Il
est indiscutable que l'objectif de l'entreprise idéologique qui
se cache sous le nom d'Europe est de détruire les nations.
Et chacun d'en relever ici ou là
les symptômes, qui abondent.
Cependant, à l'observateur muni
d'un peu de culture historique, il apparaît essentiel de ne
point se tromper de diagnostic sur une question aussi
apparemment triviale qu'en réalité mal connue : le problème
"belge".
Une curieuse malédiction semble
toucher une région dont les frontières semblent parsemées
d'écriteaux "Interdit de penser"...
Existerait-il donc, à 300 km de
Paris, une tribu gauloise folklorique dont l'unique occupation
serait de s'empoigner, de se bagarrer pour un oui, pour un non,
sous le regard diversement amusé ou consterné de ses voisins ?
Peuplé de personnages truculents
et grotesques, ce pays ne serait que prétexte à blagues éculées,
au point de rendre inaudible tout discours sérieux sur l'origine
d'un divorce... qui était, en réalité, programmé dès le début...
Reprenons. Au commencement était
la Gaule, et Jules César nous dit que "de tous les peuples de la
Gaule, les Belges sont les plus braves"... Oui, mais.
1) Il s'agit bien de la Gaule, et
de tribus gauloises. Point de Flamands à l'horizon.
2) Les plus braves des Gaulois
sont ceux qui ont résisté le plus longtemps au divin Jules : les
Bellovaques, habitants du Beauvaisis, sous leur chef Correus,
Belges parmi les Belges...
3) Car la Belgique n'est en
réalité que la Gaule du Nord. Et sa capitale est Durocortorum
(Reims)...La Belgica n'a ni plus, ni moins de réalité que la
Lyonnaise.
Nulle prédestination "pirennique"
ou "belgicaine" là-dedans...
Arrivent les invasions
germaniques, qui s'arrêtent, en gros, aux forêts. Et la future
frontière linguistique variera dès lors fort peu, suivant une
ligne horizontale de Maëstricht à Dunkerque.
Mais sur les ruines de l'Empire
romain se constituent comtés et duchés, villes et principautés
ecclésiastiques, chevauchant ou débordant ladite frontière.
C'est le traité de Verdun, qui,
pour faire des parts égales entre princes germaniques, en
taillant dans la chair de la chair, est à l'origine de tout.
La Francia occidentalis, première
dénomination de notre pays, se voit séparée de provinces de
langue et de culture romanes, tandis que, curieusement, la
Flandre, où se parlent majoritairement des dialectes
bas-allemands, relève du roi de France.
Tour de passe-passe
supplémentaire : la Lotharingie passe à l'Est... On ne dénoncera
jamais assez la nocivité de ces règles de dévolution
carolingiennes, qui font bon marché de la réalité, à fortiori
des voeux, des populations...
Les rois de France mettront mille
ans à faire leur "pré carré"... Succès presque complet. Sauf,
justement, là...
La Guerre de Cent Ans retarde
notablement le processus de l'unité française. L'Angleterre
cherche à remuer le couteau dans la plaie, et favorise, tant
qu'elle peut, l'aventure bourguignonne...
Période d'horreurs sans nom, de
massacres et d'épidémies, de guerre civile quasi-permanente.
Après Charles V et Charles VII,
Louis XI est un grand rassembleur de terres.
Son règne sera cependant marqué
par une erreur, une seule : il fait confiance, une fois... à
Charles le Téméraire, se retrouve otage, et obligé de marcher
contre Liège...
Après l'échec de la tentative du
"Grand Duc d'Occident", la région allant de l'Escaut à l'Ardenne
est offerte en gage à l'empire du moment. On assiste à ces
dévolutions extraordinaires qui donnent les "Pays-Bas
espagnols"... lesquels, amputés de leurs provinces du Nord,
deviennent plus tard autrichiens...
Il est extrêmement curieux que
personne, aujourd'hui, ne s'arrête sur le caractère aberrant de
cette situation...
Peut-être, si l'Ancien Régime
avait duré plus longtemps, aurions-nous assisté à l'apparition
de Pays-Bas danois, mongols, mexicains... Toujours plus absurde
!
En réalité, il s'agit bien du
résultat précaire d'un certain équilibre de forces en Europe, et
les ennemis de la France - au premier rang desquels l'Angleterre
- veillent, avec acharnement, à maintenir le couteau dans la
plaie...
Notons que la France a perdu la
Flandre - elle en regagnera une partie, principalement la
Flandre romane, sous Louis XIV.
Notons également que la
principauté de Liège, relevant nominalement du Saint-Empire
romain germanique, dispose en fait d'une large autonomie. Elle
représente, en surface, un bon tiers de la "Wallonie" actuelle,
et les habitants de cette "Petite France de Meuse" se sentent en
réalité Français.
Mais le caractère pervers du
statut de ces provinces se révélera toujours à l'heure du danger
: en 1636, encore, les Espagnols sont sur la Somme, devant
Corbie, comme les Allemands en 1914...
"Eh, quoi", disait, scandalisé,
le bon roi Henri IV, "Paris frontière ?"
A la fin du règne de Louis XIV,
la menace est toujours là - arrêtée juste à temps, à Malplaquet
et à Denain...
Arrive la Révolution. Les Wallons
sont partie prenante, participent à la Fête de la Fédération,
s'intègrent avec enthousiasme à la République. La Wallonie
actuelle comprend les départements de l'Ourthe (chef-lieu
Liège), de Sambre-et-Meuse (chef-lieu Namur), de Jemmapes
(chef-lieu Mons), le sud du département de la Dyle (chef-lieu
Bruxelles), et le département des Forêts (dont le chef-lieu est
à l'époque Luxembourg).
En Flandre, l'accueil est moins
enthousiaste. Les Flamands tirent dans le dos des soldats de
Napoléon en retraite - cela deviendra une habitude...
Les Wallons, eux, se trouvent
arrachés contre leur gré au reste de la France après Waterloo.
Car l'Angleterre, et la Sainte
Alliance, veulent construire un rempart contre la France : le
Grand Royaume des Pays-Bas, préfiguration du Benelux, dans
lequel, par précaution, on arme des forteresses : garnison
hollandaise à Bouillon, prussienne à Luxembourg...
Cependant, il est bien difficile
de nier le caractère français de la Wallonie, qui regroupe des
Picards, des Lorrains et des Champenois, en-dehors des Wallons
proprement dits...
Quel caractère "national"
différencierait Tournai de Lille, Mons de Valenciennes, Chimay
de Rocroi, Bouillon de Sedan ?...
Aucun historien ne remarque que,
alors que le principe des nationalités est dénié à la France, en
ce qui concerne la Wallonie, il est appliqué à la Prusse, avec
l'extraordinaire cadeau qui lui est fait de la Rhénanie - contre
le voeu des habitants !
Si l'on regarde la carte de la
frontière française du nord-est en 1815, deux choses ont changé
par rapport à 1789 : la disparition de la principauté de Liège,
et l'installation de la Prusse sur le Rhin, ce qui lui donne les
bases d'une formidable puissance industrielle et militaire...
Pendant cette période, les
Hollandais commencent à vouloir néerlandiser les pays wallons :
ce sera l'une des causes de la révolution de 1830.
Car en 1830, la Belgique se
soulève. Notons que la bourgeoisie flamande est, elle aussi,
francophone.
Premier souhait du peuple :
redevenir Français. Premier veto britannique.
Solution de repli : au moins,
avoir un prince français - un fils de Louis-Philippe. Second
veto britannique...
L'Angleterre va chercher un
prince de Saxe-Cobourg-Gotha, qui n'a rien à voir avec la
choucroute, et qui ne parle qu'allemand...
Curieuse dynastie : et pourquoi
pas Mamelouk-Chulalongkorn-Monomotapa ?...
Au fond, la vraie devise de la
Belgique n'est pas "L'Union fait la Force" - démentie
quotidiennement, car la Flandre, nation sans Etat en devenir,
puise dans le romantisme allemand les traits d'un éveil,
légitime par certains côtés, fort douteux par d'autres... - mais
bien "Faute de grives, on mange des merles"...
Mais les Wallons, faisant contre
mauvaise fortune bon cœur, vont se lancer, avec un succès
extraordinaire, dans l'aventure industrielle. Le sous-sol est
riche, les hommes sont entreprenants.
Et, du coup, la bourgeoisie
locale devient anglophile, et cherche à légitimer l'existence du
pays. C'est alors qu'est engagée l'extraordinaire entreprise
idéologique de réécriture de l'Histoire, sous la direction de
l'historien Henri Pirenne et de quelques autres, inventant au
besoin des faux (la charte d'Albert de Cuyk) pour essayer de
prouver que la Belgique avait préexisté de tous temps... A coups
de libertés communales (mais il existe aussi des beffrois
gothiques à Douai, à Compiègne, à Dreux, à Orléans, à
Aix-en-Provence...), à coups de références bourguignonnes (qui
seront reprises, sur un mode douteux, par les "collaborateurs"
des deux Guerres mondiales...)
Au moins le pays connaît-il une
merveilleuse floraison, non seulement économique, mais aussi
intellectuelle et artistique... en langue française. Citons
simplement Emile Verhaeren, Maurice Maeterlinck... Tout cela est
bien connu.
En 1914, Joffre est dans la
situation d'un général en chef qui a déjà perdu une grande
bataille... avant qu'un seul coup de fusil n'ait été tiré. Il
est tout de même extraordinaire qu'aucun historien ne le
remarque ! Si la Wallonie - car c'est la Wallonie qui est
stratégique ; il faut savoir lire une carte... - avait été
française alors, pas de plan Schlieffen ! Pas d'invasion
allemande ! Toute l'armée française sur les Hautes Fagnes,
couvrant les forts de Liège ! Pas de bataille calamiteuse de
Charleroi ! Pas de bataille de la Marne - mais une bataille du
Rhin.
Il aurait fallu à l'Allemagne,
soit se mettre un adversaire supplémentaire sur les bras, la
Hollande, et prêter facilement le flanc à une contre-attaque,
avec des lignes démesurément étirées, et la barrière de
l'Escaut... soit tâcher de forcer à travers la trouée d'Arlon -
qu'il n'aurait pas été au-dessus des forces de militaires même
moyennement doués de fortifier solidement.
Il n'est donc pas exagéré de dire
- ce qui n'infirme en rien le caractère extraordinairement
sympathique de la très grande majorité des "Belges" - que
l'existence même de la "Belgique" aura coûté à la France des
centaines de milliers de morts dans les deux Guerres
mondiales...
Aucun historien ne nous le dit...
Mais l'Angleterre savait ce
qu'elle faisait. Simplement, préparant, elle aussi "la guerre
d'avant", elle n'avait pas davantage vu venir la Prusse que, de
nos jours, les Etats-Unis n'ont vu l'Iran derrière l'Irak...
Car le plus extraordinaire, dans
tout cela, et le moins bien compris, est ceci : la "Belgique" du
XIXème siècle préfigure l' "Europe" des XXème et XXIème siècles
!
Oui, si l'on veut, "la Belgique
est le laboratoire de l'Europe". Mais dans un sens tout
différent de celui qu'on croit...
Reprenons : un assemblage, un
collage, un bricolage de nations ou morceaux de nations diverses
- assemblage, donc, impuissant par construction... et
objectivement au service de la puissance anglo-saxonne dominante
du moment. L'Angleterre au XIXème siècle, les Etats-Unis
aujourd'hui.
L'"Europe" d'aujourd'hui n'est
qu'une grosse Belgique impuissante et paralysante.
Etonnez-vous...
Reprenons le cours de l'Histoire.
Déjà, au tournant des XIXème et XXème siècles, le député Jules
Destrée disait au roi Léopold II "Sire, il n'y a pas de Belges".
Et au nord, la Flandre,
jusqu'alors divisée en dialectes divers, prend conscience de son
caractère de nation sans Etat, et demande à être administrée en
néerlandais.
Au début des années 1930,
l'université de Gand est néerlandisée, ce qui n'est que justice
- mais, parallèlement, tout enseignement en français est
interdit dans la ville, manifestation de revanche hargneuse et
intolérance récurrente... qui vise à marginaliser les
Francophones de Flandre, qualifiés de "Fransquillons" et
progressivement privés de tous droits linguistiques, au mépris
des principes démocratiques.
Après la remilitarisation de la
Rhénanie par Hitler, Léopold III dénonce l'alliance française.
Après avoir envoyé un télégramme à l'occasion de l'anniversaire
du Führer, il masse la moitié de son armée face à la frontière
française...
En 1940, une grande partie des
troupes flamandes déserte... quand elle ne tire pas dans le dos
de ses "frères d'armes" wallons...
La collaboration, si elle compte
les rexistes de Léon Degrelle en Wallonie, est nettement plus
répandue en Flandre. Outre la chanson de Jacques Brel, on en
trouvera l'écho dans le film de Delvaux, "Femme entre chien et
loup".
Les Allemands libèrent
immédiatement les prisonniers flamands, et gardent les wallons
jusqu'à la fin de la guerre, accentuant ainsi le déséquilibre
démographique...
On connaît par ailleurs les
projets de Roosevelt tendant à constituer un Etat tampon entre
la France et l'Allemagne - prélevé uniquement sur la substance
française, et regroupant l'Alsace-Lorraine, la Wallonie et le
nord de la France...
En 1945, le Congrès national
wallon, réuni à Liège, demande spontanément la réunion à la
France... avant de se rallier, in fine, à une solution fédérale
qui se révélera illusoire.
Lorsque Léopold III veut remonter
sur le trône, la Wallonie tout entière s'insurge : c'est la
fameuse "question royale".
Les Wallons auront gain de cause.
Ce sera la dernière fois.
Car la Flandre, usant et abusant
d'une "majorité" automatique - car résultant du tracé des
frontières - accapare les investissements, accentuant la crise
qui se profile en Wallonie. Le port de Zeebrugge, l'aéroport de
Zaventem, sont nationaux belges lorsqu'il s'agit de les payer,
et nationaux flamands lorsqu'il s'agit d'en tirer profit...
Mais les Wallons, dans leur
grande majorité, restent encore attachés - pour combien de temps
? - à une Belgique qu'ils ont longtemps considéré comme leur
pays... mais qui ne l'est plus vraiment...
Depuis M. Leburton, aucun Premier
ministre n'a été Wallon...
Et les Français, de leur côté,
sous-informés, n'ont pas vu le passage de la Belgique à la
België-Belgique, puis à la Belgium - dont la diplomatie
s'exprime en anglais...
Ils n'ont d'ailleurs jamais bien
compris la nature d'un pays longtemps gouverné en français, mais
contre la France - car toujours obligé de justifier de sa "non
francité", réelle ou supposée.
Au fond, dans l'Histoire, la
Belgique n'aura jamais été un principal, mais un accessoire,
défini par rapport à la France.
Le déséquilibre économique actuel
entre les deux parties du pays résulte de causes bien connues,
mais auxquelles le régime belge est incapable de s'attaquer.
La Flandre refuse la solidarité
élémentaire que constitue la Sécurité Sociale - ce qui suffit à
démontrer qu'il y a en Belgique, non pas une, mais deux
nations...
Et la Flandre se barricade
derrière des frontières linguistiques depuis 1963 - frontières
qui enferment Bruxelles dans un carcan, au mépris des réalités
humaines, et linguistiques, d'une agglomération à plus de 85 %
francophone.
Face à une Flandre qui sait ce
qu'elle veut, la Wallonie peine à trouver une stratégie. Les
Wallons semblent atteints d'une sorte de "syndrome de Stockholm"
collectif. Le réveil sera rude. Il n'a pas encore commencé pour
tout le monde.
Face à cette situation, que peut
la France ?
La menace militaire n'est plus
aussi directe. Cependant, il n'est pas difficile d'imaginer
qu'une Wallonie plombée par la dette, incapable de satisfaire
aux critères de Maëstricht, serait la proie de l'Empire : base
américaine étendue, en échange de la reprise de la dette par un
panier de banques, par exemple...
De Gaulle avait fort bien vu la
situation. La France ne peut, ni ne veut, annexer une population
contre son gré, évidemment. Mais cette situation de l'opinion
wallonne peut évoluer assez vite. Lors des grandes crises, des
guerres, des grèves des années 1960, on a vu surgir des drapeaux
bleu-blanc-rouge, entendu la Marseillaise...
La Wallonie est aujourd'hui otage
de la Flandre, mais peut-être plus pour longtemps.
Il revient simplement à notre
pays de faire savoir, discrètement mais clairement, qu'il
respectera le voeu des populations, mais qu'il accueillera les
Wallons, s'ils le désirent, au sein de la République.
Cette réunion aiderait à corriger
le déséquilibre entre la France et l'Allemagne, et donnerait
enfin à notre pays la plénitude des avantages de sa situation
géopolitique. Elle ferait cesser le chantage implicite
(diplomatie à la remorque des Anglo-Saxons) qu'implique ce qui
n'aura été qu'une longue prise d'otages d'une partie de la
famille.
L'éclatement de la Belgique est
aujourd'hui probable. Mais quelle que soit la solution adoptée -
même provisoirement - le partage doit se faire en suivant le
voeu des populations, et non suivant une frontière
administrative imposée par la Flandre dans les années 1960.
C'est également le sens de la mission du Conseil de l'Europe,
qui avait conclu que les droits de l'homme n'étaient pas
respectés dans la périphérie bruxelloise... On rétablirait ainsi
une continuité territoriale entre Bruxelles et la Wallonie, si,
comme il est probable, les communes dites "à facilités"
demandent à intégrer la région de Bruxelles.
La réunion de la Wallonie à la
France, qui serait l'aboutissement de toute notre Histoire, et
la réparation d'une injustice, apparaîtrait vite aussi naturelle
que la réunification de l'Allemagne. Elle tournerait davantage
la France vers les débouchés de l'Europe du nord. Elle aiderait
à redonner aux Français confiance dans le destin de leur pays. |