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Communiqué du 05 août 2006

 

Yes, boss !   Par François Darras*

 
  • *Marianne 22 au 28 juillet 2006

Sarkozy cherche, mais ne trouve aucun sujet, finalement, qui soit plus digne d'intérêt que Sarko lui-même.

L'heureux auteur a publié un livre. Il décroche son téléphone : «Allô, TF1, c'est pour lundi, je pourrais avoir le 20 heures? - OK, boss ! » «Allô, Europe 1, c'est bon pour la grande interview du matin? - Aucun problème boss ! » «Allô, le JDD, une page entière la veille de la sortie, ça marche? - Conclu, boss ! » «Allô, le Parisien, deux pages dès le lendemain, ça m’arrangerait ? - Avec plaisir, boss ! » «Allô, le Point, ça vous intéresse, des bonnes feuilles? - C'est dans la poche, boss ! »

Ni Julien Gracq, ni René Char, ni Louis Aragon, ni François Mauriac n'ont jamais obtenu ça. Balzac, Zola, Proust n'en auraient pas rêvé.

Un chef-d'œuvre absolu, peut-être? Personne, il faut le reconnaître, ne l'a prétendu. Aucune écriture, pas de rythme, construction molle, absence de fulgurances, déficit d'idées neuves ou fortes, nulle formule effervescente à retenir. Rien de choquant ou de scandaleux non plus, ce qui aurait justifié une aussi impériale promotion. Non, rien, simplement un opuscule gentil, au style plutôt plat, à la pensée courte mais plutôt rassurante, véhiculant des prises de position modérées, souvent inodores, parfois sympas, toujours assez convenables et convenues, conservatisme de bon aloi, peu d'inspiration mais droitière sans excès, sans souffle ni soufre, du genre conversation de bonne compagnie d'un propriétaire terrien avec son métayer qu'il veut convaincre des mérites du libéralisme avancé.

Qu'apprend-on ? Pas grand-chose, à part - et ces pages-là sont fort bienvenues - que l'auteur aime passionnément sa femme. Il est atlantiste, fasciné par l'Amérique, et estime que la France devrait rompre avec l'orthodoxie gaulliste en la matière. On le savait, et la nouveauté est qu'il n'en rajoute pas, qu'il arrondit les angles au contraire. Non, il n'était pas favorable à la guerre d'Irak, simplement il était contre le fait que la France s'y oppose. Rupture? Il en remet de délicates petites couches, mais plus pour la décoration que pour la refondation. Oui, il faut jeter à la poubelle le modèle social français puisque tout, en la matière, est mieux ailleurs, surtout en Angleterre. Mais, attention, ne pas copier non plus mécaniquement des modèles étrangers. On respire. Au fond, on s’interroge : pourquoi cette promotion maréchaliste d'un livre aussi transparent, et pourquoi cette diabolisation d'un type aussi peu sulfureux ? Bon gars, bon époux, bon camarade !

Dominique Strauss-Kahn nous avait livré un pensum plus réfléchi, sans bénéficier d'un tel tapis rouge; Laurent Fabius, qui avait commis à peu près le même type d'ouvrage, fut pour cette raison lynché par la presse; et Dominique de Villepin, qui nous concocta un volume autrement plus enlevé, fut haché menu par la critique; comme Jacques Chirac, d'ailleurs, dont l'œuvre valait bien celle-ci. Or là, garde-à-vous : yes, boss ! Pourquoi ?

En fait, ce livre n'est absolument pas dépourvu d'intérêt. Certes, ce qu'il nous dit sur le monde, la France, la société, c'est-à-dire à peu près rien, n'interpelle que quelques cadres distingués des jeunesses UMP. Mais ce qu'il nous dit sur l'auteur, Sarkozy en l'occurrence, est, en revanche, passionnant, effarant, inouï. Car il s'agit moins ici d'un projet, d'une réflexion, que de l'exercice qui permet à Narcisse de dialoguer inlassablement avec son miroir. L’hypertrophie du moi y atteint des abysses himalayesques. Le je inlassablement joue avec le je, embrasse et enlace le je, caresse le je, se mire et s'admire dans le je, s'épanche sur le je, se love contre le je, se réfugie dans le je, se prend au je et s'en déprend, siffle ses propres hors-je et refuse tout arrêt de je. A chaque page, le nombril se prend la tête ou la tête le nombril. L’ego tique et toc. L’ego s'autocentrise. Je suis, je ni en délecte, ce qui est une façon de penser. « Sum ergo cogito. » Du début à la fin de l'ouvrage, Sarkozy cherche, mais ne trouve aucun sujet, finalement, qui soit plus digne d'intérêt que Sarko lui-même. C'est d'ailleurs celui qu'il connaît le mieux. Il s'aime, il se veut. Il n'a même pas besoin de se chercher pour se trouver... partout !

Aucune autocritique, jamais, ni distanciation. L’échec du CPE ? La faute de l'autre. Pas un mot sur l'ampleur et la signification du mouvement qui le provoqua. Certains lui ont cherché noise. Jamel Debbouze, Yannick Noah, Lilian Thuram ? Disqualifiés. Pas de cuir, que de la tendre peau. La contestation est un attentat. Il doute, parfois, admet-il : pas de lui, mais du rapport du monde à lui. Car il est le noyau central : la France et lui, la planète et lui, Chirac et lui, Cécilia et lui, le vélo et lui, on a échappé à Chateaubriand et lui parce qu'heureusement les Mémoires d'outre-tombe ne sont pas son livre de chevet. Il réfléchit, il faut que cela se sache. Sur quoi? Sur lui. C'est pourquoi il existe. De grands penseurs sont, par lui, cités : Michel Fournier, Raymond Aron, Max Gallo. C'est peu. On en déduira que Sarko ne lit plus que lui-même, ce qu'on dit de lui et ce qu'on écrit pour lui. Confinement de sa propre pensée. Voilà la révélation : Sarkozy est vraiment sarkozyste. Pas de confrontation à d'autres visions que la sienne. N'approfondit pas, répète. Tout a déjà été dit... par lui! Du coup, aucun espace de mystère. Sarkozy dit tout sur Sarkozy. C'est sa spécificité et sa grandeur. Plus de part d'ombre, il faudrait l'éclairer. Un affront obsède Sarkozy, qu'on ait pu se demander si, quelque part, il n'était pas fou. Comme Napoléon, comme Louis II de Bavière, comme Robert Schumann, comme Gérard de Nerval, comme Nietzsche, les plus grands, aurait-il pu répliquer. Mais, non, il prend ça très mal. Un signe ?

Sur le même sujet : Il se prend pour Dieu. On lui pardonne !.. Il se dit gaulliste. Là, il va trop loin !