13/10/2002


Et 33 ans après …
Une nouvelle phase du projet du Général ?

 

 

  • Patrick DEVEDJIAN, Ministre délégué aux Libertés locales.

 

  • Jean-Paul DELEVOYE,  Ministre de la Fonction Publique, de la Réforme de l'État et de l'Aménagement du territoire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La décentralisation, engagement du candidat Chirac à l’élection Présidentielle, figure aussi sur les programmes électoraux de la plupart des partis politiques. Il y a là un souhait partagé. Mais il est illusoire, comme nous le rappelle le vécu des 35 dernières années, de croire que le débat de fond primera.

Dès 1969, le Général de Gaulle proposait la création de 22 régions et une réforme du Sénat en y intégrant les acteurs économiques, sociaux et culturels.

L’importance qu’il donnait à ce projet (premier étage d’un projet bien plus vaste : la participation) le décida à soumettre son approbation par voie de référendum. Le 27 avril, ce projet de décentralisation fut repoussé par une majorité de 52,4% (résultats) après une campagne en faveur du « non » conduite, de concert et pour des raisons purement politiciennes, par les représentants du cartel des NON[1] et Valéry Giscard d’Estaing au nom d’une partie des centristes et libéraux.

En 1982, les lois Gaston Defferre instituèrent les régions telles que nous les connaissons aujourd’hui. Rappelons également que si les Socialistes ont dit Non au projet du Général, les partis d’opposition ont pris une position aussi radicale en 1982[2].

Jean-Pierre Raffarin, Premier Ministre et Claude Allègre, ex-ministre socialiste, s’expliquent le 27 septembre sur France 2  au cours de l’émission « 100 minutes pour convaincre »; chacun confirme que la réforme Defferre est, pour une partie importante, inspirée des idées avancées par le Général de Gaulle.

Dans cette même émission et afin d’éviter les débordements de ses troupes[3, JP. Raffarin cadre son projet.

Sur l’échelle des responsabilités, il s’agit de distinguer et de bien situer celles qui incombent à l’Europe, à l’État français et aux régions. Mais il précise :« Ce qui me paraît très important, pour nous les républicains, c’est de ne pas opposer État et région… je suis favorable à ce que j’appelle la délégation républicaine. … Nous ne sommes pas dans un État fédéral, nous sommes dans une république ».

Patrick Devedjian, Ministre délégué aux Libertés locales n’en dit pas moins. Il veut aller plus loin : « Une autre partie va être mise en œuvre aujourd’hui par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, permettant ainsi, sous l’impulsion de Jacques Chirac, de compléter la revanche du Général visionnaire » confie-t-il dans une tribune au Figaro.

Il s’agit de rendre la région compétente en matière d’équi-pements collectifs, mais aussi de la faire participer, à son niveau, à toute politique nationale dans les domaines économiques, sociaux et culturels. Dans ce contexte, la région se substitue à l’État pour la réalisation, l’entretien et la gestion. Le projet de décentralisation, couplé nécessairement à une réforme de l’État, doit aller aussi loin qu’il soit possible, la limite s’établissant de fait lorsque l’équipement collectif ou industriel présente un intérêt national évident.

Mais il ne saurait y avoir réelle décentralisation sans maîtrise des ressources financières qui pourraient être constituées, notamment, de transferts d’impôts de l’État aux régions et l’habilitation, cadrée par la loi, d’en fixer les taux ou les tarifs ; des financements globaux pour certaines régions ou par grands secteurs d’équipement provenant du budget de l’État.

 

Les modalités actuelles déterminant la composition des Conseils régionaux semblent convenir globalement à l’ensemble des acteurs politiques. En conséquence, la trame électorale actuelle peut être conservée.

Mais un autre débat demeure. Quelle place peuvent prendre les responsables sociaux-professionnels et associatifs dans la vie régionale et au niveau national ? N’est-ce pas le moment et l’occasion de donner, notamment aux partenaires sociaux, l’occasion de sortir de l’éternel affrontement stérile et d’accepter de « participer » à la vie économique de notre nation ?

Ce que nous voulons, au fond, c’est changer les comportements sociaux. Il faut entrer dans le règne de l’économie concertée. Le projet de décentralisation est l’occasion de le faire ; ne pas la saisir revient à geler, pour longtemps encore, le système actuel.

La solution courageuse et réellement novatrice consiste à fondre, en une seule assemblée régionale, les élus politiques résultant de la situation actuelle et les membres des Conseils économiques et sociaux régionaux. Reste à déterminer, mais ceci est un point de second ordre, si ces derniers doivent être désignés par leurs organisations respectives ou élus à partir de modalités semblables à celles concernant les Conseils de Prud’homme.

« La cohérence, c’est s’assurer que l’ensemble national composé de l’État et des collectivités locales, fonctionne de façon harmonieuse, en préservant l’égalité de tous devant la loi. Les disparités territoriales, dans notre pays, sont beaucoup trop fortes aujourd'hui… (la cohérence) doit assurer un aménagement du territoire équilibré et être l’instrument de la solidarité entre les Français. C’est dans le dialogue entre l’État et la région que s’exprime le mieux ce souci de cohérence. » s’engage le Premier ministre lors de son discours de politique générale à l’Assemblée. On ne peut que l’approuver. Mais il ne précise pas comment. Objectif-France rappelle qu’il existe un Plan[4], « ardente obligation » du temps du Général, et qui serait, dans le cadre d’une réelle décentralisation : un vecteur de large concertation[5] ; un outil de décision et d’arbitrage[6] ; un cadre de décentralisation[7]. S’assurer de la complémentarité des différentes politiques devient une exigence afin que l’ensemble forme un projet cohérent à moyen et long terme. « Ainsi peut-on être défenseur intransigeant de la Nation et de l’État et décentralisateur audacieux, à quelques conditions cependant : proposer aux Français une grande ambition et un grand projet, aller à leur rencontre et ne pas craindre les oppositions multiples qui toutes obéissent au corporatisme et à l’intérêt à court terme » propose Charles Pasqua dans son livre Non à la décadence (10/2001). De son côté, Jean-Pierre Chevènement ne dit rien de différent en affirmant dans son livre La république contre les bien-pensants  (11/1999) : « Parler d’un projet de l’État, c’est rappeler la primauté de l’intérêt général : celui-ci ne se réduit pas à des procédures d’arbitrage entre les intérêts particuliers, mais résulte de l’expression d’une volonté collective ; or l’État ne joue ce rôle que s’il suscite et entretient la capacité de tous à se projeter dans l’avenir et pas seulement à protéger ses acquis et à se prémunir contre le risque ».

Le Sénat, actuel représentant des collectivités locales, ne peut échapper à cette volonté réformatrice. Sa composition et ses structures doivent se calquer sur les régions. Ainsi, de l’État à la région, la participation de tous sera effective.

Mais il n’est plus possible de se lancer dans une telle réforme sans remettre en cause les multiples niveaux créés depuis ces dernières années. Avec les regroupements de communes, on parvient à 6 niveaux : les compétences sont mal définies, les responsabilités diluées, la visibilité particulièrement floue pour les administrés. Il faut réduire la ligne hiérarchique à 3 niveaux : l’État, la Région qui prendrait les prérogatives actuelles des départements, la commune.

en conclusion ... en conclusion ... en conclusion ...

Il serait surprenant que le gouvernement aille aussi loin. Quel dommage ! Mais en a-t-il réellement la volonté ? Il se contentera certainement d’une étape qui peut être néanmoins importante si elle met en œuvre le référendum d’initiative local.

Mais il faut éviter deux écueils qui seraient dramatiques pour la France :

  • Cette réforme ne doit pas aboutir à dresser les régions contre l’État ; pire, dans le cadre européen, les régions ne peuvent pas prendre certaines libertés qui consisteraient à court-circuiter l’État, donc à diluer la France.

  • L’expérimentation, qui pourra porter sur les compétences, sur les ressources et sur l’organisation territoriale est un risque permanent qui deviendrait inutile si le projet de décentralisation se montrait suffisamment audacieux.

Alain KERHERVE

[1] Les partis de gauche, l’extrême gauche et l’extrême droite.

[2] Sauf Ollivier GUICHARD. (Ex-ministre du Général de Gaulle).

[3] Certains, comme Michel Barnier, ex-député RPR et commissaire européen, et Christian Poncelet, Président RPR du Sénat, sont favorables à la création de 7 ou 8 grandes régions électorales pour les Européennes. (Lien avec BN10).

Par ailleurs, Gérard Longuet, Ancien Ministre, sénateur de la Meuse, Président du Conseil Régional de Lorraine n’a pas la même approche que son ami Raffarin. Il conçoit parfaitement un rôle européen pour les régions : « Ma passion pour la Lorraine, c’est de lui permettre de participer à la construction de l’Europe avec la valeur ajoutée française. ». Ces quelques interventions montrent, à l’évidence, un manque de cohésion au sein de la majorité.

[4] Notion différente des contrats de plan, car elle prend en compte la globalité de la nation et permet à tous d’identifier les grands chantiers pour l’avenir.

[5] Une lettre de cadrage et d’orientation à moyen et long termes de l’Etat serait adressée aux régions. A partir de cette orientation, une très large concertation régionale se déroulerait au sein même du Conseil, mais aussi auprès des associations.

[6] Délibération globale du Conseil régional. L’ensemble de ces délibérations permettrait également à l’Etat de finaliser le plan.

[7] Dans le cadre du plan, une décentralisation très poussée pourra être développée : responsabilités et actions.