Il
y a quarante ans, le 17 août 1967, le général de Gaulle signait
l'ordonnance sur « la participation des salariés aux fruits de
l'expansion des entreprises. » Ainsi, en pleine torpeur estivale, était
relancé un chantier marqué, jusqu'à aujourd'hui, de nombreux textes de
lois et décrets qui ont fait entrer partiellement dans la réalité, y
compris dans le Code du travail, un des grands desseins du général de
Gaulle.
Si le mot de
participation retrouve une nouvelle actualité en cette année 1967,
l'idée est ancienne et continue dans la pensée humaniste du général de
Gaulle, inspirée en particulier par sa méfiance envers la « loi d'airain
» du capitalisme. Durant la guerre, le rassemblement des Français qu'il
prône va de pair avec le double refus de l'injustice sociale et de la
lutte des classes. En créant les comités d'entreprise en 1945, il
concrétise un des points du programme du Conseil national de la
Résistance.
À la fin des années
quarante, à la tête du RPF, dans ses discours du 1er mai à Bagatelle,
dans ceux de Saint-Etienne et de Lille, il souligne la nécessité, pour
rénover et moderniser le pays, d'associer le capital et le travail.
Entre « un capitalisme abusif » et « un communisme écrasant », l'idée
est audacieuse, directement inspirée à la fois du socialisme utopique
français et du christianisme social.
Pour le Général, ce qui
est en jeu est la condition morale du salarié dans la civilisation
moderne, sa responsabilisation comme partenaire à part entière, «
associé » à la gestion et au partage des fruits de l'essor de
l'entreprise. La participation dans l'entreprise, il la voit comme une
solution concrète pour faire évoluer la condition matérielle et morale
des travailleurs, et répondre à la contradiction entre le libéralisme et
le socialisme.
Son champ d'application
est très ambitieux puisqu'il embrasse à la fois les bénéfices, le
capital et la gestion, selon un processus qui devrait étendre
progressivement le droit des salariés à la propriété des entreprises.
Révolutionnaire, puisqu'elle déroge à la logique capitaliste, cette
innovation se heurte à des puissants obstacles, le refus des milieux
d'affaires conjugué à la contestation de ce que syndicats et forces de
gauche appellent la collaboration de classes.
Au cours de son second
septennat, le Général reprend l'idée car le moment est venu, comme il
l'affirme dans sa conférence du 16 mai 1967, que « les travailleurs
français participent d'une manière organique et en vertu de la loi, aux
progrès de l'expansion dès lors que ceux-ci se traduisent en bénéfices
ou en enrichissements. » Cette étape nouvelle, qu'il nomme désormais la
participation, il va s'attacher à la définir en s'inspirant des
propositions « pancapitalistes » du patron polytechnicien
Marcel Loichot, puis à la promouvoir pour la faire aboutir.
En juillet 1965, Louis
Vallon, rapporteur général de la commission des finances, introduit dans
la loi de finances pour 1966, avec l'accord du Général, un amendement
qui oblige le gouvernement à déposer rapidement un projet de loi
élargissant les droits des salariés « sur l'accroissement des valeurs
d'actif des entreprises dues à l'autofinancement », ceux-ci étant
désormais à considérer comme des associés admis au partage des fruits de
l'essor des entreprises.
Une commission ad hoc est
alors installée par le premier ministre et le ministre de l'Économie et
des Finances, avec, comme souvent en pareil cas, liberté d'enterrer le
projet. Mais le Général ne se laisse pas influencer : en juillet 1967,
mécontent du travail de retardement accompli par la commission, il
presse le mouvement et impose à Georges Pompidou de préparer d'urgence
un texte de loi sur ce sujet. Et la rédaction du texte s'est poursuivie
sur les bases voulues par le premier ministre qui, compte tenu de sa
fragile majorité parlementaire, le fit passer sous forme d'ordonnance.
Par cette mesure de 1967,
le Général entendait associer la modernisation du pays et sa rénovation
sociale sur la base d'équité et de dignité pour un grand nombre de
salariés. Il y voyait un essai de conjuguer l'esprit d'entreprise et
l'esprit d'association, pour avancer vers ce qu'il appelait « un ordre
social nouveau » capable de changer le sort de l'homme « pris dans les
engrenages de la société mécanique ».
Par la suite, de Gaulle
aurait dit à Louis Vallon : « Il vous faudra reprendre ces textes pour
les muscler ! » ; rude tâche face à l'opposition du patronat et des
syndicats et au scepticisme d'une partie du gouvernement. Et, en
souhaitant « que la participation devienne la règle et le ressort d'une
France renouvelée », le général de Gaulle songeait logiquement aux
grands chantiers de l'université et de la réforme régionale ouverts en
1968 et 1969. L'échec du référendum de 1969 freinera cette perspective
de renouveau.
Utopie pionnière ou
inspiration chrétienne, ou encore, méthode de démocratie participative
avant l'heure, le fait est qu'aujourd'hui, après quatre décennies
d'efforts législatifs, la participation reste une idée d'actualité,
comme en témoigne récemment le rapport remis en avril 2007 au premier
ministre par Alain Gournac et Paul Maillard, sur la participation des
salariés aux résultats dans les entreprises de moins de 50 salariés. Il
n'est donc pas inutile de rendre hommage, aujourd'hui, au rôle
précurseur de Charles de Gaulle aussi dans le domaine de la réforme
sociale. |