Désaccord.
De retour à Londres pour s'entretenir avec le chef de la France
libre, l'amiral auréolé du succès du ralliement de
Saint-Pierre-et-Miquelon [24 décembre 1941] et de la levée de
cinq cents volontaires de l'Archipel pour combattre sous les
couleurs françaises marque sa différence.
Le 27
février 1942 dans la soirée, Emile Muselier [photo] peut
enfin prendre l'avion pour rejoindre la Grande-Bretagne. Son
retour a été différé en raison de très mauvaises conditions
météorologiques. Il est accueilli par le général de Gaulle
accompagnés de plusieurs commissaires nationaux et de plusieurs
officiers dont le capitaine de vaisseau Moret, son chef
d'état-major.
Le chef de
la France libre le félicite chaleureusement pour son succès de
la Noël 1941 et tient à l'emmener à son hôtel dans son propre
véhicule. Les relations entre les deux officiers ne tardent pas
à se tendre. Le premier point d'achoppement est la personnalité
du chef d'état-major de Muselier. Le Général souhaite le
remplacement de Moret. L'amiral lui oppose les procédures à
suivre car il ne considère pas qu'il ait démérité.
De Gaulle
propose alors au marin, une nouvelle mission d'importance alors
que la situation dans l'océan Indien se complique en raison de
la domination écrasante qui est manifestée par les forces
navales japonaises. L'objectif et de réussir à Madagascar une
expédition destinée à rallier le pays toujours sous domination
vichyste à la croix de Lorraine. Il existe le danger de voir les
Nippons s'y implanter et en faire une base de rayonnement dans
la grande région maritime. De Gaulle n'ignore pas que les
Anglais ont envisagé une opération préventive menée depuis
l'Afrique du Sud mais il considère que cela ne servirait pas les
intérêts de la France libre. Le vice-amiral Muselier ne veut pas
rendre sa réponse dans l'instant et demande un temps de
réflexion : « J'accepte en principe, car une opération de cet
ordre m'intéresse, mais à deux conditions : que vous ayez avant
toute chose l'accord formel et écrit de nos alliés anglais et
américains, que je ne sois pas obligé de faire couler le sang
français. Vous savez que je me refuse à cela ».
Le Général
le rassure, dit disposer de l'accord formel du gouvernement
britannique et même désormais de celui de Washington. Toutefois
il prend la précaution d'ajouter : « S'il y a résistance, vous
serez bien obligé de vous battre avec les gens de Vichy.
D'ailleurs, un plan a été établi que je vous remettrai lundi
matin ». Muselier ne réplique pas mais il ne veut pas céder à de
Gaulle. Il est encouragé par Moret et certains officiers de
l'amirauté britannique. En guise de conclusion, il se contente
d'un laconique : « J'examinerai ce plan. Je sais fort bien
comment on doit jouer la carte Madagascar sans effusion de sang
».
Muselier se rapproche du général d'armée Odic, un aviateur à la
retraite, favorable à créer des liens avec des officiers restés
fidèles à Vichy mais opposés aux Allemands.
Le général
Martial Valin, patron des Forces aériennes françaises libres se
méfie de son aîné. Odic déçu veut regagner les Etats-Unis mais
il s'ouvre de ses interrogations à Muselier. Le 2 mars, l'amiral
se rend au siège de la France libre et rencontre de Gaulle dans
son bureau de Carlton Gardens. Le Général n'a pas changé d'avis.
Il réitère son hostilité envers Moret et lui reproche notamment
les télégrammes qu'il a adressés à l'amiral en chiffre
personnel, c'est-à-dire en code. De Gaulle dit disposer des
doubles de ces échanges. Cela crispe un peu plus les relations
entre les deux hommes. Muselier est certain que les documents
n'ont pas pu être décryptés tandis que le Général tient à les
lui montrer mais ne parvient pas à mettre la main dessus. De
Gaulle cite alors de mémoire plusieurs propos tenus et l'Amiral
est alors convaincu qu'un membre de l'état-major des Forces
navales françaises libres a bien renseigné le chef des FFL. Et
de répliquer : « Mon général, vous n'avez pu avoir connaissance
de ces télégrammes qu'en achetant un de mes officiers du
chiffre. Je vais faire une enquête qui est d'autant plus
importante qu'une indiscrétion grave, dont je veux connaître la
cause, a été commise à propos des ordres que vous m'avez donnés
pour Saint-Pierre ».
De Gaulle
est furieux d'autant que Muselier décide de faire traduire
devant un tribunal maritime le commissaire de troisième classe
Fleury. Pour le soustraire à une condamnation, le Général le
fait transférer dans l'armée de terre. De Gaulle tient à
l'opération de Madagascar aussi remet-il à Muselier le dossier
préparé par son état-major particulier. Il vérifie chaque
argument et son fidèle Moret lui assure que les FFL n'ont ni
l'autorisation des Anglais, ni celle des Américains. Il pense
donc que le Général veut rééditer le coup de
Saint-Pierre-et-Miquelon mais avec des risques de conflit ouvert
beaucoup plus importants. Muselier qui sait les interventions
directes du chef des FFL auprès de la marine estime que cela
contrevient avec : « l'indépendance de l'armée de mer ». Il ne
partage pas plus son point de vue sur la constitution des
nouveaux modules des forces navales. L'imminence d'un clash est
évidente.
La réunion
du Comité national, le 3 mars 1942 permet d'inciser l'abcès. De
Gaulle est entouré des généraux Legentilhomme, Valin, de René
Pleven, de Diethelm et Dejean. L'amiral dresse le bilan de
l'opération de Saint-Pierre ce qui lui vaut à nouveau des
félicitations du chef des FFL qui précise : « Vous voyez
messieurs, que j'ai eu raison de donner l'ordre d'occupation
malgré l'avis de nos alliés ». L'amiral exprime alors son
désaccord profond sur la méthode et ajoute une série de griefs
qui met en cause le fonctionnement des services gaullistes. Il
dit alors démissionner du Comité national pour marquer sa totale
désapprobation de la politique conduite depuis Carlton Gardens.
Pleven, Legentilhomme rendent visite quelques heures plus tard à
Muselier pour le faire revenir sur sa décision.
L'amiral
ne se laisse pas convaincre rédige sa lettre de démission à
laquelle le Général répond sans tarder le 4 mars : « J'ai
l'honneur de faire connaître que j'accepte cette démission. Quel
que puisse être mon regret de voir le Comité national perdre le
bénéfice de votre collaboration, la cohésion du Comité doit pour
moi, l'emporter sur toute autre décision ». De Gaulle ne cède en
rien mais use de cette formule pour gêner son opposant : «
J'espère pouvoir continuer à utiliser vos hautes qualités et
votre grande expérience de chef et de marin dans l'exercice d'un
commandement militaire, comme vous en exprimer le désir. En tout
cas, je serai toujours heureux de recueillir en matière
militaire vos avis et vos conseils ».
Le même
jour, il nomme par décret le capitaine de vaisseau Auboyneau,
commandant « Le Triomphant » au grade de contre-amiral à titre
temporaire. Et de préciser : « Le contre-amiral Auboyneau est
nommé commissaire national à la marine en remplacement du
vice-amiral Muselier dont la demande de démission en cette
qualité est acceptée ». Muselier est alors placé en réserve de
commandement à la disposition directe du général de Gaulle.
Moret est désigné parcha du bâtiment « Le Triomphant ». Le
capitaine de vaisseau Ortoli devient chef d'état-major de la
marine. Ainsi, la réorganisation du commissariat et de
l'état-major de la Royale doit favoriser un fonctionnement en
phase avec les attentes du Général. Un communiqué de presse
officialise ces décisions et est adressé à tous les
représentants de la France libre dans le monde.
Hervé Chabaud
h.chabaud@journal-lunion.fr
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