Communiqué du 7 septembre 2007

 

A 40 ans, la loi sur la participation reste d'actualité

 
  • Par Pierre Mazeaud, président de la Fondation Charles de Gaulle, ancien président du Conseil constitutionnel.

Il y a quarante ans, le 17 août 1967, le général de Gaulle signait l'ordonnance sur « la participation des salariés aux fruits de l'expansion des entreprises. » Ainsi, en pleine torpeur estivale, était relancé un chantier marqué, jusqu'à aujourd'hui, de nombreux textes de lois et décrets qui ont fait entrer partiellement dans la réalité, y compris dans le Code du travail, un des grands desseins du général de Gaulle.

Si le mot de participation retrouve une nouvelle actualité en cette année 1967, l'idée est ancienne et continue dans la pensée humaniste du général de Gaulle, inspirée en particulier par sa méfiance envers la « loi d'airain » du capitalisme. Durant la guerre, le rassemblement des Français qu'il prône va de pair avec le double refus de l'injustice sociale et de la lutte des classes. En créant les comités d'entreprise en 1945, il concrétise un des points du programme du Conseil national de la Résistance.

À la fin des années quarante, à la tête du RPF, dans ses discours du 1er mai à Bagatelle, dans ceux de Saint-Etienne et de Lille, il souligne la nécessité, pour rénover et moderniser le pays, d'associer le capital et le travail. Entre « un capitalisme abusif » et « un communisme écrasant », l'idée est audacieuse, directement inspirée à la fois du socialisme utopique français et du christianisme social.

Pour le Général, ce qui est en jeu est la condition morale du salarié dans la civilisation moderne, sa responsabilisation comme partenaire à part entière, « associé » à la gestion et au partage des fruits de l'essor de l'entreprise. La participation dans l'entreprise, il la voit comme une solution concrète pour faire évoluer la condition matérielle et morale des travailleurs, et répondre à la contradiction entre le libéralisme et le socialisme.

Son champ d'application est très ambitieux puisqu'il embrasse à la fois les bénéfices, le capital et la gestion, selon un processus qui devrait étendre progressivement le droit des salariés à la propriété des entreprises. Révolutionnaire, puisqu'elle déroge à la logique capitaliste, cette innovation se heurte à des puissants obstacles, le refus des milieux d'affaires conjugué à la contestation de ce que syndicats et forces de gauche appellent la collaboration de classes.

Au cours de son second septennat, le Général reprend l'idée car le moment est venu, comme il l'affirme dans sa conférence du 16 mai 1967, que « les travailleurs français participent d'une manière organique et en vertu de la loi, aux progrès de l'expansion dès lors que ceux-ci se traduisent en bénéfices ou en enrichissements. » Cette étape nouvelle, qu'il nomme désormais la participation, il va s'attacher à la définir en s'inspirant des propositions « pancapitalistes » du patron polytechnicien Marcel Loichot, puis à la promouvoir pour la faire aboutir.

En juillet 1965, Louis Vallon, rapporteur général de la commission des finances, introduit dans la loi de finances pour 1966, avec l'accord du Général, un amendement qui oblige le gouvernement à déposer rapidement un projet de loi élargissant les droits des salariés « sur l'accroissement des valeurs d'actif des entreprises dues à l'autofinancement », ceux-ci étant désormais à considérer comme des associés admis au partage des fruits de l'essor des entreprises.

Une commission ad hoc est alors installée par le premier ministre et le ministre de l'Économie et des Finances, avec, comme souvent en pareil cas, liberté d'enterrer le projet. Mais le Général ne se laisse pas influencer : en juillet 1967, mécontent du travail de retardement accompli par la commission, il presse le mouvement et impose à Georges Pompidou de préparer d'urgence un texte de loi sur ce sujet. Et la rédaction du texte s'est poursuivie sur les bases voulues par le premier ministre qui, compte tenu de sa fragile majorité parlementaire, le fit passer sous forme d'ordonnance.

Par cette mesure de 1967, le Général entendait associer la modernisation du pays et sa rénovation sociale sur la base d'équité et de dignité pour un grand nombre de salariés. Il y voyait un essai de conjuguer l'esprit d'entreprise et l'esprit d'association, pour avancer vers ce qu'il appelait « un ordre social nouveau » capable de changer le sort de l'homme « pris dans les engrenages de la société mécanique ».

Par la suite, de Gaulle aurait dit à Louis Vallon : « Il vous faudra reprendre ces textes pour les muscler ! » ; rude tâche face à l'opposition du patronat et des syndicats et au scepticisme d'une partie du gouvernement. Et, en souhaitant « que la participation devienne la règle et le ressort d'une France renouvelée », le général de Gaulle songeait logiquement aux grands chantiers de l'université et de la réforme régionale ouverts en 1968 et 1969. L'échec du référendum de 1969 freinera cette perspective de renouveau.

Utopie pionnière ou inspiration chrétienne, ou encore, méthode de démocratie participative avant l'heure, le fait est qu'aujourd'hui, après quatre décennies d'efforts législatifs, la participation reste une idée d'actualité, comme en témoigne récemment le rapport remis en avril 2007 au premier ministre par Alain Gournac et Paul Maillard, sur la participation des salariés aux résultats dans les entreprises de moins de 50 salariés. Il n'est donc pas inutile de rendre hommage, aujourd'hui, au rôle précurseur de Charles de Gaulle aussi dans le domaine de la réforme sociale.