Français,
J'ai des choses graves à vous dire. De
plusieurs régions de France, je sens se lever depuis quelques
semaines, un vent mauvais. L'inquiétude gagne les esprits, le
doute s'empare des âmes. L'autorité de mon gouvernement est
discutée, les ordres sont souvent mal exécutés.
Dans une atmosphère de faux bruits et d'intrigues, les forces de
redressement se découragent. D'autres tentent de se substituer à
elles, qui n'ont ni leur noblesse, ni leur désintéressement. Mon
patronage est invoqué trop souvent, même contre le gouvernement,
pour justifier de prétendues entreprises de salut, qui ne sont,
en fait, que des appels à l'indiscipline. Un véritable malaise
atteint le peuple français. Les raisons de ce malaise sont
faciles à comprendre. Aux heures cruelles succèdent toujours des
temps difficiles.
Lorsque aux frontières d'une nation, que la défaite a mise hors
de combat, mais que son Empire laisse vulnérable, la guerre
continue ravageant chaque jour de nouveaux continents, chacun
s'interroge avec angoisse sur l'avenir du pays.
Les uns se sentent trahis; d'autres se croient abandonnés.
Certains se demandent où est leur devoir; d'autres cherchent
d'abord leur intérêt.
La radio de Londres et certains journaux français ajoutent à ce
désarroi des esprits. Le sens de l'intérêt national finit par
perdre de sa justesse et de sa vigueur.
De ce désordre des idées naît le désordre des choses. Est-ce
vraiment le sort qu'après treize mois de calme, de travail,
d'incontestable reprise, la France a mérité?
Français, je vous pose la question. Je vous demande d'en mesurer
l'ampleur et d'y répondre dans le secret de vos consciences.
Nos relations avec l'Allemagne sont définies par une convention
d'armistice (1), dont le caractère ne pouvait être que
provisoire. La prolongation de cette situation la rend d'autant
plus difficile à supporter qu'elle régit les rapports entre deux
grandes nations.
Quant à la collaboration offerte au mois d'octobre 1940 (2) par
le chancelier du Reich dans des conditions dont j'ai apprécié la
grande courtoisie, elle est une oeuvre de longue haleine et n'a
pu porter encore tous ses fruits.
Sachons surmonter le lourd héritage de méfiance légué par des
siècles de dissensions et de querelles, pour nous orienter vers
les larges perspectives que peut offrir à notre activité un
continent réconcilié.
C'est le but vers lequel nous nous dirigeons. Mais c'est une
oeuvre immense, qui exige de notre part autant de volonté que de
patience. D'autres tâches absorbent le gouvernement allemand;
des tâches gigantesques où se développe, à l'Est, la défense
d'une civilisation et qui peuvent changer la face du monde.
A l'égard de l'Italie, nos rapports sont également régis par une
convention d'armistice (1). Ici, encore, nos voeux sont
d'échapper à ces relations provisoires, pour créer des liens
plus stables, sans lesquels l'ordre européen ne pourrait se
construire.
Je voudrais, enfin, rappeler à la grande république américaine
les raisons qu'elle a de ne pas craindre le déclin de l'idéal
français. Certes, notre démocratie parlementaire est morte. Mais
elle n'avait que peu de traits communs avec la démocratie des
États-Unis. Quant à l'instinct de liberté, il vit toujours en
nous, fier et rude. La presse américaine nous a souvent mal
jugés. Qu'elle fasse un effort pour comprendre la qualité de
notre âme, et le destin d'une nation dont le territoire fut, au
cours de l'histoire, périodiquement ravagé, la jeunesse décimée,
le bonheur troublé par la fragilité d'une Europe à la
reconstruction de laquelle elle entend aujourd'hui participer.
Nos difficultés intérieures sont faites surtout du trouble des
esprits, de la pénurie des hommes et de la raréfaction des
produits.
Le trouble des esprits n'a pas sa seule origine dans les
vicissitudes de notre politique étrangère.
Il provient surtout, de notre lenteur à construire un ordre
nouveau,, ou plus exactement à l'imposer. La Révolution
Nationale, dont j'ai dans, mon message du 11 octobre (3) dessiné
les grandes lignes, n'est pas encore entrée dans les faits.
Elle n'y a pas pénétré, parce qu'entre le peuple et moi, qui
nous comprenons si bien, s'est dressé le double écran des
partisans de l'ancien régime et des serviteurs des trusts.
Les troupes de l'ancien régime sont nombreuses. J'y range sans
exception tous ceux qui ont fait passer leurs intérêts
personnels avant les intérêts permanents de l'Etat maçonnerie,
partis politiques dépourvus de clientèle mais assoiffés de
revanche, fonctionnaires attachés à un ordre dont ils étaient
les bénéficiaires et les maîtres ou ceux qui ont subordonné les
intérêts de la patrie à ceux de l'étranger. Un long délai sera
nécessaire pour vaincre la résistance de tous ces adversaires de
l'ordre nouveau, mais il nous faut, dès à présent, briser leurs
entreprises, en décimant les chefs.
Si la France ne comprenait pas qu'elle est condamnée, par la
force des choses, à changer de régime, elle verrait s'ouvrir
devant elle l'abîme, où l'Espagne de 1936 a failli disparaître,
et dont elle ne s'est sauvée que par la foi et le sacrifice.
Quant à la puissance des trusts, elle a cherché à s'affirmer, de
nouveau, en utilisant, pour ses fins particulières,
l'institution des comités d'organisation économique.
Ces comités avaient été créés, cependant, pour redresser les
erreurs du capitalisme. Ils avaient en outre, pour objet de
confier à des hommes responsables l'autorité nécessaire pour
négocier avec l'Allemagne, et pour assurer une équitable
répartition des matières premières indispensables à nos usines.
Le choix des membres de ces comités a été difficile. On n'a pu,
toujours trouver réunies, sur les mêmes têtes l'impartialité et
la compétence. Ces organismes provisoires, créés sous l'empire
d'une nécessité pressante ont été trop nombreux, trop
centralisés et trop lourds. Les grandes sociétés s'y sont arrogé
une autorité excessive et un contrôle souvent inadmissible.
A la lumière de l'expérience, je corrigerai l'oeuvre entreprise,
et je reprendrai contre un capitalisme égoïste et aveugle la
lutte que les souverains de France ont engagée et gagnée contre
la féodalité. J'entends que notre pays soit débarrassé de la
tutelle la plus méprisable: celle de l'argent.
Des organisations professionnelles sans responsabilité et
guidées par des soucis mercantiles ont trop longtemps gêné notre
ravitaillement. J'ai déjà pris des sanctions et frappé dans la
personne d'un homme tout un système: celui de ses bureaux
nationaux de répartition qui assuraient aux grossistes, au
détriment du producteur et du consommateur, un contrôle exclusif
et usuraire sur toute la filière du ravitaillement.
Nous souffrirons encore. Mais je ne veux pas que nos souffrances
s'étalent devant le scandale de fortunes bâties sur la misère
générale.
Ce serait d'autant plus révoltant que ce peuple a, depuis un an,
accompli un travail immense, malgré les privations de toutes
sortes et dans les conditions les plus difficiles. Je songe à
nos paysans qui, sans main-d'oeuvre, sans engrais, sans sulfate,
ont réussi à obtenir des résultats supérieurs à ceux de l'an
passé. Je songe aussi aux mineurs qui ont travaillé sans répit,
de jour et de nuit, à nous procurer du charbon. Je songe à tous
ces ouvriers qui, au retour de leur travail, ne trouvent que des
foyers sans feu et des tables pauvrement garnies.
C'est grâce à leur effort de tous les instants que la vie du
pays a pu être maintenue malgré la défaite. C'est avec eux et
par eux que nous pourrons construire demain une France libre,
puissante et prospère. Qu'ils attendent, avec moi, les temps
meilleurs; l'épreuve de la France prendra fin.
Quant à la pénurie des hommes, elle est due surtout à l'absence
des prisonniers. Tant que plus d'un million de Français,
comprenant les éléments jeunes et vigoureux de la Nation, et la
meilleure fraction de son élite, demeureront en marge des
activités du pays, il sera difficile de construire un édifice
neuf et durable. Leur retour permettra de combler le grand vide
dont nous souffrons. Leur esprit fortifié par la vie des camps,
mûri par de longues réflexions, deviendra le meilleur ciment de
la Révolution Nationale.
Et pourtant, malgré ces difficultés, l'avenir de notre pays se
construit avec une précision chaque jour mieux assurée.
Familles, métiers, communes, provinces seront les piliers de la
Constitution, à laquelle les meilleurs ouvriers de notre
redressement travaillent sans relâche et dont le préambule
ouvrira sur le " futur français" de claires perspectives.
Nos réformes les plus récentes sont l'objet d'une révision
méthodique, dont les grandes lignes apparaîtront plus nettement,
lorsque les textes législatifs auront été simplifiés et
codifiés.
Mais il ne suffit pas de légiférer et de construire. Il faut
gouverner. C'est une nécessité et c'est le voeu du peuple tout
entier.
La France ne peut être vraiment gouvernée que de Paris. Je ne
puis encore y rentrer, et je n'y rentrerai que lorsque certaines
possibilités m'y seront offertes.
La France ne peut être gouvernée qu'avec l'assentiment de
l'opinion, assentiment plus nécessaire encore en régime
d'autorité. Cette opinion est, aujourd'hui, divisée.
La France ne peut être gouvernée que si à l'impulsion du chef
correspondent l'exactitude et la fidélité des organes de
transmission. Cette exactitude et cette fidélité font encore
défaut.
La France cependant, ne peut attendre. Un peuple comme le nôtre,
forgé au creuset des races et des passions, indocile et
courageux, prompt au sacrifice comme à la violence et toujours
frémissant lorsque son honneur est en jeu, a besoin de
certitudes, d'espace et de discipline.
Le problème du gouvernement dépasse donc en ampleur le cadre
d'un simple remaniement ministériel. Il réclame, avant tout, le
maintien rigide de certains principes.
L'autorité ne vient plus d'en bas. Elle est proprement celle que
je confie ou que je délègue.
Je la délègue, en premier lieu, à l'amiral Darlan, envers qui
l'opinion ne s'est montrée ni toujours favorable ni toujours
équitable mais qui n'a cessé de m'aider de sa loyauté et de son
courage.
Je lui ai confié le ministère de la Défense nationale pour qu'il
puisse exercer sur l'ensemble de nos forces de terre, de mer et
de l'air, une action plus directe.
Au Gouvernement qui m'entoure, je laisserai l'initiative
nécessaire. J'entends toutefois lui tracer dans certains
domaines, une ligne très nette et voici ce que j'ai décidé:
1. L'activité des partis politiques et des groupements d'origine
politique est suspendue, jusqu'à nouvel ordre, en zone libre.
Ces partis ne pourront plus tenir ni réunion publique, ni
réunion privée. Ils devront renoncer à toute distribution de
tracts ou d'affiches. Ceux qui ne se conformeront pas à ces
dispositions seront dissous.
2. L'indemnité parlementaire est supprimée à dater du 30
septembre.
3. Les premières sanctions disciplinaires contre les
fonctionnaires coupables de fausses déclarations, en matière de
sociétés secrètes, ont été prises. Les noms de ces
fonctionnaires ont été publiés ce matin au Journal Officiel.
Les titulaires des hauts grades maçonniques, dont une première
liste vient d'être également publiée, ne pourront plus exercer
aucune fonction publique.
4. La Légion demeure en zone libre le meilleur instrument de la
Révolution Nationale. Mais elle ne pourra remplir utilement sa
tâche civique qu'en restant, à tous les échelons, subordonnée au
gouvernement.
5. Je doublerai les moyens d'action de la police, dont la
discipline et la loyauté doivent garantir l'ordre publie.
6. Il est créé un cadre de commissaires du pouvoir. Ces hauts
fonctionnaires seront chargés d'étudier l'esprit dans lequel
sont appliqués les lois, décrets, arrêtés et instructions du
pouvoir central. Ils auront mission de déceler et de briser les
obstacles que l'abus de la réglementation, la routine
administrative ou l'action des sociétés secrètes peuvent opposer
à l'oeuvre de redressement national.
7. Les pouvoirs des préfets régionaux première esquisse de ce
que seront les gouverneurs de provinces dans la France de demain
sont renforcés. Leur initiative vis-à-vis des administrations
centrales est accrue; leur autorité sur tous les chefs de
services locaux sera directe et entière.
8. La Charte du Travail, (4) destinée à régler, selon les
principes de mon message de Saint-Étienne (5), les rapports des
ouvriers, des artisans, des techniciens et des patrons, dans la
concorde et la compréhension mutuelles, vient de faire l'objet
d'un accord solennel. Elle sera promulguée incessamment.
9. Le statut provisoire de l'organisation économique sera
remanié, sur la base de l'allègement et du regroupement des
comités, d'une représentation plus large, dans leur sein, de la
petite industrie et des artisans, d'une révision de leur gestion
financière, de leur articulation avec les organismes provinciaux
d'arbitrage.
10. Les pouvoirs, le rôle et l'organisation des bureaux
nationaux de ravitaillement seront modifiés selon des modalités
qui, sauvegardant les intérêts des consommateurs, permettront à
l'autorité de l'Etat de s'exercer à la fois sur le plan national
et sur le plan régional.
11. J'ai décidé d'user des pouvoirs que me donne l'acte
constitutionnel n° 7 (6) pour juger les responsables de notre
désastre. Un conseil de justice politique est créé à cet effet.
Il me soumettra ses propositions avant le 15 octobre.
12. En application du même acte constitutionnel, tous les
ministres et hauts fonctionnaires devront me prêter serment de
fidélité, et s'engager à exercer les devoirs de leur charge pour
le bien de l'État, selon les lois de l'honneur et de la probité.
Cette première série de mesures rassurera les Français qui ne
pensent qu'au salut de la Patrie.
Prisonniers qui attendez encore dans les camps et vous préparez
en silence à l'œuvre de restauration nationale, paysans de
France qui faites la moisson dans des conditions
particulièrement difficiles, habitants de la zone interdite qui
mettez toute votre confiance dans l'intégrité de la France,
ouvriers de nos banlieues privés de viande, de vin et de tabac
et cependant si courageux, c'est à vous tous que je pense.
C'est à vous que j'adresse ces paroles françaises.
je sais, par métier, ce qu'est la victoire; je vois aujourd'hui
ce qu'est la défaite. J'ai recueilli l'héritage d'une France
blessée. Cet héritage, j'ai le devoir de le défendre, en
maintenant vos aspirations et vos droits.
En 1917. j'ai mis fin aux mutineries.
En 1940, j'ai mis un terme a la déroute. Aujourd'hui c'est de
vous-mêmes que je veux vous sauver.
A mon âge, lorsqu'on fait à son pays le don de sa personne, il
n'est plus de sacrifice auquel l'on veuille se dérober. Il n'est
plus d'autres règles que celle du salut public. Rappelez-vous
ceci:
Un pays battu, s'il se divise, est un pays qui meurt.
Un pays battu, s'il sait s'unir, est un pays qui renaît.
Vive la France!
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