10 mai
2009

 

La chevalerie gaulliste

 
  • Rencontre avec François Broche à propos de "Les Hommes de De Gaulle", éditions Pygmalion, 2006.
    Raphaël Dargent, Cercle Jeune France


Raphaël Dargent. -Vous avez tenu pendant plus d’une année une bien jolie chronique sur notre site : « Rendez-vous avec de Gaulle ». Poursuivant la réflexion, vous publiez aujourd’hui un fort bel ouvrage intitulé « Les hommes de De Gaulle ». Pourquoi un tel sujet ? 

François Broche. - Probablement pour donner à cette chronique à la fois un prolongement et un peu plus d’épaisseur. J’avais envie d’aller au-delà de ces premières rencontres, dont aucune ne ressemblait aux autres, mais qui, toutes, produisaient sur les hommes qui venaient se mettre au service du Général une très forte impression. J’ai voulu, en somme, montrer pourquoi eux le choisissaient et comment lui les choisissait.

R.D. - A-t-on raison d’utiliser l’image de la chevalerie lorsqu’on évoque la France Libre ? Être reconnu par de Gaulle, était-ce un adoubement ?

F.B. - Sans aucun doute. L’image de la chevalerie a été utilisée par Malraux et de Gaulle l’a adoptée en se nommant « Grand Maître » de l’Ordre de la Libération. Il avait été un moment question d’appeler les Compagnons de la Libération « les Croisés de la Libération ». Les croisades ont souvent été prêchées par un homme seul, qui savait trouver le discours susceptible d’entraîner les foules. C’est le cas du Général : il est seul le 18 juin et, d’emblée, il trouve les mots qu’il faut pour parler aux Français – des mots de tous les jours et des mots sublimes à la fois.

Adouber, cela signifie à l’origine « frapper » : autrefois, le futur chevalier recevait un coup sur la tête donné par son parrain. Avec de Gaulle, c’est un choc que l’on reçoit. Ce fut le cas, entre mille autres, de Pierre Lefranc et de ses camarades, à qui il lance : « Mes jeunes amis, vous n’avez encore rien fait tant que vous n’êtes pas morts pour la France ! » Ces garçons de vingt ans ont d’abord été désagréablement choqués, puis, à la réflexion, ils ont été ravis d’être traités comme des hommes, comme des combattants.

R.D. - Comment l’homme politique que devint le Général après la guerre choisissait-il ses collaborateurs ? Avait-il des critères précis ? était-ce simplement une question de conviction ou de savoir-faire ou y avait-il aussi de l’affectif ?

F.B. - Un de mes chapitres est intitulé « les coulisses du casting ». Théoriquement, il y a des critères à remplir pour être ministre. Ils sont énumérés dans Vers l’armée de métier dès 1934 : « serviteur du seul Etat, dépouillé de préjugés, dédaigneux des clientèles, commis enfermé dans sa tâche, homme assez fort pour s’imposer », etc. Dans la pratique, tous n’ont pas correspondu à ce portrait-type et les conflits entre de Gaulle et ses collaborateurs ont été nombreux. Mais, dans l’ensemble, il ne se trompait pas beaucoup. Il avait le souci constant de choisir les meilleurs – les plus compétents.

Pendant la guerre, le critère du patriotisme était bien sûr très important ; après 1958, c’était surtout le sens de l’Etat qui prédominait. Je cite, au passage une belle formule de Michel Debré : « cette complicité d’Etat que crée un goût commun pour la réussite d’une belle œuvre nationale. » L’affectif jouait, bien entendu, mais n’était pas décisif. Un exemple saisissant : entre Leclerc, qu’il aimait, et de Lattre, dont il n’oubliait pas qu’il avait longtemps servi Vichy, il tranchera en faveur du second dans le conflit stratégique qui opposera ces deux hommes en 1944-1945.

R.D. - Nombreux sont ceux qui eurent à pâtir du fort caractère du Général. Etait-il dur, voire injuste, avec ses collaborateurs ?

F.B. - Dur, il pouvait l’être – il le fut avec Leclerc. Je dirais plutôt qu’il avait la dent dure – c’est le titre d’un autre de mes chapitres – envers ceux dont il estimait qu’ils l’avaient trahi. Et alors, oui, il pouvait être injuste. Ses vacheries sont innombrables et elles ont fait le bonheur des chroniqueurs ! Celle-ci, par exemple, à propos de René Pleven, ministre de la Défense en 1954, qu’il rendait bien injustement responsable du désastre de Dien Bien Phu : « C’est le sort des renégats de s’enfoncer dans l’abjection » Ou cette autre, à propos du général Kœnig, candidat à la présidence de la République en décembre 1953 : « Il pense avec son képi ! »

R.D. - On a souvent critiqué l’attitude de « godillots » des fidèles du Général. De Gaulle Était-il indiscutable et indiscuté parmi les gaullistes ?

F.B. - Napoléon avait ses « grognards », De Gaulle a eu des « godillots » qui étaient parfois, eux aussi, des « grognards ». Il y a toujours eu des gaullistes pour reprocher au Général de ne pas se conformer à leur idée de la France ou à leurs propres intérêts.

R.D. - On sait que les caricaturistes comparaient de Gaulle à Louis XIV. Se comportait-il en monarque avec ses collaborateurs directs ?

F.B. - Je dirais plutôt : en patron extraordinairement compétent, très exigeant, souvent manipulateur, parfois tyrannique, mais accessible aux points de vue différant des siens, pourvu qu’ils soient motivés. Bernard Tricot prétendait qu’on pouvait lui résister, faire valoir des objections. Philippe de Gaulle assure qu’il préférait ceux qui lui résistaient : « ceux-là, disait-il, ont du caractère et des convictions. »

R.D. - A l’inverse, n’y avait-il pas une attitude de courtisans de la part de certains ?

F.B. - Sûrement, mais le Général n’y accordait aucune importance et l’Histoire ne retiendra pas leur nom !

R.D. - Après votre étude fouillée, pouvez-nous dire quels sont les hommes dont le Général a particulièrement apprécié la qualité de l’engagement et les compétences ? Quelle était en quelque sorte la garde rapprochée, le cœur des fidèles ?

F.B. - La liste serait longue. On peut y faire figurer, au premier chef, ses trois Premiers ministres, même si les relations avec Debré et Pompidou n’ont pas toujours été au beau fixe, et la plupart des hommes du « premier cercle » (Courcel, Palewski, Brouillet, Burin des Roziers, Tricot, Guichard, Foccart, Lefranc…) et aussi des personnalités qu’il aimait, admirait ou appréciait tout particulièrement : Leclerc, Moulin, Malraux, dont il subira jusqu’au bout la fascination et qui a écrit le plus beau livre paru sur le Général : Les Chênes qu’on abat…

R.D. - Quelles ont été finalement les relations entre de Gaulle et Pompidou sur lesquelles on a beaucoup disserté ? De l’ordre de la filiation ou de la déception ? Les avis des gaullistes eux-mêmes sont partagés là-dessus.

F.B. - Le sujet ne sera pas épuisé en quelques phrases ! Filiation et déception, très certainement. Pompidou l’a servi avec un loyalisme et une compétence que nul ne peut discuter, jusqu’en mai 1968, où il a fait une autre politique que celle voulue par le Général. La fracture ouverte à ce moment-là s’est élargie avec l’affaire Markovic et les déclarations de Rome et Genève au début de 1969. Il n’en reste pas moins que le Général a souhaité la candidature de Pompidou à l’Elysée et qu’il l’a félicité après son élection. Les gaullistes ont tous leur idée sur Pompidou, mais aucun d’entre eux (à part peut-être quelques-uns de ces frénétiques qui s’appelaient, on se demande pourquoi, les « gaullistes de gauche ») ne peut sérieusement nier qu’eu égard à tous les successeurs potentiels ou éventuels (Debré, Couve, Chaban, sans oublier le calamiteux comte de Paris), il était le meilleur et le plus qualifié.