Communiqué du 06 février 2008

 

De Villepin et le service de la France et des Français

 
  • Dominique de Villepin : "Il faut moins de personnalisation... notre pays s'en portera mieux"

Les conseillers du président s'expriment bien plus que vous ne le faisiez lorsque vous étiez secrétaire général de l'Elysée. Est-ce normal ?

C'est une question d'époque, et c'est surtout une question de choix. Claude Guéant l'a très bien rappelé hier. C'est le président de la République qui décide comment les choses se passent. C'est une question institutionnelle. Dans la conception de la Ve République, les conseillers n'ont pas vocation à s'exprimer publiquement. Nous avons là un changement par rapport à cette conception traditionnelle de la Ve.
 

Mais est-ce une dérive ?

C'est un changement, à mon avis, qui est source de dérive. La responsabilité est exercée soit par des élus, soit par ceux qui ont en ont reçu la mission officiellement, c'est-à-dire par les ministres, de concourir à l'expression de telle ou telle politique. Dans le cas présent, l'appel à des conseillers qui s'expriment publiquement peut être une bonne chose quand cela se fait en harmonie, en coordination avec les autres. Il s'agit d'expliquer la politique. Dans ce cas, que ceux qui sont les plus proche du président puissent expliquer la parole présidentielle, cela peut être utile. Que ce soit l'expression de différences et que cela conduise à des arbitrages, alors il y a un problème. Nous sommes évidemment devant un problème et il appartient au président de la République de trancher. Car sinon, le jeu médiatique, le risque de l'époque dans lequel nous vivons, fait qu'il peut y avoir des incohérences.
 

Considérez-vous que Nicolas Sarkozy a introduit une rupture dans notre politique étrangère ?

Pour moi, deux principes structurent la politique étrangère de la France. Le premier, celui de l'indépendance nationale. C'est un principe fondamental, cardinal, qui a structuré toute notre politique étrangère à partir du général de Gaulle. Le deuxième principe, non écrit, de notre diplomatie, est un principe d'équilibre entre l'est et l'ouest, entre le nord et le sud, d'équilibre à travers la défense d'autres principes, comme celui de la diversité culturelle, qui est essentiel au rayonnement de la France. Aujourd'hui, il y a des risques sur ces deux principes.
 

Jean-Louis Debré, le président du Conseil constitutionnel, est sorti de sa réserve, pour dire que la présidence de la République manque de dignité. Partagez-vous cette vision ?

Je crois que la présidence de la République a perdu en concentration sur l'essentiel, à savoir le service de la France et le service des Français. Il faut revenir à cet essentiel. Il est bon que la France mette ce qu'elle a toujours été, l'ambition, au-delà de tout. Les hommes passent, la France reste. L'idée que les Français se font d'eux-mêmes, c'est quelque chose de durable et qu'il faut défendre. Je suis pour moins de personnalisation, davantage de défense du bien public, davantage de défense des intérêts de la France, davantage de défense des projets et de la vision de la France. Notre pays s'en portera mieux.
 

Vous parlez de Nicolas Sarkozy sans le citer...

Ce qui m'importe, c'est le président de la République. Je ne personnalise pas. Nicolas Sarkozy est assez grand pour savoir qu'au cours des huit derniers mois, des choses n'ont pas bien marché. Le début de la politique, c'est d'avoir autour de soi des gens qui vous disent des choses.
 

M. Sarkozy a-t-il choisi les meilleurs ?

Je n'en suis pas sûr. Et je ne crois pas que la politique d'ouverture ait été gérée de telle façon qu'elle conduise les meilleurs au pouvoir. L'ouverture donne le sentiment de créer la diversité, mais vous n'avez pas forcément des gens qui assument leurs différences en étant au pouvoir. Ce n'est pas de donner l'impression, avec des images, un casting, de la diversité ; ce qui compte, c'est la réalité des choses. En quoi la politique menée depuis huit mois porte la marque d'une véritable différence d'aspirations ? Ce qui compte, c'est la capacité des hommes à dire ce qu'ils pensent en toutes circonstances. Il y a peut-être un défaut dans l'autorité de certains à dire des choses fortes.
 

  • Propos recueillis par Raphaëlle Bacqué, Thomas Hugues et Stéphane Paoli - Le Monde.fr