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Observatoire du communautarisme
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Sophia Chikirou :
« A quoi bon jouer le jeu de l'intégration
républicaine si nous devons être écartés au profit d'autres qui font
ouvertement le choix du communautarisme ? »
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Sophia Chikirou, candidate à l'investiture socialiste
dans la 21ème circonscription de Paris, répond dans cet entretien
exclusif aux questions de l'Observatoire du communautarisme.
Soutenue par deux courants lui permettant d'imaginer un vote
favorable des militants de sa section, elle se voit peut-être
écartée au profit de George Pau Langevin, candidate étiquetée
"représentante de la communauté ultra-marine" par le maire de Paris
Bertrand Delanoë et la direction du parti socialiste.
Observatoire du communautarisme : Pouvez-vous, pour le lecteur profane,
rappeler les termes de la polémique qui secoue le Parti socialiste
concernant la désignation du candidat ou législatives de 2007 pour la
21ème circonscription de Paris ?
Sophia Chikirou : Alors que la Convention nationale du PS, réunie
le 1er juillet 2006, a décidé d'organiser un vote pour départager les
candidates sur la 21e circonscription au mois de septembre, François
Hollande suspend cette décision suite à la demande de Bertrand Delanoë,
Maire de Paris, et de Victorin Lurel, Député de Guadeloupe, de désigner,
sans vote, la candidate George Pau Langevin. Le problème que cela me
pose est double : d'abord, je suis écartée de la candidature pour des
raisons qui ne sont pas politiques mais ethniques, ensuite, on emploie à
mon encontre des méthodes anti-démocratiques. En effet, alors qu'il
semblerait que la réalité locale me soit plutôt favorable, la candidate
Pau Langevin serait désignée afin de répondre aux attentes de la
communauté antillaise vivant à Paris. Je reprends là les arguments
développés par Delanoë, Harlem Désir et Victorin Lurel lors du Bureau
National du 4 juillet 2006.
OC : Quelle est votre position concernant la discrimination positive
? et en particulier concernant la parité ?
SC : Je n'ai pas attendue de voir ce que peut déclencher le
recours à la méthode des quotas pour m'opposer à la discrimination
positive. Je considère qu'elle est non seulement contraire au principe
d'égalité mais aussi qu'elle est indigne pour la personne humaine. De
plus, elle ouvre la voie à des rivalités inter-communautaires
dangereuses. Pour ce qui est de la parité, lorsque j'ai adhéré pour la
première fois au PS en 1997 en plein débat sur la loi sur la parité, j'y
étais opposée pour les mêmes raisons que la discrimination positive.
Elle est depuis inscrite dans la loi et doit donc être respectée. Mais
j'insiste pour rappeler que je n'ai jamais demandé à bénéficier de
telles mesures : je suis candidate sur une circonscription réservée
femme uniquement parce que c'est là que j'habite et milite mais en aucun
cas je n'ai demandé cette réservation. Et je ne demande pas à être
désignée par la direction socialiste sur la 21e mais je demande la tenue
d'un vote des militants pour qu'ils choisissent leur candidate.
OC : Quelle est la justification avancée par les partisans de la
discrimination positive - frauduleusement cachée sous le cache-sexe de
la "diversité"- au sein du PS ?
SC : Je reconnais qu'il y a un problème de représentation
politique de la diversité de la société française. Ce problème ne porte
pas seulement sur la couleur ou l'origine ethnique des députés mais
aussi sur leur milieu social d'origine ! Une meilleure représentation
politique est un des éléments pour regagner la confiance des Français en
l'action politique. Au PS, de façon quelque peu précipitée, la direction
a choisi d'avoir recours aux quotas pour imposer la diversité en
réservant une dizaine de circonscriptions à des candidats noirs et
arabes. Par cette méthode, elle a provoqué des rivalités entre militants
« gaulois » (certains ont dénoncé le racisme anti-blanc) et les autres
puis au sein de la diversité, entre militants « blacks » et « beurs » !
Le pire est qu'elle s'est servie des prétextes de la parité et de la
diversité pour éliminer des candidats appartenant à des sensibilités
politiques minoritaires pour imposer des candidats proches de la
sensibilité majoritaire. Ainsi, elle écarte une militante d'origine
antillaise mais fabiusienne au profit d'un militant beur proche de
François Hollande !
OC : La nouvelle de votre potentielle "éviction" a suscité l'intérêt
de médias communautaires kabyles (vous êtes en effet originaire de la
Kabylie) : les avez-vous vous-mêmes sollicités ? et sinon, quelles
réflexions cela vous inspire-t-il ?
SC : Un des combats que je mène depuis l'adolescence est en
faveur de la reconnaissance de l'identité et de la langue berbère. Ce
combat me tient à cœur mais j'ai toujours veillé à ne pas mêler cet
engagement associatif à mon militantisme au PS. Le mouvement berbériste
est très fort en Kabylie où il s'oppose aussi bien au régime en place
qu'aux intégristes islamistes. Il a payé très cher cette opposition avec
l'assassinat de nombreux militants par les islamistes (Lounes Matoub,
chantre de ce combat fut tué en 1998) et par l'armée algérienne (en
2001, la révolte kabyle fit plus de 120 morts). J'appartiens à
l'Association de Culture Berbère de Paris et je suis Secrétaire Générale
de la CABIL (Coordination des associations berbères pour l'intégration
et la laïcité). Ma candidature à l'investiture interne pour les
élections législatives a suscité beaucoup d'intérêt et mon éviction pour
des raisons liées à l'origine ethnique est très mal vécue par les
Kabyles. Alors que nous sommes très attachés aux valeurs républicaines,
que nous avons refusé de constituer un lobby communautaire pour peser
lors de ces investitures, à travers moi, c'est la question de
l'intégration républicaine qui est remise en cause : la question qui est
posée est « à quoi bon jouer le jeu de l'intégration républicaine si
nous devons être écartés au profit d'autres qui font ouvertement le
choix du communautarisme ? »
OC : Quel rôle joue spécifiquement Bertrand Delanoë dans cette
affaire ?
SC : Le maire de Paris s'était engagé au début du processus
d'investiture à Paris à ne pas interférer dans les affaires
législatives. Ce n'est qu'après le résultat de la Convention nationale
du 1er juillet qu'il a manifesté son soutien à George Pau Langevin – qui
travaille pour lui – arguant de la vive émotion de la communauté
antillaise parisienne. J'ignore s'il la soutient uniquement pour des
raisons électoralistes ou s'il souhaite par la même empêcher la
désignation par le vote des militants d'une candidate fabiusienne. Une
chose est certaine, Delanoë choisit délibérément de créer une crise sans
précédent au sein de la gauche parisienne.
Lundi
10 Juillet 2006
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