27  janvier 2009

 

Le Nobel français d'économie, Maurice Allais, prophète maudit

 

 

Maurice Félix Charles Allais, né à Paris le 31 mai 1911, est un économiste français. Il est surtout connu pour ses travaux en économie pour lesquels il a reçu de nombreuses distinctions dont le « Prix Nobel » d'économie en 1988 pour ses contributions à la théorie des marchés et à l'utilisation efficace des ressources. Il est le seul économiste français à avoir reçu cette distinction...

 

 

Professeur Assar Lindbeck, Président du comité Nobel d'Economie - The New York Times, Oct 20, 1988         (traduction)

" Mr Allais est non seulement le père de la nouvelle école économique française, c'est aussi un géant dans le monde de l'analyse économique"....

" L'analyse économique de Mr Allais a contribué aux décisions dans le domaine des prix et des investissements prises par les jeunes économistes des entreprises d'état qui ont proliféré en Europe de l'Ouest après la IIème guerre mondiale"....

" Toutes les décisions de prix et d'investissement ont visé à procurer un service à la fois socialement efficace et économiquement viable. Elles doivent une dette indirecte aux travaux de Mr Allais"....

" Cette reconnaissance internationale des travaux de Mr Allais a été retardée en partie en raison de l'importance et de la complexité de ses travaux, mais aussi à cause de leur publication en français"....

" Les travaux de Mr Allais ont servi de point de départ à l'analyse mathématique des marchés et de l'efficacité sociale effectuée par l'un de ses anciens élèves, Mr Gérard Debreu, et par Mr Kenneth Arrow"....

 


 

Le Nobel français d'économie, Maurice Allais, prophète maudit

  • par Pierre-Antoine Delhommais - L'I-Monde,24-01-09

La crise se cherche ses prophètes. Les économistes qui, au milieu de l'aveuglement général, avaient prédit le pire, c'est-à-dire la réalité économique et financière actuelle. La presse américaine loue la clairvoyance des universitaires Nouriel Roubini (New York) et Robert Shiller (Yale).

Bien avant eux, un économiste français avait prédit l'apocalypse. Maurice Allais. Pour preuve, ces extraits d'une longue tribune que le Prix Nobel avait publiée dans Le Figaro, en octobre 1998, en pleine crise financière asiatique, et qui fut reprise, un an plus tard, dans son ouvrage La Crise mondiale d'aujourd'hui (Editions Clément Juglar, 240 pages).

"De profondes similitudes apparaissent entre la crise mondiale d'aujourd'hui et la Grande Dépression de 1929-1934 : la création et la destruction de moyens de paiement par le système du crédit, le financement d'investissements à long terme avec des fonds empruntés à court terme, le développement d'un endettement gigantesque, une spéculation massive sur les actions et les monnaies, un système financier et monétaire fondamentalement instable (...).

Ce qui est éminemment dangereux, c'est l'amplification des déséquilibres par le mécanisme du crédit et l'instabilité du système financier et monétaire tout entier, sur le double plan national et international, qu'il suscite. Cette instabilité a été considérablement aggravée par la totale libération des mouvements de capitaux dans la plus grande partie du monde.

(...) Depuis 1974, une spéculation massive s'est développée à l'échelle mondiale. A New York, et depuis 1983, se sont développés à un rythme exponentiel de gigantesques marchés sur les "stock-index futures", les "stock-index options", les "options on stock-index futures", puis les "hedge funds" et tous "les produits dérivés" présentés comme des panacées (...).

Qu'il s'agisse de la spéculation sur les monnaies ou de la spéculation sur les actions, ou de la spéculation sur les produits dérivés, le monde est devenu un vaste casino où les tables de jeu sont réparties sur toutes les longitudes et toutes les latitudes. Le jeu et les enchères, auxquelles participent des millions de joueurs, ne s'arrêtent jamais. Aux cotations américaines se succèdent les cotations à Tokyo et à Hongkong, puis à Londres, Francfort et Paris. Sur toutes les places, cette spéculation, frénétique et fébrile, est permise, alimentée et amplifiée par le crédit. Jamais dans le passé elle n'avait atteint une telle ampleur (...).

L'économie mondiale tout entière repose aujourd'hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile. Jamais dans le passé une pareille accumulation de promesses de payer ne s'était constatée. Jamais sans doute il n'est devenu plus difficile d'y faire face. Jamais sans doute une telle instabilité potentielle n'était apparue avec une telle menace d'un effondrement général." Sans commentaire.

Ou plutôt si, quelques commentaires, de l'auteur lui-même. Joint au téléphone, Maurice Allais, qui fêtera ses 98 ans le 31 mai, se tient toujours autant au fait de l'actualité mondiale - il a suivi à la télévision la cérémonie d'investiture de Barack Obama, à qui il trouve "d'extraordinaires capacités".

Toujours prêt à débattre, toujours prêt à combattre les "fausses vérités, non vérifiées par les faits". "Ce qui se passe aujourd'hui est une répétition à quelques variantes près de ce qui s'est passé en 1929." En moins grave, aussi grave, plus grave ? "Il faut voir." Sa principale crainte ? Que les hommes politiques ne prennent pas suffisamment conscience de la gravité de la situation : "Parce qu'eux-mêmes n'ont pas connu personnellement la misère. Même le petit facteur. Moi, si".

La crise de 1929, Maurice Allais la connaît par cœur. C'est elle qui a décidé de sa vocation d'économiste. Quand il sort major de Polytechnique, il se destine à une carrière de physicien. Mais un voyage aux Etats-Unis, en 1933, alors au creux de la Grande Dépression, lui fait prendre un autre chemin. "C'était un spectacle incroyable, les gens en étaient réduits à la mendicité, explique-t-il. C'était un phénomène profondément étonnant auquel aucune explication satisfaisante n'était donnée."

C'est à la suite de ce choc qu'il choisit de consacrer toute son énergie et son intelligence à tenter de résoudre "le problème fondamental de toute économie : promouvoir une efficacité économique aussi grande que possible tout en assurant une répartition des revenus qui soit communément acceptable". Maximiser la croissance en minimisant les inégalités. En 1943, il publie un ouvrage de mille pages, A la recherche d'une discipline économique, rédigé en trente mois, qui lui vaudra, quarante-cinq ans plus tard, le prix Nobel.

Le fait que la crise financière actuelle fasse éclater les clivages idéologiques n'est pas forcément pour lui déplaire, lui qui se proclame "libéral socialiste." "Ce qui m'a valu beaucoup d'ennemis", confie-t-il, dans un pays où l'on aime tant étiqueter. Rejeté par les socialistes pour sa défense à tous crins du marché, repoussé par les libéraux pour ses prises de position contre "la doctrine laisser-fairiste mondialiste".

Maurice Allais, économiste maudit. Dont il était même devenu de bon ton, dans les années 1990, de moquer les longues analyses. Des propos de vieil homme aigri, expliquaient les économistes distingués, incapable de comprendre la modernité de l'économie mondiale. Ils avaient tort de le moquer. A tout point de vue.

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