Communiqué du 13 février 2008

 

Le mépris des principes est la cause des malheurs publics

 
  • Christian Darlot, Chercheur au CNRS

En commentaire au coup d’État de Versailles, plusieurs juristes ont affirmé que ratifier le traité de Lisbonne par voie parlementaire était peut-être politiquement choquant mais constitutionnellement possible.

Cette opinion ne résiste pas à un instant de réflexion, car elle cantonne la Constitution à sa lettre. Or non seulement la Constitution est un ensemble logique et articulé, inspiré d’une pensée politique cohérente, mais des Principes fondamentaux du Droit existent, supérieurs aux textes juridiques par leur prééminence, et situés à la base de l'édifice juridique pour leur solidité.

Certains sont très généraux et très connus, souvent cités sous la forme d'un adage de droit romain. Par exemple l'autorité de la chose jugée (non bis in idem) ou la légalité et la non-rétroactivité des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege praevia). D'autres sont plus particuliers : « le lieu régit le droit » (locus regit actum), ce qui suffit à renvoyer Bolkestein au néant ; « nul ne peut alléguer de sa propre turpitude » (nemo auditur propriam turpitudinem allegans) etc.

Les énoncés de ces principes résultent de siècles d’expérience, qui les ont fait reconnaître comme indispensables à la paix civile et à la liberté personnelle.

D’autres principes portent sur l'usage de la puissance politique. Ainsi « Que les consuls veillent à ce que la chose publique ne subisse aucun dommage » (caveant consules ne quid detrimenti respublica capiat).

Nos politiciens qui asservissent la France devraient y être rappelés.

Et il y a bien sûr des principes exprimés en bon français, au premier chef la Déclaration des Droits de 1789, dont les traités européens violent tous les articles politiques.

Or parmi les plus fondamentaux des Principes fondamentaux du Droit, deux principes parallèles et étroitement liés sont la hiérarchie des normes et la hiérarchie des pouvoirs.

Il va de soi, en effet, que les Principes sont plus importants que la Constitution, celle-ci supérieure aux lois, qui sont à leur tour supérieures aux règlements et à la jurisprudence. Ainsi les Principes fondent la Constitution, qui fonde les lois etc. C’est la hiérarchie des normes.

De même, une décision prise par une autorité peut être cassée par une autorité supérieure, mais pas par une inférieure. C'est la hiérarchie des pouvoirs ; c’est le bon sens même.

Une décision prise par référendum ne peut donc évidemment être modifiée que par le même moyen, puisqu'il n'y a pas d'autorité supérieure au Souverain. Les mandataires ne sont pas supérieurs aux mandants, et il serait extravagant qu'ils s'imaginent l'être lorsqu'ils n'ont pas été explicitement mandatés. Violer ce principe, c'est renverser tout l'ordre juridique, puisque, comme leur nom l'indique, les Principes fondamentaux sont à la base du Droit !

Soutenir que le Parlement puisse ratifier un traité contre la décision du Peuple Souverain suppose que l'on considère le Droit de façon irrationnelle, sans conscience de son origine ni de ses règles, sans souci de logique, et sans prévoir les conséquences sociales ni politiques de l’effondrement de l’ordre juridique.

Nier que le respect des Principes fondamentaux conditionne la validité de tout texte et de tout acte reviendrait à réduire le Droit à un ramassis d'usages pratiques inarticulés qui pourraient être changés à tout moment par des pouvoirs non habilités à le faire. C'est d'ailleurs ce que sont les textes émanant de ce pouvoir sans fondement qu’est l'Union Européenne, et c’est pourquoi les traités européens, incohérents et anti-démocratiques, ne peuvent être approuvés, en leur état, par quiconque jouit de quelque cohérence mentale.

Sur cette pente, c'est tout l'ordre social, la paix civile et la sûreté personnelle qui sont en danger. Le mépris des principes a des conséquences économiques, sociales, politiques, qui ne se font pas sentir tout de suite mais sont terribles à long terme.

La trahison de Versailles nous a fait entrer dans le non-droit. Violer la souveraineté du Peuple, c'est rétablir sans le dire le despotisme, obliquement éclairé, et le suffrage censitaire (dont les effets désastreux sont, hélas, connus : 1790, 1848, 1954 !). Mais comment les fonder ? Trois siècles d'évolution vers la pensée rationnelle ne permettent plus de se référer à la coutume, ni au droit divin. Pour rétablir l’inégalité, il faudrait bien pourtant lui trouver un fondement philosophique, au-delà de la mondialisation inéluctable et de la lutte contre le terrorisme ! Mais c'est évidemment impossible. Aussi tout cet échafaudage de traités bancals s'écroulera-t-il, ensevelissant ses auteurs, et beaucoup d'innocents, sous les ruines.

L'Union Européenne est morte désormais ; maintenant reste à savoir comment elle s’effondrera, et comment limiter les dégâts qui résultent de quatre décennies d'erreurs.

 

Il faut rétablir la République.

 

  • Christian Darlot 5 février 2008