L’accord des 27 dirigeants ce 23 juin
à l’aube est un mauvais coup contre le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes.
On assiste à la revanche des
fédéralistes européens, qui n’acceptent le verdict du suffrage
universel que lorsqu’il leur est favorable. Une revanche
minutieusement préméditée, puisque cette fois-ci tout est fait pour
éviter de consulter les peuples. La ficelle est un peu grosse mais
la manœuvre est habile.
Tout d’abord les dirigeants européens
ont joué la crise pour faire croire à l’opinion qu’il existait une
panne de l’Europe, à la suite des « non » français et hollandais.
Or, tous les spécialistes l’ont souligné à l’envi, malgré l’échec de
la Constitution, jamais la mécanique institutionnelle communautaire
n’a produit autant de décisions ces dernières années. La réalité
qu’ils voulaient ainsi occulter est le déficit chronique de
légitimité populaire d’une construction européenne à juste titre
sanctionnée pour ses dérives et son manque de résultats.
Ensuite ils ont minoré l’impact du
traité, le faisant passer pour un simple règlement de copropriété
sur lesquels s’entendaient les pays qui ont voté la Constitution et
ceux qui l’ont refusée. Enfin, ils en concluent que cela ne sert à
rien de consulter les peuples et que les parlements feront bien
l’affaire.
La réalité est bien évidemment tout
autre. Le traité dit « simplifié » est une Constitution-bis. Il
reprend le cœur institutionnel du texte de 2005, qui consacrait
l’Europe supranationale.
-
l’extension du domaine du vote à
la majorité qualifiée supprime le droit de veto dans des
secteurs clefs (immigration, négociations commerciales, sécurité
intérieure etc…). C’est pour la France une catastrophe
puisqu’elle est minoritaire sur ces questions dans l’Europe à
27. La position de Nicolas Sarkozy est à cet égard
incompréhensible. Comment peut-il la veille à Paris menacer les
négociations commerciales à l’OMC d’un veto français, alors
qu’il s’en prive pour toujours le lendemain à Bruxelles ?
-
la personnalité juridique unique
de l’Union et l’intégration de la Charte des droits fondamentaux
par une référence au traité renforce l’affirmation du super-Etat
européen (la Grande Bretagne a obtenu une exception)
-
la règle de la double majorité
est acceptée (même si elle ne s’appliquera qu’en 2014 – 2017) et
déséquilibre le couple franco allemand, plaçant l’Allemagne en
position de force au cœur de toutes les majorités.
Les différences entre le nouveau
traité et l’ancienne Constitution sont soit superficielles, soit
secondaires. La France se targue d’avoir obtenu des avancées. Ainsi
a-t-elle obtenu la suppression de la référence à la concurrence
« libre et non faussée » et l’inscription de la « protection des
citoyens ». Mais les choses sont plus subtiles : d’un côté, la
concurrence sans frein demeure l’alpha et l’oméga des politiques
européennes telles que définies par les traités existants. De
l’autre, c’est la Cour Européenne de Justice, ouvertement acquise à
la supranationalité et à l’ultralibéralisme, qui sera chargée
d’interpréter le traité. Autant dire que la « protection des
citoyens » passera à al trappe là où la « concurrence libre et non
faussée », même gommée du traité « simplifié », continuera à régner
sans partage. Un deux poids, deux mesures qui ne doit laisser aucune
illusion !
Autre exemple, le Ministre des
affaires étrangères perd son titre mais garde ses compétences. Il y
a certes un protocole sur les services publics mais quelle garantie
sur son application, lorsqu’une décision à la majorité qualifiée
décidera leur démantèlement ?
En vérité, la supercherie est bien
là. Pour endormir les Français, on a supprimé le paquet cadeau et
les rubans mais on a gardé le même contenu. L’adoption de ce traité
représenterait un pas décisif vers la supranationalité. Cela
conduirait un peu plus à la dépossession des peuples de leur
souveraineté démocratique. Malgré leur refus, ils pourraient en
effet se voir appliquer dans de multiples domaines des règles avec
lesquelles ils ne sont pas d’accord.
Pour la France, au modèle social et
républicain minoritaire dans l’Europe à 27, cela signifierait la
condamnation à mort de son exception et la fin de son indépendance.
On ne peut pas, comme vient de le faire Nicolas Sarkozy, d’un côté
se faire élire sur le refus de la pensée unique, la baisse de
l’euro, une nouvelle protection aux frontières, et de l’autre
accepter à Bruxelles les mécanismes de décisions supranationaux qui,
nous mettant en minorité, empêcheront la France de se redresser.
Enfin, on doit constater que le chef
de l’État a tout lâché ou presque sur le plan institutionnel, sans
obtenir la moindre contrepartie sur la Turquie ou la gestion de
l’euro. Une fois de plus, nos dirigeants s’acharnent à nous
démontrer que pour la France cette Europe n’est au mieux qu’un jeu
de dupes, au pire un jeu de perdant-perdant !
C’est pourquoi, tous ceux qui croient
encore possible une autre politique pour notre pays doivent
combattre ce texte. Il faut réveiller les peuples, leur expliquer
les conséquences pratiques sur leur vie quotidienne. En France,
j’invite tous ceux qui ont voté NON à la Constitution européenne à
se mobiliser pour exiger un référendum. L’UMP n’a pas au Parlement
la majorité des 3/5ème lui permettant de faire voter la révision
constitutionnelle préalable à l’adoption du traité. Il faut donc
faire pression sur chaque Député, quel que soit son parti, pour lui
demander de respecter le peuple en le consultant par un nouveau
référendum.
Comment en effet les dirigeants
européens peuvent-ils croire sérieusement bâtir l’Europe en
méprisant à ce point les peuples ? Ce coup de force ne doit pas
passer, c’est aussi une question de morale politique. Il faut par
ailleurs bien sûr préparer une autre Europe, celle des coopérations
concrètes, projet par projet, celle qui respecte les Nations tout en
leur permettant de relever les défis de la mondialisation.
Voilà le bel enjeu des deux
prochaines années ! Faire aimer l’Europe en délimitant les
frontières, en réformant l’euro, en rédigeant un vrai traité pour
une confédération d’États nations.