Communiqué du 30 novembre 2007

 

Bruxelles va s'intéresser à votre vie intime et vos origines ethniques

 
  • par Christophe Beaudouin,  Directeur de l'Observatoire de l'Europe après le Non 

    Voici un texte législatif qui ne passera sous les fourches caudines ni des élus de la nation, ni de la Constitution française. Il s'agit d'une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil présentée par la Commission, concernant les recensements de la population et du logement. Elle n'a pour le moment pas fait grand bruit, et pourtant la nature des informations que la Commission veut recenser apparaît gravement attentatoire à nos libertés publiques fondamentales.


Les données statistiques actuellement disponibles ne sont en effet pas homogènes ni suffisamment complètes aux yeux des institutions bruxelloises pour "opérer des comparaisons valables entre les Etats membres". Selon le Considérant 1 de la proposition, "la Commission a besoin d'être en possession de données sur la population et les ménages suffisamment fiables, détaillées et comparables pour s'acquitter des tâches qui lui incombent en vertu des traités". Quelles tâches ? Les quelques 180 compétences que détiendra l'Union après l'adoption du traité de Lisbonne : ses "compétences exclusives", ses compétences dites "partagées" (mais qui deviennent exclusives lorsqu'elle les exerce), ses compétences de "coordination" ou ses compétences dites "d'appui" aux politiques des Etats-membres, qui confèrent à la Commission une quantité illimitée de "tâches", y compris dans des domaines tels que le droit des personnes, de la famille, de l'immigration ou le droit pénal.

"Pourriez-vous au moins épargner nos chambres à coucher ?"

Or, pour mener à bien lesdites "tâches" de la Commission, le projet de règlement prévoit une liste des "thèmes à couvrir dans le recensement de la population et du logement" par les offices de statistiques démographiques. Au milieu de la longue liste d'informations traditionnelles à collecter, l'on a la surprise de trouver le "thème" suivant : "Date i) de la première union consensuelle et ii) de l'union consensuelle actuelle de la femme", ce qui inclut naturellement le concubinage homosexuel. Remarquons au passage que les hommes, eux, ne sont pas visés par cette information. Il s'agit, en d'autres termes, d'un recensement des concubin(e)s, c'est à dire des partenaires sentimentaux/sexuels passés et actuels...des Européennes. 

"Pourriez-vous au moins épargner nos chambres à coucher ?" s'est indigné le député eurocritique Derek Clark (Grande Bretagne, Groupe Indépendance et Démocratie), devant la Commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen qui examinait cette proposition de règlement ce 21 novembre à Bruxelles. Le député Clark, apparemment l'un des seuls à se soucier de la préservation de l'intimité de la vie privée, a été assez efficace pour qu'une majorité de ses collègues votent avec lui un amendement de rejet de cette liste de thèmes.

Mais la bataille, si elle se poursuit, est loin d'être terminée : la procédure institutionnelle est celle de la codécision, nous sommes en première lecture et il faudrait donc plusieurs votes négatifs et identiques du Parlement européen pour réellement la bloquer. Encore faut-il qu'il reste quelque chose à bloquer... En effet, un amendement de compromis introduit nuitamment le 21 novembre par les rapporteurs socialiste (PSE) et libéral (ALDE), prévoit que la liste en question établie par la Commission, pour le moment retirée, pourra être réintroduite et annexée ultérieurement au nouveau règlement communautaire ! C'est une technique de contournement procédural à laquelle nous sommes désormais bien habitués.   

Le retour des statistiques ethniques 

Parmi les données personnelles très sensibles qui intéressent la Commission de Bruxelles, il n'y a pas que la vie sentimentale et sexuelle. La liste des "thèmes à couvrir" mise pour quelques temps au réfrigérateur mentionne le "groupe ethnique" des personnes recensées. Cela ne vous rappelle rien ? 

En France, la loi (n°2007-1631) du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile qui vient d'être publiée au journal officiel, vient justement d'être amputée, par le Conseil constitutionnel, de son article 63 qui autorisait les statistiques ethniques. Cet article permettait en effet la conduite d'études portant sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration. Le Conseil fonde sa décision sur l'article 1 de la Constitution selon lequel "la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion." 

Cette fois pourtant, la Constitution française ne sera pas d'un grand secours au principe républicain d'égalité. Un règlement européen n'est pas discuté ni voté à l'Assemblée nationale et au Sénat, il n'est pas soumis au contrôle de constitutionnalité, il est d'application directe, et prime en tout état de cause le droit français y compris constitutionnel, y compris donc l'article 1 qui pose la philosophie de la République française. Cette primauté absolue du droit européen même dérivé sur le droit national même constitutionnel affirmée par la jurisprudence de la Cour de Luxembourg depuis plus de quarante ans sera même pour la première fois ratifiée par les gouvernements eux-mêmes à travers la Déclaration n°29 du Traité de Lisbonne (ex article I-6 de la Constitution européenne rejetée).

Le recensement ethnique ne trouvera pas davantage d'obstacle dans la Charte des droits fondamentaux qui va acquérir force obligatoire elle aussi à travers le traité de Lisbonne (article 6 du Traité sur l'Union européenne révisé). Ce qui est en train de devenir nouveau texte de droits fondamentaux, qui sera évidemment lui aussi supérieur aux droits de l'homme et du citoyen proclamés dans notre actuelle Constitution (Art 1 et Déclaration de 1789 notamment), n'est en effet pas vraiment d'inspiration "républicaine", bien au contraire. L'article 21 de ladite Charte sur la lutte contre les discriminations introduit précisément le principe ethnique. Contrairement à l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme qui protégeait contre les discriminations fondées sur "l'origine nationale ou sociale" , l'article 21 qui en est la copie presque conforme évoque quant à lui "les origines ethniques ou sociales". A la nation, on a préféré l'ethnie. En outre, le principe de non-discrimination en lui-même louable, laisse libre cours aux discriminations "positives", revendiquées devant les tribunaux par les personnes qui s'estiment appartenir à une "minorité" défavorisée... C'en est donc terminé de l'égalité républicaine dès lors qu'on célèbre des distinctions fondées sur la simple appartenance à un groupe, et non plus, comme dans la Déclaration de 1789, sur "l'utilité commune" (art. 1er), les "vertus" et "talents" des individus (art. 6). 

Nous voici entrés dans ce que le Professeur Pierre Manent appelle une " démocratie extrême, qui enjoint de le respect absolu des "identités" et rejoint le fondamentalisme qui punit de mort l'apostat[1]" En d'autres termes : une "démocratie" de bazar qui est en train de mettre la République en miette. 


[1]  P. Manent : "La raison des nations", Gallimard, 2006, p18