises et des collectivités, qui sont entrées les premières dans le système, a déjà augmenté de plus de 60% depuis la libéralisation...

En décembre dernier, la Commission européenne a ouvert une procédure d'infraction contre la France, au motif que ces tarifs contreviennent à la directive de 2003 instaurant la concurrence [1]. Le 11 mars 2009, elle a étendu son enquête et lancé une perquisition-surprise chez EDF (La Commission soupçonne par ailleurs EDF d'être l'instigateur potentiel d'une hausse des prix sur le marché de gros de l'électricité en France)


Des textes initiés par la Commission où siégeait M. Barnier et adoptés par les députés UMP

Trois directives réalisent progressivement le marché unique de l’électricité et du gaz par l’ouverture de ces secteurs à la concurrence (92/92/CE du 19 décembre 1996, 98/30/CE du 22 juin 1998 et 2003/54/CE du 26 juin 2003)

Lors de l'adoption de la dernière en date (2003/54/CE sur la dérégulation du marché de l'électricité), Michel Barnier et Pascal Lamy étaient Commissaires. Au Parlement, PPE (dont Mme Grossetête et M Lamassoure), PSE (sauf Français) et Verts avaient voté "pour" par 351 voix, 79 "contre" (souverainistes, chasseurs, socialistes français, FN) et 114 "abstentions".

Elles ont été transposées par le Parlement français (les 10 février 2000, 3 janvier 2003, 9 août 2004, 13 juillet 2005, 7 décembre 2006 et 21 janvier 2008)


En théorie, les usagers peuvent choisir entre tarif libre et tarif régulé

Les entreprises et collectivités depuis 2004, et les ménages depuis le 1er juillet 2007 sont libres de choisir leur fournisseur de gaz et d'électricité.

Ils peuvent opter pour des offres à prix libres ou à prix réglementés par l’Etat. Ces derniers sont évidemment très inférieurs aux prix du marché et fluctuant peu car indexés sur le coût de la vie.


En pratique, EDF et Gaz de France poussent leurs clients à passer au tarif libre... 

De fait, EDF et Gaz de France, en tant qu’opérateurs historiques, sont les seuls (avec Electricité de Strasbourg et de Grenoble, Usine de Metz) à conserver 2 types de tarifs, le régulé et le concurrentiel.

Devenues Sociétés Anonymes, avec une concurrence à affronter et des actionnaires à rétribuer, elles doivent pousser au maximum de leurs clients à quitter le tarif régulé, par divers avantages (contrat unique, une seule facture, diagnostiques gratuits d’installation, cafetière offerte, promesse de baisse de la facture la première année et dès la signature etc.)

En 2008, le nombre de foyers ayant souscrit à un fournisseur alternatif a fortement augmenté. Selon la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), déjà 698.500 foyers se sont tournés vers un fournisseur alternatif d’électricité (Poweo, Direct Energie etc.), dont au moins un millier sans l'avoir demandé. En effet, les pratiques commerciales douteuses (vente forcée) se développent, comme on l'a déjà vécu avec la téléphonie mobile et la fourniture d'accès à Internet, ou comme au Royaume-Uni : démarchage à domicile, clauses abusives, offres aux prix attractifs sans garantie de pérennité etc.


 ...et l'usager ne pourra plus jamais revenir au tarif régulé

Après avoir testé le tarif libre chez un quelconque opérateur (y compris EDF, GDF), il est définitivement interdit de revenir au tarif réglementé des opérateurs historiques, et ce

- dès à présent pour les acheteurs d’énergie en gros (grosses entreprises, hôpitaux etc.)

- à partir du 1er juillet 2010 pour les particuliers et les petites entreprises (consommant moins de 36 kilovoltampères)


Le passage au tarif libre signifie brusque élévation de la facture et impossible retour en arrière

C'est l'exemple de l’hôpital de Besançon. En 2004, le directeur de cet hôpital, démarché par ENDESA a quitté EDF et son tarif régulé. La première année, il constata avec plaisir une baisse de 10% sur la facture d’électricité (la concurrence et le marché ont du bon). Douche froide la deuxième année : + 70% sur la facture ENDESA.

Le directeur de l’hôpital demande alors son retour à EDF et au tarif régulé. Il s’entend alors proposer alors par EDF une offre inférieure à 10% de celle d’ENDESA. Dès lors qu’il avait fait jouer la concurrence, il n’était pas possible de revenir au tarif régulé.

Résultat pour l’hôpital : + 50% en 2 ans et en conséquence de ces dépenses budgétaires supplémentaires, il a fallu supprimer des lits (pénalisant les usagers) et des postes de personnel soignant.


Les menaces sur la facture énergétique des locataires ou propriétaires qui changent de logement

Les contrats d’abonnement au gaz et à l’électricité s'appliquent désormais à la résidence et non plus à la personne : un particulier qui emménage dans un logement dont les précédents occupants avaient opté pour un tarif libre ne pourra plus, à partir du 1er juillet 2010, revenir sur le choix fait par son prédécesseur.

Pour ceux qui emménagent dans un logement ancien dont le précédent occupant a renoncé au tarif régulé, il y a un risque élevé que leurs factures d'énergie s'alourdissent. Pour ceux qui s'installent dans un logement neuf, en revanche, ils pourront continuer à bénéficier du tarif régulé jusqu'en 2010 pour l'électricité, mais pas pour le gaz..

Pour ceux qui achèteront une maison ou un appartement : si le vendeur était resté au tarif régulé EDF et/ou GDF, pas de problème. S’il avait fait jouer son éligibilité (donc quitté EDF et/ou GDF tarif régulé), il est impossible de prétendre au tarif régulé

Pour les bailleurs, il y aura des difficultés futures à louer leur logement si ceux-ci ne sont plus au tarif régulé, sachant que la loi leur interdit d’imposer à leur locataire un fournisseur.

Pour ceux qui bâtiront et raccorderont un logement neuf au réseau de distribution d'énergie après le 1er juillet 2010, il n’y aura pas d’accès au tarif réglementé


Après les entreprises, les particuliers doivent s'attendre à une hausse probable de leur facture énergétique, contrairement aux promesses de la directive

Pour les entreprises, les factures d’électricité ont grimpé de 65 %

Selon l'UFC-Que choisir, pour les particuliers de plus en plus nombreux qui quitteront les tarifs réglementés, cela représentera en moyenne une dépense annuelle supplémentaire de 1.222 euros pour un ménage de 4 personnes qui éclaire et chauffe son logement à l'électricité

Dans un rapport de 2002 de l'Ecole des mines, on trouve cette conclusion

 « Contrairement à ce qu’ont promis certains commentateurs, et à ce qu’espèrent bien des consommateurs, il est en outre probable que la libéralisation n’apportera pas d’importantes baisses des prix de l’électricité – ceux-ci devraient à terme converger vers le coût marginal de long terme, réalisant précisément le programme que Marcel Boiteux fixait à un monopole d’Etat « éclairé ». En tout état de cause, une part importante du secteur conservera un statut de monopole naturel, et une surveillance étroite des pouvoirs publics à l’égard des mécanismes de marché restera nécessaire. » 

Autrement dit, avant que Bruxelles ne s'en mêle, la France avait une politique énergétique réfléchie et cohérente et au mieux l'Europe mettra une trentaine d'années d'indécision et de facture alourdie pour l'usager avant d'arriver, peut-être, à la même chose.


Nicolas Vignon

L'Observatoire de l'Europe