Le Général déclarait, au cours du Conseil des
Ministres du 19 septembre 62 :
"Le régime présidentiel à
l'américaine n'est pas un régime pour la France".
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"Dans l'Histoire de la France, tissée des
plus grandes gloires et des plus grandes douleurs, les Vosges
viennent, encore une fois, d'offrir à la patrie le fidèle
hommage de leur courage et de leurs sacrifices. Nul sol ne fut
mutilé plus profondément que le vôtre. Nulle part la destruction
des maisons, des fermes, des ateliers, des instruments du
travail et de la vie n'a dépassé ce que vous avez subi. Aucune
région n'a supporté une proportion supérieure d'hommes et de
femmes déportés par l'ennemi - plus de 10 000 - de patriotes
fusillés - plus de 3 000 - de pauvres gens chassés de chez eux
- plus de 80 000 ! Dans les multiples combats livrés sur les
arrières de l'envahisseur par nos forces de l'intérieur, point
de faits d'armes plus magnifiques et plus utiles que ceux qui se
déroulèrent ici, tels que, par exemple, l'attaque de Corcieux et
de Taintrux, le 6 juin 1944, ou la défense de la ferme de
Viombois dans les premiers jours de septembre. Dans les rangs de
nos armées, combien furent nombreux et combien furent vaillants
les combattants de chez vous ! Ah ! si les Vosges eurent, pour
finir, l'honneur d'offrir à la glorieuse 1re armée française, à
la vaillante 7e armée américaine et à l'immortelle phalange de
Leclerc leur base de départ pour bondir jusqu'au Rhin, puis
jusqu'au Danube, cet honneur elles l'avaient bien payé !
Leur dévouement et leurs efforts, c'est la
France, et la France seulement, qui les inspira aux Vosgiens.
C'est pour servir la France, et la France seulement, qu'ils en
ont porté la charge. C'est pour la France, et pour la France
seulement, que sont morts ceux de leurs enfants qui ont semé de
leurs corps sanglants le chemin de la Victoire. Quand il s'agit
de l'indépendance et de la grandeur de la patrie, il existe,
entre tous les Français, une solidarité vitale, un domaine
commun et indivis, pour la défense duquel ils ont ensemble versé
de siècle en siècle, et tout récemment encore, tant de sang et
tant de larmes que toute prétention ou surenchère en sont
exclues sous peine de sacrilège et où ne peuvent être de mise
que le simple respect et l'humble amour de la France.
Mais justement, parce que tous ensemble,
fils et filles de la même mère, nous partageons ses peines et
ses succès, nous ne sommes que plus attentifs aux grandes leçons
qui s'en dégagent. Après les événements terribles que nous
venons de traverser, nous comprenons mieux que jamais quelle
importance capitale revêt pour notre pays, comme pour le destin
de chacun de nous et de chacun de nos enfants, la manière dont
s'organise et s'exerce la direction de la nation. Nous mesurons
nettement les conséquences que ne peut manquer d'avoir sur notre
liberté, notre labeur, nos ressources, notre puissance, notre
vie même, la capacité de l'État. Bref, nous savons ce que
signifie et jusqu'où se répercute la valeur ou l'infirmité des
institutions. Mais, dans ces Vosges qui furent et qui demeurent
l'un des môles de la patrie, tant au point de vue de sa défense
qu'à celui de son travail et de sa prospérité, dans ces Vosges
qui ont tant souffert physiquement et moralement des
défaillances antérieures, dans ces Vosges où l'on a toujours
pratiqué la vie publique avec ardeur et avec raison, dans ces
Vosges qu'inspirent encore les grandes pensées d'un Jules Ferry,
on réfléchit particulièrement bien à ce que doit, désormais,
devenir la République. A un moment décisif pour l'avenir de
l'état, nous ne pouvions trouver pour en parler aucune ville
qui, plus qu'Épinal, fût qualifiée pour nous entendre.
La République a été sauvée en même temps
que la patrie. Tout au long de la guerre, tandis que nous
luttions durement - l'Histoire dira au milieu de quelles
intrigues et de quelles difficultés ! - pour réveiller,
rassembler, mettre en œuvre les forces rompues de la France et
de l'Empire, nous avons pris comme principe politique qu'il
n'appartenait qu'au peuple français de décider de ses
institutions, et qu'une fois réalisée la libération du pays et
remportée la victoire, nous lui rendrions la disposition pleine
et entière de lui-même. Le jour même où nous commencions notre
mission pour le service de la France, nous avons assumé et
proclamé cet engagement. Il y avait là, d'abord, de notre part,
l'effet d'une conviction aussi ferme que raisonnée. En outre,
dans un conflit qui, pour la France, était idéologiquement
l'opposition entre le totalitarisme et la liberté, c'eût été se
renier, c'est-à-dire se détruire soi-même, que de tricher avec
son idéal. Enfin, en luttant pour tous les droits de la nation,
ses droits intérieurs aussi bien que ses droits extérieurs, nous
donnions à notre action et à notre autorité le caractère de la
légitimité, nous sauvegardions pour tous les Français le terrain
sur lequel ils pourraient retrouver leur unité nationale et nous
nous mettions en mesure de dresser contre tous essais
d'empiétements de l'étranger une intransigeance justifiée.
L'engagement que nous avions pris, nous
l'avons purement et simplement tenu. Dès que cela fut possible,
nous avons appelé à voter tous les Français et toutes les
Françaises, afin d'élire d'abord les Conseils municipaux
provisoires, puis les Conseils généraux, enfin une Assemblée
nationale à laquelle nous avons remis immédiatement et sans
réserve, comme nous l'avions toujours promis, les pouvoirs que
nous exercions depuis plus de cinq lourdes années.
Entre-temps, nous avons gouverné, en
appelant à nos côtés des hommes de toutes origines. Nous l'avons
fait, certes, avec autorité, parce que rien ne marche autrement,
et nous avons sans rémission, mais non sans peine, brisé ou
dissous à mesure toutes les tentatives intérieures ou
extérieures d'établir quelque pouvoir que ce fût en dehors de
celui du Gouvernement de la République. Peu à peu, la nation
avait bien voulu nous entendre et nous suivre. Ainsi furent
sauvés la maison et même quelques meubles. Ainsi le pays put-il
recouvrer le trésor intact de sa souveraineté vis-à-vis de
lui-même et vis-à-vis des autres.
C'est pourquoi - soit dit en passant -
nous accueillons avec un mépris de fer les dérisoires
imputations d'ambitions dictatoriales, que certains,
aujourd'hui, prodiguent à notre égard et qui sont exactement les
mêmes que celles dont, depuis le 18 juin 1940, nous fûmes
comblé, sans en être accablé, par l'ennemi et ses complices, par
la tourbe des intrigants mal satisfaits, enfin par certains
étrangers qui visaient à travers notre personne l'indépendance
de la France et l'intégrité de ses droits.
Mais, si la République est sauvée, il
reste à la rebâtir. À cet égard, nous avons toujours fait
nettement connaître à la nation quelle était la conception du
salut après les terribles leçons que nous venons d'essuyer et
devant les durs obstacles que nous avons à franchir. Nous
l'avons fait, convaincu que cette conception répondait au
sentiment profond du peuple, même si l'embrigadement dans les
partis devait en contrarier l'expression. Nous répétons
aujourd'hui ce que nous n'avons cessé de dire sous beaucoup de
formes et en beaucoup d'occasions.
Il nous parait nécessaire que l'état
démocratique soit l'état démocratique, c'est-à-dire que chacun
des trois pouvoirs publics : exécutif, législatif, judiciaire,
soit un pouvoir mais un seul pouvoir, que sa tâche se trouve
limitée et séparée de celle des autres et qu'il en soit seul,
mais pleinement, responsable. Cela afin d'empêcher qu'il règne
dans les pouvoirs de l'État cette confusion qui les dégrade et
les paralyse ; cela aussi afin de faire en sorte que l'équilibre
établi entre eux ne permette à aucun d'en écraser aucun autre,
ce qui conduirait à l'anarchie d'abord et, ensuite, à la
tyrannie, soit d'un homme, soit d'un groupe d'hommes, soit d'un
parti, soit d'un groupement de partis.
Il nous paraît nécessaire que le Chef de
l'État en soit un, c'est-à-dire qu'il soit élu et choisi pour
représenter réellement la France et l'Union Française, qu'il lui
appartienne, dans notre pays si divisé, si affaibli et si
menacé, d'assurer au-dessus des partis le fonctionnement
régulier des institutions et de faire valoir, au milieu des
contingences politiques, les intérêts permanents de la nation.
Pour que le Président de la République puisse remplir de tels
devoirs, il faut qu'il ait l'attribution d'investir les
gouvernements successifs, d'en présider les Conseils et d'en
signer les décrets, qu'il ait la possibilité de dissoudre
l'Assemblée élue au suffrage direct au cas où nulle majorité
cohérente ne permettrait à celle-ci de jouer normalement son
rôle législatif ou de soutenir aucun Gouvernement, enfin qu'il
ait la charge d'être, quoi qu'il arrive, le garant de
l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et des
traités signés par la France.
Il nous paraît nécessaire que le
Gouvernement de la France en soit un, c'est-à-dire une équipe
d'hommes unis par des idées et des convictions semblables,
rassemblés pour l'action commune autour d'un chef et sous sa
direction, collectivement responsables de leurs actes devant
l'Assemblée Nationale, mais réellement et obligatoirement
solidaires dans tous leurs actes, dans tous leurs mérites et
dans toutes leurs erreurs, faute de quoi il peut y avoir une
figuration exécutive mais non pas de Gouvernement.
Il nous paraît nécessaire que le Parlement
en soit un, c'est-à-dire qu'il fasse les lois et contrôle le
Gouvernement sans gouverner lui-même, ni directement, ni par
personnes interposées. Ceci est un point essentiel et qui
implique, évidemment, que le pouvoir exécutif ne procède pas du
législatif, même par une voie détournée qui serait
inévitablement celle des empiétements et des marchandages. Le
Parlement doit comporter deux Chambres: l'une prépondérante,
l'Assemblée nationale, élue au suffrage direct, la seconde, le
Conseil de la République, élue par les Conseils généraux et
municipaux, complétant la première, notamment en faisant valoir,
dans la confection des lois, les points de vue financier,
administratif et local qu'une Assemblée purement politique a
fatalement tendance à négliger.
Il nous paraît nécessaire que la justice
soit la justice, c'est à dire indépendante de toutes influences
extérieures, en particulier des influences politiques. Si donc,
comme il est raisonnable, la justice s'administre en un Conseil
de la Magistrature, encore serait-il indispensable que ce
Conseil demeurât fermé aux interventions des partis.
Il nous paraît nécessaire que l'Union
Française soit une union et soit française, c'est-à-dire que les
peuples d'outre-mer qui sont liés à notre destin aient la
faculté de se développer suivant leur caractère propre et
accèdent à la gestion de leurs affaires particulières à mesure
de leurs progrès, qu'ils soient associés à la France pour la
délibération de leurs intérêts et que la France maintienne sa
prééminence pour ce qui est commun à tous : politique étrangère,
défense nationale, communications, affaires économiques
d'ensemble. Ces conditions impliquent, d'une part, des
institutions locales propres à chacun des territoires et,
d'autre part, des institutions communes : Conseil des États,
Assemblée de l'Union française, Président de l'Union française,
ministres chargés des affaires communes à tous.
Depuis que le travail constituant a
commencé de s'accomplir, la grande voix du peuple a pu se faire
entendre directement à deux reprises et chaque fois dans le sens
de ce qu'il faut réaliser. Voici que, de nouveau, les
constituants viennent de terminer leur travail. Il convient
maintenant d'en juger.
Quant à nous, nous déclarons que malgré
quelques progrès réalisés par rapport au précédent, le projet de
Constitution qui a été adopté la nuit dernière par l'Assemblée
nationale ne nous paraît pas satisfaisant. Nous même,
d'ailleurs, serions surpris qu'en fussent aucunement satisfaits
beaucoup de ceux qui l'ont voté pour des raisons bien éloignées,
sans doute, du problème constitutionnel lui-même. Car, c'est une
des caractéristiques étranges de la vie politique d'aujourd'hui
que les questions s'y traitent, non dans leur fond et telles
qu'elles se posent, mais sous l'angle de ce qu'il est convenu
d'appeler la « tactique » et qui conduit parfois, semble-t-il, à
abandonner les positions qu'on avait juré de défendre. Mais
nous, qui ne pratiquons point un art aussi obscur et qui
pensons, au contraire, que pour la France rien n'est plus
important que de restaurer au plus tôt l'efficience et
l'autorité de l'État républicain, nous estimons que le résultat
acquis ne peut être approuvé parce qu'il ne répond pas aux
conditions nécessaires.
Car enfin, alors qu'il apparaît à tous à
quel point l'État est enrayé, à la fois par l'omnipotence et par
la division des partis, est-il bon de faire en sorte que ces
partis disposent en fait, directement, à leur gré et sans
contrepoids, de tous tes pouvoirs de la République ?
Alors que tout le monde constate les
fâcheux effets qu'entraînent la dépendance des ministres par
rapport aux divers partis et le défaut de leur solidarité,
est-il bon de faire en sorte que ce système devienne définitif ?
Or, que sera l'indépendance du Gouvernement si c'est de
l'investiture de son chef par les partis que procède l'exécutif
avant même d'être constitué ? Que sera sa solidarité si chaque
ministre est responsable séparément et pour son compte devant
l'Assemblée nationale ?
Alors que tout révèle la gravité de la
situation financière du pays, est-il bon d'attribuer à
l'Assemblée nationale l'initiative des dépenses, de refuser au
Conseil de la République la possibilité de s'y opposer et de
faire élire celui-ci de telle manière qu'il ne fasse que
refléter l'autre Assemblée ?
Alors que n'échappe à personne
l'importance que revêt, pour chaque citoyen, l'indépendance de
la justice, est-il bon de remettre l'administration de celle-ci
à un Conseil dont la moitié serait élue par les partis ?
Alors que les événements soulèvent dans
les territoires d'outre-mer tant de courants impétueux et
attirent sur eux les intrigues et les désirs des étrangers,
est-il bon que les institutions de l'Union Française soient
accrochées à des organes sans force ?
Alors que nos institutions doivent avoir
pour base le libre choix des citoyens, est-il bon que ceux-ci ne
soient pas consultés sur la manière générale dont ils voudraient
élire leurs mandataires et que, pour l'avenir, on dépouille le
peuple du droit qu'il s'était réservé de décider lui-même par
référendum en matière constitutionnelle ?
Franchement non ! Un pareil compromis ne
nous paraît pas être un cadre qui soit digne de la République.
Après d'affreuses blessures physiques et morales, la mort ou
l'épuisement des meilleurs, l'engloutissement de la moitié de
notre fortune nationale, la ruine de notre budget, les
détestables divisions jetées, comme toujours, dans l'esprit
public par les malheurs de la nation, la France peut et doit
trouver son nouvel équilibre politique, économique, moral et
social, mais il lui faut, pour y parvenir, un État équilibré.
Dans ce monde dur et dangereux, où le groupement ambitieux des
Slaves, réalisé bon gré mal gré sous l'égide d'un pouvoir sans
bornes, se dresse automatiquement en face de la jeune Amérique
toute débordante de ressources et qui vient de découvrir à son
tour les perspectives de la puissance guerrière, alors que
l'Occident de l'Europe est, pour un temps, ruiné et déchiré, la
France et l'Union Française n'ont de chances de sauvegarder leur
indépendance, leur sécurité et leurs droits que si l'État est
capable de porter, dans un sens déterminé, une responsabilité
pesante et continue. Nous ne résoudrons les vastes problèmes du
présent et de l'avenir : conditions de la vie des personnes et
des familles et, d'abord, des moins avantagées, activité
économique du pays, restauration financière, réformes sociales
et familiales, organisation de l'Union Française, défense
nationale, refonte de l'administration, position et action de la
France dans le monde, que sous la conduite d'un État juste et
fort.
Ces convictions-là sont les nôtres. Elles
n'ont pas de parti. Elles ne sont ni de gauche, ni de droite.
Elles n'ont qu'un seul objet qui est d'être utile au pays. Ils
le savent bien et elles le savent bien tous les hommes et toutes
les femmes de chez nous, dont nous avons eu souvent l'honneur et
le réconfort de toucher le cœur et d'atteindre l'esprit en leur
demandant de se joindre à nous pour servir la France. Cette fois
encore, nous sommes certain que la clarté et la fermeté, qui
sont toujours les habiletés suprêmes, l'emporteront en
définitive, et qu'ainsi naîtront pour la France les institutions
républicaines de son salut et de son renouveau.
Vive la République ! Vive la France !" |