Communiqué du 09 janvier 2007

 

Londres : le protocole des dupes !

 
  • Jacques Myard, député des Yvelines
     Président du Cercle Nation et République
    (photo AK)

Le 17 octobre 2000, la France a signé le Protocole de Londres à l’article 65 de la Convention sur la délivrance des brevets européens par lequel elle renonce à exiger la traduction en français des brevets [1] rédigés en anglais ou en allemand.

A ma demande, plus de 60 députés ont saisi le Conseil Constitutionnel pour qu’il juge ce protocole contraire à l’article 2 de la Constitution qui dispose que « le français est la langue de la République ». Le Conseil ne nous a pas suivis. Dans sa décision du 28 septembre 2006, à peine motivée et étonnante à plus d’un titre, il ignore superbement la réalité du brevet, véritable acte de la Puissance publique et non acte de droit privé.

Pour les partisans de l’adoption du protocole, nous aurions mené un combat d’arrière garde en nous arc-boutant sur la défense du français au détriment de l’intérêt économique des entreprises françaises qui, prétendument, auraient tout à gagner à l’adoption du protocole !

A l’évidence, ils ignorent les véritables enjeux économiques qui s’attachent au protocole de Londres. Sur ce point, à juste titre, le Conseil Constitutionnel n’a pas développé d’éléments contraires et ne remet nullement en cause l’argumentation économique et stratégique qui milite contre son adoption.

En effet, la ratification du protocole jouerait à plein contre les intérêts des entreprises françaises et notamment des PME. C’est un protocole de dupes !

Le coût des traductions constituerait un obstacle majeur au dépôt des brevets.

Il s’agit là d’une contre-vérité flagrante. La traduction d’un brevet « normal » coûte en moyenne 6000€ pour 6 pays sur un coût total de délivrance d’environ 18 000€. De plus, le coût de traduction est fait une fois pour toute, alors que le coût de maintien en vigueur du brevet coûte 68 000€ pour 20 ans. Il faut en effet savoir que lorsque l’on dépose un brevet à l’Office Européen des Brevets à Munich, on ne choisit pas les 37 Etats, mais seulement quelques uns, judicieusement sélectionnés pour bloquer au nom du monopole du brevet la libre circulation du bien fabriqué grâce au brevet. Le coût de la traduction ne représente que 10% du coût du brevet pour un marché de 300 millions d’habitants.

Les entreprises françaises n’auraient plus à faire traduire leurs brevets en anglais et en allemand. Cet argument est une imposture.

Membres de l’OEB, certains Etats refusent, à raison, de signer le protocole de Londres. Aussi, l’argument d’absence de traduction est tronqué car si les entreprises françaises ne seraient pas tenues de faire traduire la description de leur brevet déposé à l’OEB pour l’Angleterre et l’Allemagne, en revanche, elles devraient continuer à le faire pour l’Irlande (en anglais) et l’Autriche (en allemand) qui refusent de signer le protocole de Londres.

Parallèlement, il n’y aurait aucune réciprocité puisque la France aurait accepté d’appliquer en France des brevets rédigés en anglais et en allemand.

De surcroît, en raison de l’application du Traité de Washington du 19 juin 1970 sur la coopération en matière de brevet, pour obtenir l’extension de leurs brevets aux Etats-Unis, les entreprises françaises (et européennes) sont tenues de faire traduire leurs brevets en anglais. Or, par le jeu combiné de l’Accord de Londres et du Traité de Washington, les entreprises françaises seraient placées en position de concurrence déloyale puisque les entreprises américaines n’auraient plus à faire traduire leurs brevets en français ! Ce même mécanisme jouerait en faveur des entreprises chinoises et japonaises qui déposent en anglais, les entreprises françaises seraient tenues de déposer en chinois et en japonais. (Sic !)

Etrange façon de défendre nos entreprises nationales que d’instituer un mécanisme qui les donne perdantes à tous les coups ! C’est une politique de gribouille.

Cet avantage gratuit donné avec naïveté aux entreprises américaines leur permettra d’amplifier le phénomène de dépôt massif de brevets. Elles excellent dans l’art de se servir des brevets comme d’une arme pour bloquer leurs concurrents puisqu’il revient alors à ces mêmes concurrents, donc à nos entreprises, de prouver que ces brevets ne répondent pas aux critères de brevetabilité. Elles seraient alors dans l’obligation de faire traduire à leurs frais des dizaines de brevets rédigés en anglais pour les comprendre en vue de les attaquer éventuellement en justice.

Le dépôt de brevet n’est donc pas seulement la marque du génie imaginatif, il est aussi et surtout utilisé comme une arme pour contrer les concurrents. Les Anglo-Saxons l’utilisent surtout à cette fin avec des dépôts massifs de brevets pas toujours valides mais qui obligent leurs concurrents à des procès coûteux ou à renoncer à exploiter leur invention !

Dans une économie mondialisée, quelques géants se partagent le gâteau et ne songent pas à concurrencer leurs alter ego. Ils concluent de possibles gentlemen agreements et n’entament pas de procès pour contrefaçon. En revanche, il en va bien différemment pour les petites et moyennes entreprises qui, la plupart du temps, existent uniquement grâce au développement et à l’exploitation de brevets. Ces PME constituent le socle économique français et le premier réservoir d’emplois. Les intérêts des entreprises transnationales et des PME divergent donc fondamentalement ! Ne pas le reconnaître est une faute stratégique !

La France ne déposerait pas suffisamment de brevets d’invention comparativement aux autres grandes nations, le Protocole de Londres encouragerait le dépôt de brevets, cet argument est d’une totale naïveté !

Le faible nombre de dépôts de brevets d’invention en France est, avant tout, la conséquence de l’absence d’un enseignement spécifique en matière de brevets dispensé dans les écoles d’ingénieurs. La propriété industrielle n’est souvent qu’une sous option facultative de l’enseignement alors qu’elle devrait être obligatoire.

Nos ingénieurs, nos chercheurs n’ont pas la culture du brevet car on ne la leur enseigne pas ! Cela n’a rien à voir avec la question du coût des traductions.

Les arguments en faveur du Protocole de Londres fondent comme neige au soleil pour tout esprit objectif et honnête.

On ne voit pas ce que les entreprises françaises y gagneraient, en revanche, on voit ce qu’elles y perdraient en se plaçant en position de faiblesse concurrentielle vis-à-vis des multinationales américaines entre autres qui nous imposeraient la multiplication de dépôts de brevet à charge pour les entreprises françaises de les traduire pour éviter d’être poursuivies pour contrefaçon.

Enfin, subir une avalanche de brevets en langues étrangères essentiellement rédigés en anglais, c’est explicitement renoncer à l’accession en langue française de l’innovation, c’est se placer dans un rapport de vassalité à l’égard du Puissant, alors même que la diversité linguistique revient avec force comme l’expression même de l’identité et de la liberté des peuples.

Le Protocole de Londres est non seulement contraire à nos intérêts économiques mais il incarne une vision obsolète du monde, celui du tout « globish ».


  [1] Il s’agit de renoncer à la traduction de la description du brevet qui permet à l’homme de l’art de dupliquer l’invention.