Communiqué du 24 avril 2007

 

Une illusion, une ruine et une obligation de résultat

 

Bilan d’une élection sans alternative
 

Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle 2007, l’illusion est d’affirmer que les résultats du scrutin témoigneraient d’un soutien des citoyens aux principaux partis actuels. La ruine, c’est l’état présent dans lequel se trouve notre système politique. L’obligation de résultat est celle qui nous est faite de construire un rassemblement politique capable de remplacer les partis actuels et de relever les défis de notre temps.

L’illusion
Quel paradoxe entre le résultat de ce premier tour et l’indéniable climat de défiance qui a régné ces dernières années envers notre classe politique. Paradoxe toujours, entre les résultats du scrutin et l’énorme proportion d’électeurs indécis il y a deux semaines encore : 18 millions, soit 40% des inscrits. Ce 22 avril 2007 nous a donné une participation énorme et des votes au premier tour pour les candidats des principaux partis à des taux que l’on n’avait plus vu depuis longtemps. Si à cela nous ajoutons un net recul du candidat du Front National, on se croirait revenu plusieurs décennies en arrière et même sauvés du marasme. A n’en pas douter, c’est la tonalité d’autosatisfaction qui ressortira des commentaires du microcosme politique, qui s’imaginera, à tort, être à nouveau fort légitime.

Mais ce serait aller beaucoup trop vite en besogne, examinons la situation. Deux facteurs ont entraîné ce résultat : d’abord la peur des électeurs de retomber dans l’impasse du 21 avril 2002, ce qui a empêché des millions de citoyens de donner leur vote à des candidats mineurs, ensuite l’absence d’une formation politique susceptible d’exercer le pouvoir et qui puisse être une alternative crédible aux partis hégémoniques de notre système politique, ce qui a paradoxalement poussé les mêmes millions de citoyens, très insatisfaits, dans les nasses de l’UMP-PS.

La ruine

Dans ce climat, les protestataires ont moins voté pour Le Pen, ce qui est la seule satisfaction du jour ; les alliés du PS (PC, Verts, MRC, Radicaux) se sont sacrifiés pour pouvoir être sûrs que la "gauche" passe au second tour ; ce qui permet d’affirmer que malgré les apparences, le PS est aujourd’hui une force politique moribonde, fuie par les classes populaires, qui sans le vote utile de ses alliés aurait été devancé par F. Bayrou ; celui-ci a principalement bénéficié d’un vote anti-système mais aussi d’un vote social-démocrate et européiste que Mme Royal ne convainquait pas ; enfin, face à ce spectacle de la ruine de notre politique, la séduction de la "comédie de la vitalité" de N. Sarkozy a joué à plein.

D’aucun dirons qu’il est pour eux hors de question de soutenir qui que ce soit parmi les deux finalistes. Nous comprenons leur répugnance à voter "parti socialiste", mais nous pensons qu’il faut malgré tout tenter de battre N. Sarkozy, d’autant qu’il est en position plus favorable pour gagner. [1]

Bien sûr, le retour au pouvoir de la bonne conscience et des recettes contre-productives des socialistes aurait des conséquences funestes pour notre pays, et dans un cas comme dans l’autre nous serons une opposition résolue, mais l’impact d’un Sarkozy nous paraît bien plus grave encore, sur l’Europe (il veut faire repasser la "constitution" par un simple vote du Parlement), la soumission du monde du travail à la globalisation, l’atlantisme, mais surtout parce qu’il nous est désormais possible de comprendre pourquoi l’ex-ministre de l’intérieur sème tant la division sur son passage, car depuis cette campagne au plus tard, nul ne peut ignorer la dangereuse vision de l’Homme qu’il a désormais explicitement énoncée : selon lui l’Homme serait déterminé génétiquement (voyez sa conversation avec M. Onfray).

Les conséquences politiques de cette idée sont extrêmement dangereuses. Nous avions déjà précisément entrevu cette tournure d’esprit dans son projet de dépistage — chez les enfants de 3 ans ! — de ceux qu’il croyait pouvoir utilement détecter comme étant de futurs délinquants. Mais désormais nous voyons que c’est de cette idée de l’Homme que découle sa vision de la société et de la politique, qui se situe aux antipodes de la culture politique de notre pays. De là vient en effet le rôle exacerbé qu’il fait jouer au marché, à la concurrence, à la prise de risque. Ces dispositions expriment et réalisent son idéologie, en réduisant la politique à la mise en œuvre de conditions propices aux activités des individus dotés de capacités, disons, inhabituelles (pour lesquels, comme pour toutes les caractéristiques des personnes, il considère que « la part de l’inné est immense » [2]). Au final, ce sont ces personnes, dans sa politique, les organisateurs de fait de notre société.

Or, à la base de notre civilisation, il y a l’idée que la politique doit mettre en œuvre des règles qui doivent permettre à tous de construire leur vie, afin de ne pas livrer l’Homme à la prédation des plus forts, en quelque domaine que ce soit. Parce qu’ « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit » (Lacordaire), il incombe à la politique, par le débat démocratique, de donner un cadre, des repères, aux activités humaines afin que celles-ci puissent contribuer au bien commun, et non de faire le choix inverse de favoriser les plus habiles et les plus forts pour que ce soit eux qui tracent par le fait accompli les contours de notre société à leur convenance.

Ceci est une des façons de résumer la ligne de fracture qui nous sépare du camp de la globalisation qui rassemble tous nos dirigeants. N. Sarkozy en étant le plus ardent promoteur, jusqu’à cette idée de l’Homme qu’il a fait sienne, il nous semble indispensable de voter contre lui.

L’obligation de résultat

La situation née de ce premier tour rend plus que jamais nécessaire la tâche qui nous incombe de travailler à construire, chacun selon ses possibilités, un rassemblement populaire qui s’astreigne à faire ce qui doit être fait pour devenir une formation politique alternative à l’UMP-PS qui soumettent la France à la globalisation, secondés en cela par l’UDF, leurs satellites et les partis extrémistes.

Cette situation rend plus que jamais nécessaire la candidature aux législatives du premier rang des citoyens conscients de cet enjeu, afin qu’ils aillent au contact direct de nos compatriotes pour les rallier et réactualiser, depuis la base, la culture politique de notre république une, laïque, démocratique et sociale, dans les conditions du monde d’aujourd’hui.

La participation exceptionnelle lors de ce premier tour, près de 84%, doit nous convaincre que nos compatriotes sont bel et bien pourvus d’un esprit civique qui demande à la politique de sculpter notre avenir, même si, faute d’une proposition politique adéquate, leurs suffrages sont répartis comme ils le sont. Il ne dépend que de nous de faire en sorte que cela change sachant que notre succès est au bout de notre détermination.


www.plateforme2007.net  - 23 avril 2007


[1] Ajoutons que si S. Royal gagnait, ce serait par une "alliance" avec F. Bayrou, ce qui déboucherait sur un gouvernement plus hétérogène et propice à la multiplication des débats et donc aussi à ce que nous puissions nous faire entendre, comme nous l’expliquions dans un éditorial précédent

[2] voyez « La vraie rupture de Sarkozy : le déterminisme génétique »