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Communiqué du 11 novembre 2006

 

Le budget européen

 

Par Romain ROCHAS

Chef de division honoraire de la Cour des comptes européenne.

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On entend dire que
la contribution française au budget de l'UE va augmenter.
Est-ce exact et pourquoi ?

L'Assemblée nationale est en train de délibérer sur le projet de budget (français) pour 2007. Et dans ce cadre, on lui demande de se prononcer sur la contribution française au budget de l'Union européenne pour 2007. Mais est-ce aux Parlements nationaux de voter le budget européen ? Celui-ci est-il alimenté par des contributions budgétaires des Etats membres ? Ne dit-on pas au contraire que les dépenses européennes sont financées par des ressources propres à l'Union, donc qui ne proviennent pas des budgets nationaux ? On dit aussi que pour 2007, cette contribution française au budget européen va augmenter considérablement, passant de 14,6 milliards d'euros en 2002 et 17,8 milliards en 2006 à 18,7 milliards d'euros pour 2007, soit une augmentation de 27,8 % en 5 ans, de 5,1 % en 1 an. En regard, on notera qu'entre le projet de loi de finances pour 2006 et le projet de loi de finances pour 2007, la progression des dépenses prévues de l'Etat n'a été que de 0,7 %[1].

 

            Quelques clarifications ne sont peut-être pas inutiles.

 

I.- D'où le budget européen tire-t-il ses ressources ?

 

1.- Contributions budgétaires des Etats membres ou ressources propres de l'Union ?

Jusqu'en 1970, les ressources du budget européen provenaient de contributions budgétaires des Etats membres. Des clés de répartition précisaient la part respective des différents Etats membres dans le montant total de recettes prévu au budget européen. Pour chaque Etat membre, cette part se traduisait par l'inscription dans son budget annuel de crédits de dépenses, le montant ainsi versé aux Communautés étant inscrit en crédits de recettes dans le budget européen.

Une première décision du Conseil, de 1970, sur les ressources propres[2] a commencé à remplacer les contributions financières des Etats membres par des ressources qui, dès leur origine, donc dès leur perception, étaient considérées comme recettes communautaires et qui ne provenaient donc pas des budgets nationaux.

A travers une série de décisions du Conseil sur les ressources propres se succédant l'une à l'autre,[3] les contributions financières des Etats membres ont été progressivement remplacées presque en totalité par des ressources propres. Actuellement, les contributions financières des Etats membres sont tout à fait résiduelles, presque des curiosités budgétaires. Par exemple, si la Commission inflige une amende à un Etat membre, comme les textes en prévoient la possibilité dans certains cas, il s'agit d'une sanction, c'est donc l'Etat qui paie sur son budget, et l'amende apparaîtra dans ses comptes comme une dépense.

Dans le système ainsi parvenu à maturité, on trouve les catégories suivantes de ressources propres :

- toutes les recettes provenant de la réglementation agricole (PAC),

- les droits de douane,

- une partie du produit de la TVA (l'autre partie, la plus importante, constituant des recettes des Etats membres),

- une ressource fondée ou "assise" sur le PNB (produit national brut).

On trouve de plus des recettes qui ne sont pas classées budgétairement dans les "ressources propres", bien qu'elles ne proviennent pas davantage de contributions financières des Etats. Par exemple l'impôt sur le revenu payé par les fonctionnaires européens, ou encore le produit des emprunts, ou le produit de la vente d'immeubles, etc. En dépit de la terminologie budgétaire qui les classe autrement, il s'agit bien en fait de recettes qui sont "propres" aux Communautés, puisqu'elles sont engendrées par l'activité même des Communautés.

 

2.- L'Etat national percepteur de l'Union européenne

L'Union européenne n'a ni services de perception ni agents verbalisateurs ni douaniers. Ce sont les services des Etats membres qui, pour le compte de l'Union, collectent les ressources propres de celle-ci au même titre qu'ils encaissent les recettes fiscales nationales. Ceci n'est d'ailleurs que l'application aux recettes d'un procédé d'intervention assez général de l'Union. L'Union programme et décide elle-même beaucoup de choses, mais en règle générale et sauf pour certaines actions bien déterminées[4], elle n'exécute pas elle-même, mais fait exécuter ses décisions par les Etats membres. Soit dit en passant, ceux qui comparent les effectifs du personnel de la Commission aux effectifs des instances nationales, en tirant la conclusion que la Commission est beaucoup plus efficace que les services nationaux, car à dépense égale, elle utilise un effectif de fonctionnaires beaucoup plus restreint, montrent qu'ils ignorent tout des modes de fonctionnement des institutions européennes, spécialement de la Commission.[5]

 

3.- Faut-il un vote du Parlement français pour autoriser les recettes perçues par la France pour le compte de l'Union ?

Le budget européen est préparé, discuté et adopté exclusivement par des institutions européennes. Préparé par la Commission. Discuté, amendé et approuvé à travers un système de navette entre le Conseil et le Parlement européen. Formellement "arrêté" par le Parlement européen. Dans cette procédure budgétaire, les instances nationales, parlementaires ou autres, n'interviennent donc en aucune façon.

Pourtant le montant des recettes à percevoir par l'Etat français pour le compte de l'Union figure dans la loi de finances annuelle française. Or chacun sait que c'est le Parlement qui vote la loi de finances, voter le budget étant historiquement l'attribution essentielle de tout Parlement. C'est la raison pour laquelle le montant des sommes destinées à l'Union donne lieu à un vote des parlementaires, vote précédé d'un débat qui a eu lieu ces derniers jours.

Si les sommes en cause donnent lieu à un vote parlementaire, c'est donc parce qu'elles sont mentionnées dans la loi de finances. Pourtant ces sommes ne font pas partie du budget. En effet, elles ne sont pas comptabilisées comme "dépenses". Et si elles figurent dans les "recettes", c'est pour en être défalquées afin d'aboutir aux "recettes nettes du budget général" qui, seules, auront pour objet de financer les dépenses budgétaires. C'est pourquoi l'appellation de ces sommes en droit budgétaire français n'est pas et ne peut être "contribution financière", mais Prélèvements sur recettes au profit des Communautés européennes.

 

D'ailleurs l'excédent ou le déficit budgétaire confronte les dépenses aux recettes nettes, de sorte que ni du côté des dépenses, ni du côté des recettes, les sommes perçues pour le compte de l'Union ne figurent dans le budget.

 

Ainsi, le projet de loi de finances pour 2007 présente le budget de la façon suivante (en simplifiant cette présentation, mais sans la fausser) :

 

                                                                                    En milliards d'euros

 

       Recettes fiscales :                                                         267,170

       + Recettes non fiscales :                                                 26,832

       – Prélèvements sur recettes :                                         68,112

    dont     au profit des collectivités locales                                        49,416

                • au profit des Communautés européennes                         18,696

______________________________________________________

            Recettes nettes totales du budget général                225,890

            Crédits de paiements                                                 267,847

 

Le déficit prévisible, en tout cas consenti budgétairement, est la différence entre les crédits de paiements, c'est-à-dire les dépenses autorisées, et les recettes nettes totales, qui ne comprennent pas les prélèvements sur recettes, notamment ceux au profit des Communautés européennes, soit 267,847 – 225,890 = 41,957 milliards d'euros (15,7 %).[6]

Que se passerait-il si par extraordinaire les parlementaires refusaient d'approuver les prélèvements sur recettes ? D'un point de vue français, on pourrait peut-être considérer que l'Etat ne serait pas autorisé à effectuer les versements en cause, mais il est clair que, du point de vue de l'Union, le budget européen approuvé rendrait exigible le versement de la part française des ressources propres et que le refus parlementaire serait inopérant. La Cour de justice européenne aurait vite fait de l'expliquer dans un arrêt très rapidement rendu sur pourvoi de la Commission… On trouverait d'ailleurs vite une solution à Bercy, en faisant sortir les "prélèvements sur recettes" de la loi de finances, pour l'insérer dans une note explicative à part.

 

4.- Les moyens de défense contre l'inflation budgétaire européenne

Faut-il conclure de ce qui précède que les Etats membres sont totalement désarmés contre la boulimie budgétaire de l'Union européenne ? Non, et pour plusieurs raisons. Il est important de bien noter les différents "verrous" que les Etats membres peuvent tirer pour empêcher l'envolée des dépenses communautaires. Ces verrous sont établis les uns à titre permanent (tant que les dispositions en cause ne sont pas modifiées), d'autres dans un cadre pluriannuel, de façon moins évidente dans un cadre annuel.

 

a) Les verrous permanents

On les trouve dans le traité et dans la décision du Conseil relative au système des ressources propres. Dans les deux cas, les protections sont fortes, puisque toute modification des textes en cause nécessite l'accord unanime des Etats membres.

1.- Le traité CE

Pour certaines dépenses moins importantes, qualifiées par le traité de "dépenses autres que celles découlant obligatoirement des traités", dites couramment "dépenses non obligatoires" (DNO), le traité CE prévoit un taux maximal d'augmentation d'une année à l'autre, en fonction de critères objectifs (évolution du PNB, variation des budgets nationaux, évolution du coût de la vie) (article 272 CE, § 9). Parce qu'il est établi à partir de critères objectifs, le traité dit que la Commission "constate" ce taux maximal, et non "l'établit" ou "le fixe". Or ce taux maximal sert à définir une "marge de manœuvre" concédée par le traité au Parlement européen en matière de crédits relatifs à ces dépenses dites "non obligatoires". On part de l'idée implicite que les deux institutions contribuant à la définition du budget – Conseil et Parlement - se partagent pour moitié ce taux maximal, et que les droits du Parlement ne seront pas diminués si le Conseil, au stade de son projet de budget, a prévu de son côté une augmentation dépassant la moitié du taux maximal. Si donc le Conseil a prévu une augmentation des crédits relatifs aux DNO excédant la moitié du taux maximal, le Parlement européen n'en conservera pas moins son droit à augmenter de son côté ces mêmes crédits d'un taux pouvant atteindre la moitié du taux maximal. A la fin de la procédure budgétaire, le budget dans sa version finale pourra, par cette clause protectrice des droits budgétaires du Parlement européen, faire apparaître un taux d'augmentation des DNO dépassant le taux pourtant dit "maximal".

Mais en dépit de cette "marge de manœuvre" concédée au Parlement européen, il reste que la disposition relative au "taux maximal" conserve un effet de limitation de l'augmentation annuelle des DNO. En effet, au pire, si le Conseil, dans son projet de budget, absorbait la totalité du taux d'augmentation des crédits pour DNO, le Parlement conservant son droit de les augmenter de la moitié de ce taux, il en résulterait un plafond absolu de 1,5 fois le taux dit "maximal".

 

2.- La décision du Conseil relative au système des ressources propres

Cette décision, dans sa version actuelle,[7] comporte plusieurs verrous stables.

◦ Le montant total des ressources propres ne doit pas dépasser 1,24 % du PNB de tous les Etats membres[8].

◦ Le montant total des crédits pour engagements de dépenses ne doit pas dépasser 1,31 % du PNB total des Etats membres.  

◦ Le taux de TVA perçu au profit de l'Union est de 0,50 %, sous réserve d'un petit écart par rapport à ce taux dû à l'incidence de la ristourne versée au Royaume-Uni et à quatre autres Etats membres.[9] Et ce taux est applicable à une "assiette" ne pouvant pas dépasser 50 % du PNB. On peut donc penser que le taux en cause représente en fait environ 0,25 % de la valeur ajoutée totale de chaque pays.

◦ En revanche, la décision ne fixe pas elle-même un plafond pour la ressource "PNB", mais renvoie à la procédure budgétaire annuelle le soin de déterminer son montant. Or cette procédure budgétaire annuelle n'offre pas aux Etats membres autant de moyens que la décision du Conseil sur les ressources propres pour freiner l'inflation budgétaire (voir à ce sujet ci-dessous, point (c), sur la procédure annuelle).

Voici ce que signifie cette discordance de régime entre la TVA et la ressource "PNB". Les institutions souhaitent non seulement que le budget soit financé presque exclusivement par des ressources propres, mais de plus souhaitent abaisser la part de la TVA au profit de la ressource "PNB", qui apparaît ainsi comme la "variable d'ajustement" dans la procédure budgétaire. Au niveau de cette décision du Conseil sur les ressources propres, il n'y a pas de blocage relatif à l'addition TVA + ressource PNB, l'addition des deux pouvant toujours augmenter par sa composante "PNB".

Les seuls blocages réels incorporés dans cette Décision du Conseil portent donc sur le total général des ressources propres (et par là des paiements, car sans ressource, impossible de dépenser) et sur le total général des crédits pour engagements[10].     

 

b) Les verrous pluriannuels : les "Perspectives financières"

Tous les 6 ou 7 ans, la Commission, le Conseil et le Parlement européen passent un accord dit "accord interinstitutionnel sur la discipline budgétaire". Cet accord contient notamment des tableaux chiffrés portant plafonds de recettes et de dépenses, année par année et pour toute la période, pour l'ensemble du budget, mais aussi avec décomposition de ces plafonds par grandes catégories de dépenses : ce sont les "Perspectives financières".

Ces Perspectives financières ne font pas partie en rigueur de termes de la procédure budgétaire, qui reste strictement annuelle. Mais elles encadrent cette procédure annuelle, seule prévue par le traité, car les trois institutions signataires de l'accord s'engagent à respecter strictement les plafonds mentionnés lors de leurs propositions budgétaires annuelles.

Bizarrement, l'Accord interinstitutionnel ne comporte aucun visa, contrairement à tous les règlements, directives ou décisions adoptés par les institutions. A sa lecture, on ne sait donc pas bien selon quelle procédure cet accord est passé, notamment si, côté Conseil, il requiert l'unanimité des Etats membres. Mais il est repris et mentionné par une décision ou un règlement du Conseil "concernant la discipline budgétaire" qui, lui, comporte des visas, et ces visas font apparaître sans ambiguïté la nécessité de l'accord unanime des Etats membres[11]. De la sorte, chaque Etat membre a la garantie que l'évolution des dépenses à moyen terme restera dans des limites acceptées par lui, et pourrait bloquer un projet d'accord qu'il jugerait trop laxiste en refusant de l'approuver.

 

Toutefois, le dernier accord interinstitutionnel, qui porte sur la période 2007-2013 et qui a été conclu récemment,[12] n'a pas été assorti d'un règlement du Conseil y faisant référence comme c'était le cas pour la période précédente (2000-2006). Bien plus, la Commission a présenté une proposition[13] de règlement abrogeant purement et simplement le règlement relatif à la période 2000-2006, sans proposer un nouveau règlement analogue pour la période 2007-2013. De cette façon les perspectives financières sont établies sur la base d'un accord sui generis, dont on ne sait pas bien à la lecture par quelle procédure de négociation il a été conclu. Pour le moment, le Conseil n'a pas encore délibéré sur cette proposition et aucune autre institution n'a fourni d'avis à ce sujet. La Commission cherche-t-elle à effacer la mention explicite de l'exigence d'unanimité au sein du Conseil ? Je ne le pense pas, néanmoins les Députés européens souverainistes feraient bien de surveiller de près cette affaire lorsque l'avis du Parlement, qui est requis, viendra en discussion.

L'accord interinstitutionnel comporte des verrous permettant aux institutions, notamment au Conseil, et à travers lui aux Etats membres, de bloquer ou freiner la hausse des crédits, en recettes comme en dépenses. Voici quels sont ces verrous dans le dernier de ces accords, celui qui porte sur la période 2007-2013 :

            - plafonnement des dépenses annuelles totales et des engagements financiers par catégorie de dépenses ;

            - plafonnement des ressources propres de chaque année à un maximum de 1,24 % du RNB (Revenu national brut). Les dépenses ne pourront donc pas dépasser des montants qui exigeraient d'avoir recours à des ressources dépassant ce pourcentage (le projet de budget pour 2007 aboutirait à un pourcentage de 1,08, assez loin du plafond imposé par les Perspectives financières, et presque conforme au plafond auquel Jacques Chirac pour la France, mais aussi 5 autres gros contributeurs nets, avaient déclaré vouloir s'en tenir (1 %).

 

            c) La procédure annuelle : l'adoption du budget

La procédure annuelle ne comporte pas de verrous qui lui soient propres et qui n'auraient pas déjà été définis dans un cadre permanent ou pluriannuel. Ceci est d'autant plus vrai que cette procédure annuelle ne relève pas des choix du seul Conseil, mais du jeu complexe d'une navette entre le Parlement européen et le Conseil, celui-ci statuant à la majorité qualifiée. A ce stade, un Etat membre donné ne peut donc à lui seul faire barrage contre des intentions budgétaires (montant global et contenu) provenant du Parlement européen ou d'autres Etats membres. Or le Parlement européen a une tendance à l'inflation budgétaire. Certains Etats membres aussi, notamment ceux qui espèrent obtenir davantage d'aides en particulier au titre des Fonds structurels, ce qui correspond assez bien au cas des nouveaux Etats membres de l'Est européen.

Il est donc d'autant plus important que les Etats membres veillent sur les garanties permanentes et pluriannuelles dont ils disposent encore, et ne les laissent pas grignoter à la faveur d'une révision des traités et de la décision du Conseil sur les ressources propres, par exemple sous l'influence du club Lamassoure and C°.  

 

II.- Pourquoi entend-on ici ou là réclamer de véritables ressources propres pour l'Union ?

Puisque les contributions budgétaires ont été remplacées depuis déjà longtemps par des ressources propres, pourquoi entend-on ici ou là des responsables qui devraient être "bien informés" réclamer à cor et à cri que l'on dote enfin l'Union européenne de véritables ressources propres?

M. Sarkozy, dans son récent discours prônant un mini-traité européen, l'a dit en des termes totalement erronés : "Le système actuel fait supporter les dépenses européennes par les budgets nationaux. Il est illogique, injuste, insupportable pour les pays contributeurs nets et incompréhensible pour les citoyens. Les dépenses européennes doivent être financées par des ressources européennes, de la même manière que des impôts locaux financent les dépenses locales. Ce sera l’un des dossiers importants de la présidence française". Que le système budgétaire soit "insupportable pour les pays contributeurs nets", c'est un point de vue qui peut se discuter, mais pour tout le reste, M. Sarkozy a tout faux, et montre son ignorance sur les questions européennes.

Mais on retrouve la même idée dans l'exposé de M. Jean-Louis DUMONT prononcé le 4 octobre dernier devant la Commission des finances de l'Assemblée nationale, à l'occasion de la discussion de la 2e partie du projet de loi de finances pour 2007, pour laquelle il était rapporteur spécial: "il faut réfléchir, dès 2007, à l'instauration d'un volet recettes qui ne soit plus l'addition de contributions des Etats membres, avec les mécanismes de correction que l'on connaît, mais soit constitué de vraies ressources européennes représentatives de la richesse de l'espace européen."

D'où peut provenir cette nouvelle lubie européiste formellement erronée ? M. Sarkozy lève le voile à ce sujet. " Il est remarquable que le Parlement européen et les Parlements nationaux aient pris l'initiative d'y travailler ensemble pour nourrir la réflexion des gouvernements. Je tiens à féliciter Alain Lamassoure pour le travail fondateur qu'il mène actuellement dans ce domaine de manière à la fois novatrice et consensuelle." Nous y voilà : cette idée est marquée de la patte de M. Lamassoure, en train de laver le cerveau, non pas tellement des parlementaires européens (qui sont déjà lavés depuis longtemps), mais des parlementaires nationaux, notamment français. Or M. Lamassoure, lui, ne peut pas ignorer que le budget européen est déjà alimenté par des ressources propres, lesquelles sont déjà représentatives pour l'essentiel de la richesse relative des Etats membres. Quelles sont les ressources le plus représentatives de la richesse des nations ? D'abord la ressource "PNB". Ensuite, quoiqu'à un moindre degré, la TVA.[14] Or dans le projet de budget pour 2007, la "recette PNB" représente 68,3 % du total des recettes prévues, et la TVA, 15,6 %. Au total, les recettes représentatives de la production représentent donc au moins 83,9 % du projet de budget !

Dans les projets Lamassoure and C°, on peut pressentir trois intentions :

            - faciliter la création de ressources nouvelles pour l'Union, par exemple d'une taxe sur l'énergie, comme certains l'ont proposé ;

            - réduire le nombre des verrous que les Etats membres possèdent encore pour bloquer l'inflation budgétaire dans l'Union. Notamment augmenter les pouvoirs du Parlement européen aux dépens de ceux du Conseil dans les procédures de chiffrage annuel ou pluriannuel des dépenses et recettes [15];

            - rendre plus difficile ou impossible le chiffrage des contributions nettes – positives ou négatives – des différents Etats membres. A cet effet, créer une ressource qui ne se prête pas à une localisation nationale. Telle est bien l'intention exprimée par Mme Catherine COLONNA, Ministre délégué aux affaires européennes, lorsqu'elle a présenté, le 23 octobre dernier, le projet de budget 2007 de l'Union à l'Assemblée nationale. Elle a dit en effet : "Sans doute faudra-t-il, à terme, doter ce budget d'une ressource propre véritablement européenne pour clore enfin ces marchandages récurrents entre pays européens sur qui finance quoi et pour combien." Et de faire elle aussi allusion aux travaux menés en ce sens par M. Lamassoure "dans le cadre des travaux communs entre le Parlement européen et les Parlements nationaux."

A la vérité, la seule réforme révolutionnaire qui augmenterait brutalement le caractère "propre" des ressources de l'Union serait que l'Union se constitue son propre corps de gabelous. Mais ce serait un facteur de renchérissement considérable, non conforme à la méthode de l'exécution déléguée aux Etats membres, généralement pratiquée par l'Union, comme on l'a vu plus haut.

 

III.- Les prélèvements sur recettes ne coïncident pas avec la contribution de l'économie française au financement du budget de l'Union européenne

 

On entend souvent exprimer des interrogations sur la question de savoir si la France est "contributrice nette au budget européen", c'est-à-dire si les contributions de l'économie française au budget européen dépassent ce qu'elle en reçoit à travers les financements de tous ordres que ce budget déverse sur toute l'Europe.

Il y a lieu de noter que les "prélèvements sur recettes" au profit du budget européen dont il vient d'être question ci-dessus ne donnent pas une image adéquate ni complète de ce que la France (et pas seulement l'Etat français) verse à l'Union européenne pour contribuer aux dépenses européennes.

 

1.- Le Fond européen de développement

D'un côté, en effet, subsistent des "contributions budgétaires", qui continuent à financer certaines actions européennes. Il s'agit essentiellement des contributions au Fond européen de développement (FED), qui rassemble la fraction de l'aide au développement accordée par l'Europe aux "Pays ACP" – Afrique, Caraïbes et Pacifique -, pays qui correspondent grosso modo aux anciennes colonies de certains pays européens, France et Grande-Bretagne surtout. Le FED n'a jamais été intégré au budget européen général, et constitue un budget à part, alimenté non par des "ressources propres", mais encore aujourd'hui par le système des contributions budgétaires nationales qui était à l'origine également le moyen d'alimenter en ressources le budget général. Nous l'avons vu, ce n'est plus le cas pour le budget général, mais cela le reste pour le FED, les Etats membres ayant jusqu'à présent refusé que le FED s'intègre au budget général de l'Union.

La clé de répartition prévoit que la France doit verser 24,3 % des sommes nécessaires pour le FED.  Pour l'exercice 2007, sur un total des contributions nationales estimées par la Commission à   2 970 millions d'euros, la France aurait ainsi à verser la somme de 721,71 millions d'euros, dont une partie à la Banque européenne d'investissement (BEI), mais la partie la plus importante à la Commission[16]. Les aides sont en effet accordées en partie sous la forme de subventions, en partie sous la forme de prêts à des conditions très favorables.

La contribution de l'Etat au FED étant une véritable contribution budgétaire, fait partie du budget français où elle est inscrite en dépenses dans le programme "Solidarité à l'égard des pays en développement" de la mission "Aide publique au développement".

 

2.- L'activité européenne de l'Etat français

L'aventure "Europe" représente pour la France un coût non seulement parce que l'Etat et l'économie française contribuent au financement du budget européen, mais aussi parce que l'Etat mène ses propres activités européennes, en liaison évidemment avec l'Union. Ce n'est pas le budget européen, mais bien le budget de l'Etat qui finance les services ministériels traitant des questions européennes, notamment les services du Ministre délégué aux affaires européennes; les Représentations permanentes de la France auprès de l'Union européenne et auprès du Conseil de l'Europe, instance tout à fait distincte de l'Union européenne; les dépenses faites par la France pour renforcer le rôle européen de Strasbourg; et aussi – il faut le savoir - les indemnités des Députés français au Parlement européen.

 

 IV.- Pourquoi la contribution française va-t-elle augmenter ?

On peut apercevoir plusieurs causes d'augmentation de la contribution française.

1.- Toute structure a tendance à enfler

Il y a là une tendance qui n'est pas spécifique à l'Union européenne. Des Etats aux entreprises privées, des organisations internationales aux collectivités locales, des syndicats aux associations, toute structure prétend qu'elle manque de moyens et qu'il faut tout faire pour les augmenter. C'est en vertu de cette même tendance que les collectivités publiques françaises en sont arrivées à absorber à peu près la moitié de l'effort productif national.

Pour être plus précis, la volonté de puissance de l'UE, et en particulier de certaines institutions comme la Commission et le Parlement, pousse à une hausse des crédits budgétaires, et le Conseil est la seule institution à jouer davantage dans un sens restrictif.

 

2.- L'inflation

La stabilité budgétaire, fût-elle respectée, doit s'envisager en valeur réelle. En monnaie à prix courants, il est inévitable que les chiffres augmentent au rythme de l'inflation. Les dernières estimations d'EUROSTAT pour l'inflation annuelle de l'UE est de 1,9 %.[17] A lui seul, ce facteur peut être considéré comme responsable de plus d'un tiers de l'augmentation de la contribution française.

 

3.- Les nouvelles adhésions, récentes et prochaines

Aux 10 récentes adhésions vont s'ajouter au 1er janvier 2007 celles de la Bulgarie et de la Roumanie. Même un pays comme la Turquie, dont l'adhésion n'est pas encore sure, a un coût pour le budget européen, au titre des aides préadhésion.

Avant l'adhésion, en effet, les candidats à l'adhésion émargent au budget européen au titre des aides préadhésion. Après l'adhésion, celles-ci cessent en principe, mais elles sont aussitôt relayées par toutes les aides liées à l'adhésion, les unes prévues dans les traités d'adhésion eux-mêmes, les autres accordées dans le cadre de la procédure budgétaire annuelle, au titre de l'objectif dit "de cohésion économique et sociale", c'est-à-dire de réduction des écarts de développement. Les instruments privilégiés de cette politique de cohésion sont les Fonds structurels. L'action structurelle a pris progressivement de plus en plus d'ampleur, au point de devenir la 2e politique communautaire en termes de dépenses, après la PAC (36,6 % des crédits opérationnels dans l'avant-projet de budget pour 2007).

 

4.- La France, pays "riche"

Contre l'argument relatif aux nouvelles adhésions, on pourrait objecter que les nouveaux Etats membres sont concernés par le budget comme bénéficiaires, à l'instar de tous les Etats membres, mais aussi en tant qu'ils contribuent à l'alimentation du budget en recettes, là aussi comme tous les Etats membres. Que donc le fait de l'adhésion en soi est certes un facteur d'alourdissement du montant global du budget, mais pas forcément un facteur d'alourdissement pour un Etat qui est membre de longue date.

Ce serait oublier que les nouveaux adhérents ont en général au moment de leur adhésion un niveau de développement et un PNB par habitant beaucoup plus faible que les anciens Etats membres. Cette constatation a pour effet à la fois de réduire leur contribution par tête au budget, puisque cette contribution est grosso modo proportionnelle à la richesse produite, et de majorer les montants par tête qui leur sont distribués, par l'effet de cet effort de cohésion. Ces Etats contribuent moins et ils reçoivent plus. L'écart est évidemment supporté par les Etats bénéficiant d'un PNB par tête supérieur à la moyenne communautaire.

C'et évidemment le cas de la France. Il y a quelques années, la France était bénéficiaire nette du budget communautaire. Cette situation s'est inversée pour les raisons précitées. La France sera en 2007 le 2e contributeur net, après l'Allemagne, comme c'est déjà le cas depuis quelques années.



[1]  Crédits de paiements du projet de loi de finances, non du budget voté, encore moins dépenses effectives de l'exercice.

[2] Décision du Conseil, du 21 avril 1970, relative au remplacement des contributions financières des États membres par des ressources propres aux Communautés (Journal officiel des Communautés européennes n°094 du 28.04.1970, p. 19).

[3] La décision actuellement en vigueur est la Décision du Conseil du 29 septembre 2000 relative au système des ressources propres des Communautés européennes (JO des CE n° L 253 du 7.10.2000, p. 42.

[4] Par exemple une partie de la recherche financée par la Communauté.

[5] Je me souviens avoir lu un article disant à peu près ceci : "L'effectif du personnel de la Commission européenne, qui s'occupe de toute l'Europe, est à peu près égal à celui de la Ville de Paris, qui ne s'occupe que des Parisiens, preuve que la Commission européenne est beaucoup plus efficace que notre administration". Fichtre, en effet, si la Commission exécutait tout elle-même avec l'effectif dont elle dispose actuellement, cela prouverait une efficacité absolument fabuleuse, à vrai dire totalement impensable.

[6] Donc au diable le critère de convergence de Maëstricht, qui oblige à ne pas dépasser 3 %!

[7] Voir note 3.

[8] La décision précitée du Conseil, art. 3, § 1, précisée par la Communication de la Commission du 28.12.2001, document COM(2001) 801 final.

[9] Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Suède.

[10] Une "dépense" est une sortie effective d'argent. Un "engagement" est un acte susceptible d'entraîner une dépense, immédiate ou à terme (par exemple passation d'un contrat faisant naître des obligations financières échelonnées sur plusieurs années). Des engagements excessifs alourdissent dangereusement les finances futures.

[11] Il vise notamment l'article 308 CE, en vertu duquel l'unanimité est requise pour des actions non prévues par le traité.

[12] Accord interinstitutionnel du 17 mai 2006 entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission sur la discipline budgétaire et la bonne gestion financière (JO de l'UE n° C 139 du 14.6.2006, p. 1). Cet accord tient compte de l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie le 1er janvier 2007.

[13] Proposition de règlement du Conseil portant abrogation du règlement n° 2040/2000 du Conseil concernant la discipline budgétaire. Document COM(2006)448 final de la Commission du 9 août 2006.

[14] La TVA, par sa nature, est bien représentative de la richesse produite, mais sa localisation n'est pas toujours représentative de la géographie de la production.

[15] C'est bien ce qu'avait tenté en partie de faire le traité constitutionnel mort-né (voir article I-54).

[16] Communication de la Communication du 18 octobre 2006. Fonds européen de développement (FED). Estimation des engagements, des paiements et des contributions à verser par les Etats membres pour les exercices 2006 et 2007, et prévision des engagements et des paiements pour la période 2008 à 2011.

Document COM(2006) 612 final. du 18.10.2006.

[17] EUROSTAT, Statistiques en bref, Economie et finances n° 24/2006.