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Le
futur traité européen, destiné à remplacer la constitution européenne
rejetée en 2005, est en cours de rédaction. Il sera soumis pour
ratification aux parlementaires français (députés et sénateurs) très
prochainement, avant la fin 2007 en tout cas. Parmi tous les aspects
inquiétants de ce traité, figure la référence aux «minorités
nationales», voulue notamment par l’Allemagne. Le texte
(de J. Kotoujansky - H. Brochart - J.
Buchmann)
ci-dessous a été envoyé à chaque
parlementaire pour alerter sur les dangers du texte qui sera soumis.
Nous désirons qu’un débat citoyen ait lieu sur cette question.
"Madame la députée, Monsieur le
député,
Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur,
Dans quelques mois, vous aurez à vous
prononcer sur le traité européen qu’aura rédigé une conférence
intergouvernementale.
Ce traité, qui donnera la
personnalité juridique à l’ « Union européenne » (UE), établira la
supériorité du droit européen même dérivé sur le droit national même
constitutionnel, généralisera les votes à la majorité, créera la
présidence personnalisée du Conseil européen ainsi que la fonction
correspondant à un ministre des Affaires étrangères de l’UE, marquera
donc sans ambiguïté l’entrée de la France dans un système fédéral et
l’abandon du principe de la souveraineté nationale.
En tant que citoyens français,
militants ou anciens militants de partis politiques qui placent ou
plaçaient la souveraineté nationale au cœur de leur projet, attachés que
nous sommes à l’héritage politique du gaullisme, nous réprouvons cette
orientation dont nous avions cru comprendre que le peuple français
l’avait refusée le 29 mai 2005.
Vivant en Alsace, région évidemment symbolique de la relation
franco-allemande, laquelle est le premier moteur de la construction
européenne, si nous prenons l’initiative de nous adresser aux
parlementaires, c’est moins pour revenir sur les termes d’un débat qui
vous sont connus, que pour attirer votre attention sur les conséquences
d’un article du futur traité. Cet article serait celui renvoyant à la «
Charte des droits fondamentaux de l’UE », dont les dispositions
deviendraient alors juridiquement contraignantes pour la France.
La novation essentielle que cette
charte introduirait dans le droit positif français, lequel ignorait
jusqu’à présent cette catégorie juridique, serait celle de « minorité
nationale ». En effet, l’article 21 de cette charte, relatif à la
non-discrimination, mentionne explicitement « l’appartenance à une
minorité nationale », tandis que l’article 22 stipule que « l’Union
respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique ». Nous
croyons fermement que là se trouvent les conditions d’attribution de
« droits collectifs » à des requérants qui se prévaudraient de cette
charte, soit devant la Cour de Luxembourg (CJCE), soit devant la Cour de
Strasbourg (CEDH), pour briser l’unité de la République.
Pour bien comprendre cette question,
il faut en connaître l’origine. Pour nous, et pour tout observateur
informé, cette origine est évidemment l’Allemagne. Remarquons tout
d’abord la sobriété, dans le droit fil de 1789, avec laquelle est
traitée la non-discrimination dans la Constitution française (art. 1) :
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et
sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans
distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les
croyances. »
En revanche, pour exprimer, en
principe, le même refus des discriminations, les textes européens
(Convention européenne des droits de l’homme (art. 14), Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires, Convention-cadre pour
la protection des minorités nationales, Traité d’Amsterdam (art. 13),
Charte des droits fondamentaux de l’UE) font appel aux concepts de
« minorité nationale » et « d’origine(s) ethnique(s) », concepts liés
le cas échéant. (Il n’est pas besoin de souligner qu’ethnie et race ne
sont pas synonymes.) Ces deux concepts ont jusqu’à présent été inconnus
du droit de la République, lequel ne connaît que la distinction entre
Français et étrangers et refuse toute reconnaissance de « droits
collectifs » à quelque fraction des citoyens que ce soit et toute
distinction juridique à caractère ethniciste. En revanche, la conception
traditionnelle allemande, implicite sinon explicite, de la citoyenneté
accueille ces catégories, reliant la nation à « l’ethnie » et les a
imposées progressivement aux textes européens.
(Précisons bien que lorsqu’il est
question de l’Allemagne, ce n’est évidemment pas à son peuple que nous
pensons, lequel ne se soucie pas de ces questions et doit demeurer à
jamais l’ami du peuple français ; c’est des dirigeants et des milieux
d’influence qui agissent en son nom dont il s’agit. Du reste, il n’y a
pas que pour la démocratie allemande et sur ces questions que cette
distinction est pertinente...)
Mais pourquoi l’Allemagne insiste-t-elle autant - ainsi la chancelière
A. Merkel lors du dernier Conseil européen de Bruxelles - pour que la
charte acquière une valeur juridique contraignante ?
Remarquons tout d’abord que le
Royaume-Uni s’est exempté prudemment des contraintes de cette charte. On
dira sans doute que c’est en raison de considérations liées au droit du
travail ; nous croyons quant à nous que les négociateurs britanniques
ont évidemment pensé à l’Ecosse, au Pays de Galles et à l’Irlande du
Nord.
Donnons ensuite deux citations qui
nous paraissent refléter ce que veut l’Allemagne. Klaus Kinkel, alors
ministre (CDU-CSU) des Affaires étrangères, parlait en 1993 d’
« accomplir quelque chose en quoi nous avons échoué à deux reprises et
qui est, en harmonie avec nos voisins, de trouver le rôle correspondant
à nos souhaits et à notre potentiel »1. Quant à Joseph (Joschka)
Fischer, son futur successeur (SPD-Verts), il se demandait en 1995 si
l’Allemagne allait « enfin obtenir ce que le monde lui a refusé au
cours des deux dernières guerres mondiales, c’est-à-dire une sorte
d’hégémonie douce sur l’Europe, résultat de son poids, de sa position
géographique, de sa puissance industrielle »2, avant de lancer en mai
2000 l’idée d’un traité constitutionnel. On pourrait du reste aisément
multiplier de telles citations. Pense-t-on qu’une ambition aussi
clairement affirmée, aussi partagée sur l’échiquier politique allemand,
venue d’aussi loin, soit contingente et passagère, ou traduit-elle au
contraire une constante fondamentale de la géopolitique allemande ?
Or, il manquait à cette ambition, jusqu’à présent, un instrument
juridique adéquat. Le traité européen en préparation serait cet
instrument.
La combinaison des catégories de
« minorité » ’’nationale’’ ou ’’ethnique’’ ou ’’linguistique’’, de
saisine directe par des particuliers des deux Cours européennes aux
jurisprudences si résolument fédéralistes, ainsi que la supériorité du
droit européen sur les droits nationaux (qui sera établie dans le traité
par le biais des jurisprudences de la Cour de Luxembourg)3, forgerait le
dispositif de morcellement de la France, de l’Italie, des Etats au
fédéralisme conflictuel (Espagne, Belgique), et des Etats à
« minorités » (Pologne, République tchèque, Etats balkaniques et de
l’Europe orientale) vers « l’Europe des Régions », à base
ethno-linguistique.
Ainsi l’Allemagne pourrait-elle travailler à s’augmenter de ces
« minorités allemandes » à ses frontières qui, croit-elle, lui sont
liées par l’Histoire, la langue et, fondamentalement, par « l’ethnie ».
De cette évolution, qu’appellent de leurs vœux les associations non
gouvernementales pangermanistes qui gravitent dans l’ombre autour du
Conseil de l’Europe et de toutes les institutions fédérales bruxelloises
ou strasbourgeoises, sortirait une suite fatale de conflits frontaliers.
C’est cette sinistre boîte de Pandore qu’ouvriraient nos parlementaires
en ratifiant en l’état le traité.
Pour la France, outre à sa prétendue
« minorité allemande » en Alsace-Moselle de certains atlas «
ethno-linguistiques » d’outre-Rhin, les revendications d’abord
culturelles et linguistiques puis politiques, adroitement attisées,
flattant démagogiquement les tentations identitaires, ne manqueraient
pas de s’étendre aux Corses, Catalans, Occitans, Basques, Bretons et à
ses collectivités d’outre-mer où l’on voit déjà, en Nouvelle-Calédonie
et Polynésie, les prémisses des indépendances.
On nous objectera sans doute que ce
sont là des fantasmes. Le géographe Paul Vidal de la Blache écrivait
dans la préface de La France de l’Est (Lorraine-Alsace) : « A chaque
date critique (...), des avertissements partent de cette frontière.
C’est comme un de ces observatoires naturels embrassant un vaste
horizon, d’où l’on voit se former et venir de loin les orages. »
Regardons donc la situation dans le laboratoire alsacien-mosellan de
cette évolution.
Nous avons sous nos yeux en Alsace les progrès d’un dispositif qui
n’attend que le traité pour paraître au grand jour. La Région Alsace
expérimente la gestion directe, sans intervention de l’Etat, des fonds
structurels dispensés par la Commission européenne (Interreg et autres).
Son président, qui est aussi celui de l’ « Association des Régions
d’Europe » peut voir là sans doute une préfiguration de l’« Europe des
Régions », (capitale : Bruxelles). Les « eurodistricts »
transfrontaliers (pour Strasbourg, Colmar, Mulhouse avec les communes
allemandes ou suisses voisines), les « eurorégions » (SarLorLux, Pamina,
Alsace-Pays de Bade, Régio TriRhena), le « Conseil rhénan » (esquisse de
parlement transfrontalier), tous les embryons d’institutions
transnationales sont là qui n’attendent que les instruments juridiques.
Il s’y ajoute les instruments culturels dont le bilinguisme
français/allemand qui s’imposerait grâce à des associations ad hoc et
qui joue sur l’ambiguïté consistant à faire croire, à Paris surtout, que
l’allemand est la forme écrite du dialecte alsacien et que les Alsaciens
sont bilingues, contre-vérités évidentes, lesquelles n’auraient pour
finalité que de germaniser l’Alsace sans franciser, bien entendu, sinon
de façon anecdotique, le Pays de Bade voisin.
Voici un fait symbolique des rapports
franco-allemands concrets à l’aune du fédéralisme. Depuis plus de deux
ans, l’Allemagne a imposé un péage (taxe LKW) aux camions sur ses
autoroutes, sans concertation avec la France et sans exemption pour
l’axe Bâle-Karlsruhe, l’un des plus fréquentés d’Europe pour le
transport de marchandises. Pour échapper à la taxe, les camions
empruntent, sans surprise, l’axe gratuit Nord-Sud de l’Alsace qui n’est
que très partiellement autoroutier. Il en résulte, autour de Strasbourg
notamment, une inflation massive de la circulation avec détérioration du
réseau, paralysie quotidienne du trafic et accidents. A cette décision
unilatérale de l’Allemagne, la France n’a opposé à ce jour qu’une
gesticulation sans effet, « l’amendement Bur ». Dans le « couple »
franco-allemand, ce n’est pas, au moins ici, la « parité » qui règne
mais le sans-gêne.
Mesdames, Messieurs les
parlementaires, on entend souvent dire que l’élection présidentielle et
les élections législatives de cette année doivent tenir lieu de
référendum sur l’Europe, le président de la République et les députés
ayant reçu un mandat universel. Or cela n’est pas juste. Le président
avait promis aux Français de ne pas leur réimposer la « Constitution
européenne » ; mais il veut leur imposer par voie parlementaire le
traité qui est la Constitution sans le nom. Quant aux députés, tant à
l’UMP qu’au PS, leurs professions de foi ne mentionnaient pas, ou très
allusivement, la question européenne. Par conséquent, c’est bien sans
mandat impératif et librement que les députés comme les sénateurs auront
à se prononcer sur le traité, puisque le référendum semble
malheureusement écarté. Ils peuvent ainsi exercer leur droit
d’amendement s’ils ne veulent pas, comme c’est hélas ! probable, le
rejeter en bloc.
Ainsi, les parlementaires peuvent, à
l’instar du Royaume-Uni, dispenser de l’applicabilité de la Charte des
droits fondamentaux de l’UE la France, où les droits de l’homme et les
relations sociales n’en ont nul besoin. Combien intéressante serait
alors l’expérience qui montrerait ce que l’Allemagne attend vraiment de
« l’Europe » !
Intervenant ces jours-ci sur le
« blog » de V. Giscard d’Estaing, l’un de nous se vit répondre par
l’ancien président que nos craintes quant à la menace de démantèlement
de notre Etat nation étaient infondées, notre droit national nous en
mettant à l’abri ; que tout cela avait été réfléchi par la Convention
qu’il présidait, pour faire droit aux craintes de l’Espagne notamment,
ou à la question des « Hongrois » de Roumanie. Hélas ! Pour ce qui est
de l’Espagne, en effet, les craintes sont légitimes mais tardives : la
Catalogne ou le Pays Basque n’en font plus partie que du bout des
lèvres. Doit-on voir là une préfiguration du destin de l’Alsace ou de la
Corse ? Pour ce qui est de la Roumanie et de ses « Hongrois », on ne
craindra en effet jamais assez d’introduire, à l’exemple de cette
situation, la catégorie de « minorité nationale » en France. Nous
l’avons dit plus haut, la supériorité du droit de l’UE sur les droits
nationaux rendrait sans portée les dispositions constitutionnelles
opposées aux revendications régionalistes, autonomistes ou
indépendantistes.
Il y a une autre voie pour l’avenir
du continent européen et nous sommes convaincus, quel que soit le traité
qui s’appliquera l’an prochain, qu’elle s’imposera un jour. Ce sera
l’Europe confédérale des Etats nations préservés, des coopérations
inter-étatiques et des compétences déléguées, incluant la Fédération de
Russie qui contribuera à l’indépendance et à la sécurité du continent,
face aux tentations allemandes et aux visées hégémoniques de la « nation
primordiale » atlantique, chère au président de la République.
Mesdames, Messieurs les
parlementaires, jamais depuis qu’existent en France des assemblées
politiques délibérantes, le vote des vôtres, celle représentant son
peuple et celle représentant ses collectivités territoriales, n’aura eu
une telle importance. Dire oui au traité fédéral, c’est renoncer à la
souveraineté et à l’indépendance nationales. Dire oui à la Charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne, c’est ouvrir la carrière aux
forces centrifuges qui amoindriront la France. Les générations futures
auront, un jour, à juger ce vote que chacun de vous fera
librement et en conscience, au rendez-vous
de la République et de l’Histoire de France."
Notes :
1 Frankfurter Allgemeine
Zeitung, 19-3-1993.
2 Risiko Deutschland, 1995
3 Cf art. I-6 du projet de Constitution européenne : « (...) le droit adopté
par les institutions de l’Union, dans l’exercice des compétences qui
sont attribuées à celle-ci, prim(e) le droit des États membres. »
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