Comment ? Ah, je voterai oui ! Je voterai oui (03 mai 2005)
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Quand Delors dégommait la Constitution européenne...

 

Vingt cinq ans que ça dure. Il y a ceux qui pensent bien et ceux qui votent mal. En 1992, Jacques Delors invitait ses contradicteurs (sur le Traité Maastricht) rien de moins qu’à «changer de métier». Aujourd’hui, dans le Nouvel-Obs, il traite de «menteurs» les militants du non, lui qui promettait aux européens 6.000.000 d’emplois grâce l’euro… Son "oui" serait donc un "oui" contre le mensonge. Et pourtant, c'est un "oui" terriblement résigné que celui de l'ancien Président de la Commission de Bruxelles. Car il ne l’aime pas beaucoup plus que nous cette Constitution européenne. Il a confié ses états d'âme au journaliste Thierry Guerrier (France Info) lors d'un colloque le 27 avril 2004. Nous publions ici cette interview éclairante de celui qui détient la "Vérité", toute la "Vérité", rien que la "Vérité". Eclair de lucidité qui se conclut par un émouvant aveu. Merci Jacques, on n’en demandait pas tant.

 

  • Actes de la rencontre organisée par l’Institut François Mitterrand au Sénat, le 27 avril 2004. (Éditions Michel de Maule, mai 2004 (Extraits)

 

Thierry Guerrier : Une Constitution, ça a une valeur symbolique aussi forte qu’une monnaie.

Jacques Delors : Ne me parlez pas d’une Constitution à propos de ce traité ! Il faut quand même être franc ! C’est un traité ajouté constitutionnellement…

Vous savez ce que c’est qu’une Constitution ?

Une Constitution, c’est quelque chose qui fait qu’ensuite la Cour de Justice de cet ensemble constitutionnel a tous les droits. Vous êtes prêt à accepter que la Cour de justice européenne s’occupe de tout, y compris des problèmes demeurés nationaux, et tout cela au nom de la charte des Droits fondamentaux ? Est-ce que vous êtes prêt à accepter cela ? C’est un abus du terme de l’appeler Constitution.

D’autant plus qu’une Constitution nationale, on peut la changer à la majorité, mais là, on a une Constitution qui doit être acceptée par les vingt-cinq, et ensuite faire l’objet d’une approbation nationale.

Non, on se moque du monde ! Il ne fallait pas appeler ça une Constitution !

 

Thierry Guerrier : Donc vous êtes pour le référendum, mais vous votez non ?
Jacques Delors : Comment ? Ah, je voterai oui ! Je voterai oui. Je ne veux pas que l’Europe s’arrête. Mais j’ai beaucoup de critiques contre ce texte.

La première, c’est la « clause de révision ». Comment peut-on accepter ça alors que si un jours, dans quinze ans, la Turquie adhère , quatre-vingt millions d’habitants, le système de décision n’irait pas du tout, déséquilibrerait le système .

Deuxièmement, on a ajouté dans ce texte, dit « Constitution », une troisième partie intitulée « les Politiques ». C’est comme si, dans la Constitution française, chaque fois qu’on changeait de gouvernement, on changeait la Constitution pour dire qu’on allait faire telle ou telle politique sociale. Une politique que vous appliquez au jour le jour, ce n’est pas du ressort de la Constitution !

Troisièmement : l’Union économique et monétaire doit être rééquilibrée dans le Traité. C’est un point extrêmement important.

Et quatrièmement, sur la politique sociale : même avec les réserves que j’ai dites, on peut avoir un texte amélioré. Comme par hasard, les deux groupes de travail, là, qui n’ont pas fonctionné à la Convention, c’est celui sur l’Union économique et monétaire et celui sur le social.

Mais sur ces quatre points-là, il faut revenir en arrière. Il faut revoir les textes.
(...)

 

Thierry Guerrier : « Quand on vient de vous entendre à l’instant, on se dit : « Mais il regrette forcément de ne pas être allé en 1994 ».

Jacques Delors: (Un temps) Je règle ça avec ma conscience et, dans un jour qui viendra, devant Dieu, qui dira peut-être : « Tu as loupé complètement ta vie par lâcheté » , alors, ce jour-là, je comprendrai.

 

Thierry Guerrier : Mais il n’est peut-être pas trop tard pour y aller…

Jacques Delors : Comment ? Mais ils ont déjà du mal à prendre Rocard dans les listes européennes de juin prochain, alors si moi je me « ramenais » ce serait terrible ! Il faudrait qu’ils créent une section « asile » au Parti socialiste !