Législatives 1967

Retour                                                                                                                                                                           Mis en ligne le 5 mars 2012

 

Désaccord. De retour à Londres pour s'entretenir avec le chef de la France libre, l'amiral auréolé du succès du ralliement de Saint-Pierre-et-Miquelon [24 décembre 1941] et de la levée de cinq cents volontaires de l'Archipel pour combattre sous les couleurs françaises marque sa différence.

Le 27 février 1942 dans la soirée, Emile Muselier [photo] peut enfin prendre l'avion pour rejoindre la Grande-Bretagne. Son retour a été différé en raison de très mauvaises conditions météorologiques. Il est accueilli par le général de Gaulle accompagnés de plusieurs commissaires nationaux et de plusieurs officiers dont le capitaine de vaisseau Moret, son chef d'état-major.

Le chef de la France libre le félicite chaleureusement pour son succès de la Noël 1941 et tient à l'emmener à son hôtel dans son propre véhicule. Les relations entre les deux officiers ne tardent pas à se tendre. Le premier point d'achoppement est la personnalité du chef d'état-major de Muselier. Le Général souhaite le remplacement de Moret. L'amiral lui oppose les procédures à suivre car il ne considère pas qu'il ait démérité.

De Gaulle propose alors au marin, une nouvelle mission d'importance alors que la situation dans l'océan Indien se complique en raison de la domination écrasante qui est manifestée par les forces navales japonaises. L'objectif et de réussir à Madagascar une expédition destinée à rallier le pays toujours sous domination vichyste à la croix de Lorraine. Il existe le danger de voir les Nippons s'y implanter et en faire une base de rayonnement dans la grande région maritime. De Gaulle n'ignore pas que les Anglais ont envisagé une opération préventive menée depuis l'Afrique du Sud mais il considère que cela ne servirait pas les intérêts de la France libre. Le vice-amiral Muselier ne veut pas rendre sa réponse dans l'instant et demande un temps de réflexion : « J'accepte en principe, car une opération de cet ordre m'intéresse, mais à deux conditions : que vous ayez avant toute chose l'accord formel et écrit de nos alliés anglais et américains, que je ne sois pas obligé de faire couler le sang français. Vous savez que je me refuse à cela ».

Le Général le rassure, dit disposer de l'accord formel du gouvernement britannique et même désormais de celui de Washington. Toutefois il prend la précaution d'ajouter : « S'il y a résistance, vous serez bien obligé de vous battre avec les gens de Vichy. D'ailleurs, un plan a été établi que je vous remettrai lundi matin ». Muselier ne réplique pas mais il ne veut pas céder à de Gaulle. Il est encouragé par Moret et certains officiers de l'amirauté britannique. En guise de conclusion, il se contente d'un laconique : « J'examinerai ce plan. Je sais fort bien comment on doit jouer la carte Madagascar sans effusion de sang ».
Muselier se rapproche du général d'armée Odic, un aviateur à la retraite, favorable à créer des liens avec des officiers restés fidèles à Vichy mais opposés aux Allemands.

  • L'explication de Carlton Gardens

Le général Martial Valin, patron des Forces aériennes françaises libres se méfie de son aîné. Odic déçu veut regagner les Etats-Unis mais il s'ouvre de ses interrogations à Muselier. Le 2 mars, l'amiral se rend au siège de la France libre et rencontre de Gaulle dans son bureau de Carlton Gardens. Le Général n'a pas changé d'avis. Il réitère son hostilité envers Moret et lui reproche notamment les télégrammes qu'il a adressés à l'amiral en chiffre personnel, c'est-à-dire en code. De Gaulle dit disposer des doubles de ces échanges. Cela crispe un peu plus les relations entre les deux hommes. Muselier est certain que les documents n'ont pas pu être décryptés tandis que le Général tient à les lui montrer mais ne parvient pas à mettre la main dessus. De Gaulle cite alors de mémoire plusieurs propos tenus et l'Amiral est alors convaincu qu'un membre de l'état-major des Forces navales françaises libres a bien renseigné le chef des FFL. Et de répliquer : « Mon général, vous n'avez pu avoir connaissance de ces télégrammes qu'en achetant un de mes officiers du chiffre. Je vais faire une enquête qui est d'autant plus importante qu'une indiscrétion grave, dont je veux connaître la cause, a été commise à propos des ordres que vous m'avez donnés pour Saint-Pierre ».

De Gaulle est furieux d'autant que Muselier décide de faire traduire devant un tribunal maritime le commissaire de troisième classe Fleury. Pour le soustraire à une condamnation, le Général le fait transférer dans l'armée de terre. De Gaulle tient à l'opération de Madagascar aussi remet-il à Muselier le dossier préparé par son état-major particulier. Il vérifie chaque argument et son fidèle Moret lui assure que les FFL n'ont ni l'autorisation des Anglais, ni celle des Américains. Il pense donc que le Général veut rééditer le coup de Saint-Pierre-et-Miquelon mais avec des risques de conflit ouvert beaucoup plus importants. Muselier qui sait les interventions directes du chef des FFL auprès de la marine estime que cela contrevient avec : « l'indépendance de l'armée de mer ». Il ne partage pas plus son point de vue sur la constitution des nouveaux modules des forces navales. L'imminence d'un clash est évidente.

  • Remercié et remplacé

La réunion du Comité national, le 3 mars 1942 permet d'inciser l'abcès. De Gaulle est entouré des généraux Legentilhomme, Valin, de René Pleven, de Diethelm et Dejean. L'amiral dresse le bilan de l'opération de Saint-Pierre ce qui lui vaut à nouveau des félicitations du chef des FFL qui précise : « Vous voyez messieurs, que j'ai eu raison de donner l'ordre d'occupation malgré l'avis de nos alliés ». L'amiral exprime alors son désaccord profond sur la méthode et ajoute une série de griefs qui met en cause le fonctionnement des services gaullistes. Il dit alors démissionner du Comité national pour marquer sa totale désapprobation de la politique conduite depuis Carlton Gardens. Pleven, Legentilhomme rendent visite quelques heures plus tard à Muselier pour le faire revenir sur sa décision.

L'amiral ne se laisse pas convaincre rédige sa lettre de démission à laquelle le Général répond sans tarder le 4 mars : « J'ai l'honneur de faire connaître que j'accepte cette démission. Quel que puisse être mon regret de voir le Comité national perdre le bénéfice de votre collaboration, la cohésion du Comité doit pour moi, l'emporter sur toute autre décision ». De Gaulle ne cède en rien mais use de cette formule pour gêner son opposant : « J'espère pouvoir continuer à utiliser vos hautes qualités et votre grande expérience de chef et de marin dans l'exercice d'un commandement militaire, comme vous en exprimer le désir. En tout cas, je serai toujours heureux de recueillir en matière militaire vos avis et vos conseils ».

Le même jour, il nomme par décret le capitaine de vaisseau Auboyneau, commandant « Le Triomphant » au grade de contre-amiral à titre temporaire. Et de préciser : « Le contre-amiral Auboyneau est nommé commissaire national à la marine en remplacement du vice-amiral Muselier dont la demande de démission en cette qualité est acceptée ». Muselier est alors placé en réserve de commandement à la disposition directe du général de Gaulle. Moret est désigné parcha du bâtiment « Le Triomphant ». Le capitaine de vaisseau Ortoli devient chef d'état-major de la marine. Ainsi, la réorganisation du commissariat et de l'état-major de la Royale doit favoriser un fonctionnement en phase avec les attentes du Général. Un communiqué de presse officialise ces décisions et est adressé à tous les représentants de la France libre dans le monde.

Hervé Chabaud
h.chabaud@journal-lunion.fr