Le
"traité modificatif" que les dirigeants européens se sont empressés de
rédiger, signer et bientôt de ratifier sans demander leur avis aux
peuples, est bien le recyclage à 95% du "Traité établissant une
Constitution pour l'Europe" refusé il y a deux ans.
Depuis le 29 mai 2005,
les tenants du "oui" passent leur temps à juger dans leur petit coin ce
à quoi les Français ont dit "non", pour mieux relancer la Constitution
européenne. Comme si les partisans de Ségolène Royal jugeaient
illégitimes tout ou partie des motivations du vote "Sarkozy", pour
obliger celui-ci à céder sa place à celle-là...
La vérité est que l'on
retrouve intacts, dans ce "traité constitutionnel bis" qui ne dit plus
son nom, tous les motifs qui avaient conduit le peuple français - près
de 16 millions d'électeurs de gauche et de droite - à ne pas donner un
nouveau chèque en blanc à l'Europe de Bruxelles. Quel démocrate sincère
peut estimer normal de faire entrer en vigueur un texte que le peuple a
rejeté par référendum ? Pourquoi le priver du droit de s'exprimer sur le
nouveau traité ? Pourquoi supprimer aussi le référendum pourtant
obligatoire sur tout nouvel élargissement et renoncer d'opposer le veto
de la France à la poursuite des négociations d'adhésion de la Turquie ?
En attendant le jugement
de l'Histoire, voici 10 questions et 10 réponses pour comprendre comment
est relancée la fédéralisation de l'Europe, dans l'hypocrisie générale.
Le nouveau traité européen en 10
questions
1 - Est-ce un
"mini-traité"?
Loin de là. Il suffit de
relire (en annexe ci-dessous) ce qu'en disent les dirigeants européens
eux-mêmes : le traité n'est ni plus simple, ni plus lisible et pas du
tout plus court que le traité constitutionnel qu'il remplace.
Le projet de Constitution
européenne qui devait remplacer l'ensemble des traités actuels,
comportait déjà 474 pages. Dans sa nouvelle version sobrement intitulée
"traité modificatif", qui transfère le contenu de la Constitution
européenne initiale dans deux traités existants, la longueur totale des
traités européens dépassera les 3.000 pages !
2 - Est-ce un "traité
simplifié" ?
Non plus. Le traité sur
l'Union européenne (TUE – domaines intergouvernementaux) et le traité
sur la Communauté européenne (TCE – domaines communautarisés) sont en
apparence conservés. Mais ce sont en réalité des coquilles dont les
contenus sont modifiés pour correspondre, dans leur esprit et dans leur
lettre, à la première partie (les principes) et à la troisième partie
(les modalités) de la défunte Constitution.
La Communauté s'appelle
désormais "l'Union", les deux "Unions" sont dans les mêmes traités,
tout est dans tout, et on obtient à peu près le même résultat que l'ex
projet de Constitution, qui avait au moins l'honnêteté d'afficher
clairement qu'il voulait tout fusionner. Mais ce tour de passe-passe
complique beaucoup le texte : le traité soi-disant « simplifié » est
encore plus difficile à comprendre, pour les citoyens que l'ancienne
Constitution européenne.
3 - L'Union
européenne est-elle "en panne" ?
Oui, du fait de la
fédéralisation rampante totalement inadaptée à la gestion d'une Europe à
Vingt-sept et plus. Le système communautaire est devenu tellement rigide
qu'il finit par se bloquer et que les peuples finissent par le rejeter.
Cela n'empêche pas, dans
le même temps, la Commission de produire directives et règlements à une
cadence bien supérieure à celle qu'a connue l'Europe pendant toute la
période féconde en textes nouveaux, de mise en place du marché intérieur
sous les présidences de Jacques Delors.
Comme l'a rappelé l'année
dernière l'ancien président allemand Roman Herzog, déjà 85% des lois et
règlements applicables dans nos pays sont préparés à Bruxelles...sans
parler des grandes décisions économiques.
4 - Y-aura-t-il un
débat sur le nouveau traité ?
On voit mal où aurait
lieu le débat si la procédure de ratification n'empruntait plus la voie
du référendum mais la voie parlementaire. Puisque les députés et
sénateurs étaient massivement favorables à l'ancienne Constitution, ils
seront enclins à voter les yeux fermés pour le nouveau traité. Avec une
différence majeure : avant ils pouvaient faire semblant de ne pas
comprendre que les Français n'en veulent pas ; cette fois, les
parlementaires devront expliquer à quel titre ils se permettent de
contourner la volonté claire et nette du peuple français.
On ne voit pas davantage
à quel moment aurait lieu ce débat car tout se précipite depuis
l'élection de Nicolas Sarkozy. C'est du jamais vu depuis les origines du
processus européen. Entre le mandat du Conseil en 2001 et la signature
du projet complet de constitution européenne, il s'était écoulé 2 ans et
demi. Dans le cas du présent traité, il se sera écoulé seulement 4 mois
! : quelques jours pour boucler la négociation à Vingt-sept (21 et 22
juin), 1 mois pour la rédaction du projet (23 et 24 juillet), puis moins
de trois mois (dont la période de vacances) pour aboutir au texte signé
en octobre à Lisbonne. Pour éviter tout véritable débat, on a essoufflé
les Etats-membres éventuellement réticents mais surtout l'opinion
publique.
5 - Est-ce un "Traité
Sarkozy" réconciliant le "oui" et le "non" ?
C'est plutôt le "Traité
Merkel" assurant la revanche du "oui" sur le "non". Le Président
français semblait ne vouloir qu'un mini-traité ne reprenant que ce qui
faisait l'objet d'un accord général. On peut se demander si Nicolas
Sarkozy ne s'est pas fait "berner" en se laissant revendre toute la
Constitution.... Entre le projet allemand initial et le texte signé par
les Vingt-sept, la principale différence c'est la taille... des notes de
bas de page.
Le monde germanique étant
organisé sur le mode fédéral, nul étonnement à ce que le projet jette
les bases d'un fédéralisme européen, d'ailleurs très centralisé, à
partir du texte constitutionnel initial.
Ce projet rédigé par les
juristes du gouvernement allemand et ceux de la Commission n'est pas un
réel document de négociation. Il était déjà très complet avant l'été,
constitué de dispositions et d'articles déjà rédigés dans plusieurs
traités existants ou repris tels quels du défunt traité constitutionnel.
Il se présente d'ailleurs comme "le cadre exclusif des travaux de la
CIG", ce qui signifie qu'il n'y a plus rien à discuter et que le traité
qui sera bientôt signé définitivement à Lisbonne doit lui être
strictement conforme.
6 - Va-t-on vers une
association d'Etats ou un super-Etat ?
On n'associe plus, on
fusionne lentement. Plus personne ne croit d'ailleurs qu'on peut "faire
l'Europe sans défaire la France", du moins cette Europe-là.
Certes le texte n'évoque
plus les symboles européens, d'ailleurs peu contestés. C'est de toutes
façons pour mieux les voir réapparaître et pour la première fois sur le
portait présidentiel avec le drapeau bleu, ou sur les Champs-Elysées le
14 juillet avec l'hymne européen. De même, on ne parle plus de "lois
européennes" mais toujours de "fonction législative", de "procédure
législative" et même d'"acte législatif". Quelle est la différence ?
Certains mots n'y sont plus mais la chose n'a pas disparu. En réalité,
et c'est pour cela que les fédéralistes se réjouissent : le cœur
nucléaire permettant l'émergence d'une technostructure centralisée
européenne subordonnant les anciens Etats-nations, est bien en place.
Il y a la personnalité
juridique octroyée à l'Union (nouvel article 32 TUE) qui peut conclure
des accords internationaux "dans ses domaines exclusifs de compétence"
qui sont quasi illimités. Ce qui veut dire qu'à l'intérieur comme à
l'extérieur, Bruxelles ne dira plus "nous", mais "je", et que les Etats
devront peu à peu s'effacer (Cf., arrêt AETR de la Cour de Justice,
1971)
Il y a la supériorité des
lois européennes sur les lois nationales même constitutionnelles,
hypocritement déplacée dans une déclaration (n°29) en annexe. Elle
signifie que ni l'énergie d'un Président de la République, ni la volonté
d'un gouvernement soutenu par une majorité à l'Assemblée, ni même la
Constitution française ne peuvent plus s'opposer à des actes européens
(traités, directives, règlements, arrêts) qui leur sont contraires. Rien
ne pourra donc résister aux directives type "Bolkestein", aux
autorisations d'importer des OGM ou à la politique d'"immigration
économique massive" annoncée par la Commission et qui devient l'une de
ses compétences.
Il y a l'extraordinaire
pouvoir tombant entre les mains de la Cour de Justice qui devient juge
suprême des droits et libertés fondamentaux (Charte) ainsi que des
orientations du Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement
désormais organe de l'Union à part entière (art.16). Doit-on encore
appeler "démocratie" un pays dont le Président élu est obligé de courir
à Bruxelles ou Luxembourg pour s'y faire notifier des condamnations de
sa politique par des Commissaires et des Juges ?
Il y a enfin la création
d'un "Ministre des affaires étrangères sans le nom" (selon l'expression
du Président Sarkozy) avec de véritables services diplomatiques destinés
à évincer la politique étrangère des Etats.
7 - N'est-il pas
justement essentiel d'avoir une politique étrangère unique sur la scène
mondiale ?
Dans un monde imaginaire
idéal, oui. Mais veut-on faire de politique en dehors des réalités
géopolitiques ? Encore faudrait-il, dans ce domaine comme dans d'autres,
que les Vingt-sept ou trente soient d'accord sur tout. Cela supposerait
d'avoir la même histoire, la même culture, qui implique la même relation
au reste du monde, donc la même vision de son organisation, multipolaire
ou non. Mais il n'y a pas de peuple européen unique : là est le
malentendu originel. "Parmi les Gaulois, les Germains et les Latins,
beaucoup s'écrient : "Faisons l'Europe !" Mais quelle Europe ? C'est là
le débat" rappelait le Général de Gaulle. Et ce débat ne sera jamais
clôt. D'où l'importance de se rapprocher chaque fois que cela est
possible, mais sans jamais abandonner pour les affaires étrangères, le
vote à l'unanimité qui préserve la liberté de chaque nation.
Or, ce traité
constitutionnel fait basculer pas moins de 11 domaines de politique
étrangère à la majorité qualifiée. C'est à dire que la France pourra y
être mise en minorité (comme c'eût été le cas au sujet de la guerre
d'Irak en 2003) : en particulier sur la désignation du "Haut
représentant" (un véritable Ministre) aux affaires étrangères, la
politique extérieure qu'il proposera, l'organisation et le
fonctionnement de ses services diplomatiques, ou encore les problèmes de
terrorisme.
Pour deviner le degré
d'indépendance que l'Union européenne se fixe vis à vis des Etats-Unis,
rappelons que l'article 27 (TUE) prévoit que la politique de sécurité et
de défense doit être "compatible" avec celle de l'OTAN...
8 - Y-a-t-il beaucoup
de nouvelles compétences abandonnées à l'UE ?
Une bonne cinquantaine,
c'est à dire plus que dans le traité constitutionnel (environ 40).
C'est le plus important transfert de compétences jamais observé dans
l'histoire de la construction européenne. Il ne s'agit pas de
"délégations" de compétences, par définition contrôlables et
réversibles. Le traité utilise le terme précis d'"affectation" de
compétences à l'UE, c'est à dire incontrôlables par les Parlements
nationaux et transférées de manière irréversible vers Bruxelles. On
frappe ici en son cœur la souveraineté populaire, c'est à dire la
démocratie.
Président, Gouvernement
et Parlement nationaux abandonnent ce qui leur reste de compétences
notamment dans les domaines suivants : immigration, visas, asile,
accords de réadmission et gestion des frontières, politique commerciale
commune, services d'intérêts économiques généraux, coopération pénale et
policière, fonds structurels, circulation des travailleurs, sécurité
sociale, organisation et fonctionnement des services publics, réseaux
d'énergie, statut de la Banque centrale, santé publique, transport,
recherche, espace, culture, sport, tourisme...
Il faut y ajouter la
boite de pandore qu'ouvrent les 54 articles de la Charte de confiscation
"des droits fondamentaux" qui consacre un dangereux principe ethnique.
Voilà les juges de Luxembourg armés pour dévoyer les droits et libertés
séculaires jusqu'ici protégés par la Constitution française. Les
juristes ne donnent notamment pas cher des principes de laïcité,
d'unité de la République et s'inquiètent pour le droit de propriété ou
certains droits sociaux collectifs
9 - Ne serons-nous
pas plus forts dans la mondialisation ?
Pas en faisant l'Europe
comme cela. Voilà vingt ans qu'on nous promet des lendemains qui
chantent grâce à l'Euro et l'ouverture des frontières, comme lorsqu'on
nous a fait voter Maastricht en 1992. Malgré tout, notre outil de
production est en train de déménager laissant derrière lui des millions
de chômeurs, des friches industrielles et le désert rural.
Lorsque le Président
Sarkozy prend des accents villiéristes pour se dire "prêt à [s]'opposer
à toutes négociations qui seraient contraires à l'intérêt de notre pays"
à l'OMC, c'est magnifique ! Mais il oublie que la France n'y a aucun
droit de veto et que c'est un Commissaire de Bruxelles qui négocie,
seul, et sans jamais respecter le mandat que lui fixent les
Etats-membres. Même illusion lorsqu'il s'en prend, à juste titre, à la
politique déflationniste de la Banque centrale de Francfort. Surtout,
quel Nicolas Sarkozy faut-il croire : celui qui proclame la souveraineté
de la France devant les caméras ou celui qui l'abandonne dans un traité
européen (à son insu ?) ?
Ce traité confirme la
logique des traités actuels qui nous interdisent de piloter l'Euro, de
protéger nos marchés et de nous défendre dans les négociations
commerciales mondiales. Certes il mentionne la "protection des citoyens"
en tant qu'objectif mais c'est une simple déclaration politique non
suivie d'effets juridiques. En particulier, il renforce encore les
pouvoirs et l'indépendance de la Commission comme de la BCE dont
l'idéologie est libre-échangiste. Il ne change leur conception
dogmatique d'une concurrence sans contrepoids, sans intérêts nationaux,
sans frontières et sans souci de la démocratie (protocole n°6, art 3 et
4 CE).
10 - Que
proposez-vous pour sortir de l'impasse ?
D'abord il faut tirer
enfin les conséquences institutionnelles pratiques du "non" du 29 mai
qui fut un "oui" à la souveraineté du peuple inscrite dans la
Constitution française, pour remettre le pays légal en phase avec le
pays réel.
Cela implique au
préalable d'abroger l'article 88-1 alinéa 2 qui fait référence au défunt
traité constitutionnel. Il faut ensuite y inscrire cinq principes
fondamentaux pour une démocratie nationale souveraine et une Europe
libre :
1) la proclamation que
"La présente Constitution est la norme suprême de l'ordre juridique en
France. Elle prime notamment sur le droit de l'Union européenne dans
tous ses éléments.";
2) l'obligation de
référendum pour tout élargissement futur et le prévoir pour toute
révision consécutive à une déclaration d'inconstitutionnalité d'un
traité européen et toute ratification d'un traité communautaire par la
France ;
3) un contrôle
obligatoire de la conformité des traités européens à la Constitution
française ;
4) un contrôle
parlementaire obligatoire des projets de directives et de règlements
avec droit de non-participation de la France sur vote d'une résolution à
l'Assemblée nationale ;
5) le droit pour la
France de se retirer, à tout moment, de toute organisation
internationale notamment européenne.
Au plan européen, il faut
passer à une saine application de ces principes fondamentaux en lançant
des coopérations à géométrie et géographie variables avec les pays qui
le voudront : préférence communautaire, protection des frontières contre
l'immigration incontrôlée, actions dans le domaine des satellites (un
Galileo qui marche !), bouclier antimissile… Les champs d'action sont
immenses pour des coopérations européennes qui ne seraient pas enfermées
dans le carcan communautaire.
*Christophe BEAUDOUIN, avocat, dirige L'Observatoire de l'Europe après
le Non
www.observatoiredeleurope.com
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