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"Il n'y a pas eu de décision de justice. C'est une décision
politique.", estime M. Bayrou à propos de l'affaire Tapie
Vendredi 25
juillet, dans Le Monde.fr, François Bayrou écrit un article
exceptionnel. Il met en avant une notion essentielle mais
oubliée par nos gouvernants : l'intérêt général. |
" Les
insultes proférées par M. Tapie à mon encontre (on comprend bien
pourquoi) ne changeront rien aux dix affirmations suivantes, qui
permettront à chacun de se faire une opinion.
1) Si M. Tapie a gain de cause, c'est le contribuable qui
va payer. Le CDR (Consortium De Réalisation), structure destinée à
liquider les actifs douteux du Crédit lyonnais, dont la quasi-totalité
des activités ont cessé au 31 décembre 2006, n'a aucune autonomie
financière. Son financement est assuré par l'EPFR (Etablissement Public
de Financement et de Restructuration), alimenté par les crédits
budgétaires de l'Etat, donc par le contribuable.
2) Il n'y a pas eu de décision de justice. C'est une
décision politique. La procédure d'arbitrage est une procédure privée
destinée au monde des affaires. Quand les intérêts de l'Etat et du
contribuable sont en jeu, c'est un principe absolu du droit que
l'arbitrage est interdit ; seules les juridictions instaurées par la loi
sont compétentes.
3) Les principes de l'Etat de droit sont foulés aux
pieds. C'est par crainte de décisions de justice défavorables à M.Tapie
que le sommet de l'Etat a imposé une telle procédure d'arbitrage, sans
appel possible. La seule décision favorable à M.Tapie a été cassée en
des termes d'une dureté inhabituelle par la Cour de cassation, plus
haute juridiction de l'ordre judiciaire français, réunie
exceptionnellement en formation plénière, sous la présidence de son
premier président. Que l'Etat ait pu décider de renoncer à un tel
avantage juridique et moral est sans précédent.
Il faut noter qu'un autre principe général du droit est
mis en cause : il ne peut y avoir de justice que contradictoire, or M.
Tapie a été entendu, mais pas ses contradicteurs, ni Jean Peyrelevade
qui a redressé le Crédit lyonnais, ni Jean-Pierre Aubert, président du
CDR, jusqu'à la clôture de ses activités.
4) Dans la vente d'Adidas, M. Tapie n'a pas été perdant,
il a été gagnant. D'ailleurs, c'est lui-même qui a fixé le prix de
vente. Adidas a été acheté en 1990 avec un prêt à court terme de 1,6
milliard de francs, à échéance en 1992. A cette date, l'entreprise mal
gérée est en situation dramatique. Ne pouvant assurer son échéance, M.
Tapie, ancien et bientôt nouveau ministre de la ville, décide alors de
la vendre. Il cherche à en obtenir 2 milliards de francs mais l'acheteur
(Pentland), découvrant l'étendue des dégâts, retire son offre. C'est
alors que M. Tapie donne mandat à la banque de vendre l'entreprise, pour
une somme d'un peu plus de 2 milliards de francs qu'il a lui-même fixée.
Opération qui lui rapportera au total, si l'on en croit une expertise et
une ordonnance judiciaire de l'époque, la somme de 200 millions de
francs.
5) L'Etat va prendre à sa charge les dettes de M. Tapie.
Contrairement à ce qui est répété en boucle, l'Etat ne va rien récupérer
de ses créances. C'est lui qui va payer pour les dettes du groupe Tapie,
totalement extérieures à l'affaire Adidas, et qui n'ont jamais été
honorées. En particulier, le groupe de M.Tapie a depuis des années des
millions de dettes fiscales et sociales vis-à-vis de l'Etat et de
l'Urssaf. "Qui paye ses dettes s'enrichit." Ici, c'est l'Etat qui paye
les dettes de M. Tapie, et c’est M. Tapie qui s'enrichit.
6) 285 millions d'euros, c'est l'équivalent de la
totalité des salaires annuels des 11000 postes d'enseignants supprimés
cette année. C'est une somme tellement astronomique que le citoyen ne
peut pas s'en faire une idée. Traduite en salaires d'enseignant, c'est
plus de 11000 postes à l'année. Si on y adjoint les intérêts, on atteint
400millions, cela représente une somme suffisante pour effacer
l'essentiel du déficit des hôpitaux publics du pays.
7) 45 millions d’euros pour "préjudice moral", c'est une
insulte. A l'intérieur de cette addition, les 45 millions d'euros pour
"préjudice moral" (le mot ne manque pas de sel) sont une insulte pour le
citoyen. Quelques comparaisons pour en prendre la mesure : cette somme
est l'équivalent de 4 000 années de travail au SMIC. Et l'indemnité
moyenne pour une veuve après la mort d'un conjoint victime de l'amiante
est de 45 000 euros, soit mille fois moins.
8 ) Tout était fait pour que l'affaire passe inaperçue.
La décision d'arbitrage, dont le principe avait été décidé en catimini,
largement orientée à l'avance par des montants d'indemnisation définis
noir sur blanc, a été annoncée à un moment bien choisi : le vendredi
soir ouvrant le week-end du 14 juillet à 17h30, pour que toutes les
procédures soient entérinées avant le 15 août.
9) Pendant ce temps, on pressure les pauvres gens
jusqu'au dernier centime. On va supprimer les allocations aux chômeurs
qui refuseront un emploi trop éloigné de chez eux ou sous-payé. Je
connais une jeune femme qui a été contrainte de rembourser une année de
RMI parce qu'elle avait fait quelques heures de ménage sans les
déclarer. Les faibles sont sans défense, mais le pouvoir enrichit avec
complaisance ses affidés.
10) Le problème, ce n'est pas M. Tapie, c'est l'Etat et
ceux qui sont à sa tête. Il y a toujours eu, il y aura toujours, des
aventuriers qui se jouent des banques, du fisc, de la loi. Mais en
principe l'Etat est là pour faire respecter les règles de droit et
l'argent public.
Ici, au contraire par le fait du prince, parce qu'il s'agit de soutiens
ou de complices dans un certain nombre d'opérations politiques, passées,
présentes ou à venir, l'Etat protège et enrichit ceux qui se moquent de
sa loi. Le message est clair : sous ce régime, " qui n'est pas avec moi
est contre moi ", et qui est avec moi est protégé et peut sabler le
champagne. L'affaire Tapie donne la mesure de l'abaissement de l'Etat. " |