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L'Europe en crise : Que faire ?
 

 

La mondialisation est très certainement inéluctable en termes techniques, mais quelle devraient être, selon vous, les mesures à mettre en œuvre afin de contrer ses effets négatifs ?

 

Sommaire de la page

Devant le chômage massif d'aujourd'hui et en l'absence de tout diagnostic réellement fondé les pseudo-remèdes ne cessent de proliférer.
On nous dit par exemple que tout est très simple. Si l'on veut supprimer le chômage, il suffit d'abaisser les salaires, mais personne ne nous dit quelle devrait être l'ampleur de cette baisse, ni si elle serait effectivement réalisable sans mettre en cause la paix sociale. Que depuis tant d'années de grandes organisations internationales comme l'OCDE, l'OMC, le FMI, ou la Banque Mondiale puissent préconiser une telle solution est tout simplement atterrant.
On nous dit encore qu'il suffit de réduire le temps de travail pour combattre le chômage, mais outre que les hommes ne sont pas parfaitement substituables les uns aux autres, une telle solution néglige totalement le fait indiscutable que trop de besoins, souvent très pressants, restent insatisfaits. Ce n'est pas en travaillant moins qu'on pourra réellement y faire face.
De plus, au regard de la pyramide des âges et de ses perspectives d'évolution toute réduction du temps de travail, tout abaissement de l'âge de la retraite, ne peuvent que compromettre très gravement l'avenir.
Certains suggèrent encore que l'on pourrait combattre efficacement le chômage par l'inflation. Mais lutter contre les effets du libre-échangisme mondialiste, par une expansion monétaire et par l'inflation relève d'une pure illusion et d'une méconnaissance profonde des causes réelles de la situation actuelle. Cette situation, dans sa nature, et pour l'essentiel, n'est en rien comparable à la Grande Dépression des années trente.
D'une manière qui n'est paradoxale qu'en apparence, la poursuite, les yeux fermés, d'une politique, prétendue libérale, de libre-échange mondialiste, et la mise en œuvre de pseudo-remèdes entraînent irrésistiblement par leurs implications notre pays vers la multiplication, chaque jour, de mesures dirigistes de type collectiviste pour tenter de colmater les désordres suscités par le libre-échangisme mondialiste.
 

  • Les vérités établies

Dans la situation d'aujourd'hui, la France s'autodétruit elle-même.
Comment expliquer une telle situation ? En fait, et pour l'essentiel, la dégradation progressive et profonde de la situation française depuis 1974 s'explique par la domination et la répétition incessante de "vérités établies", de tabous indiscutés, de préjugés erronés, admis sans discussion, dont les effets pervers se sont multipliés et renforcés au cours des années.
Cette domination se traduit par un incessant matraquage de l'opinion par certains médias financés par de puissants lobbies plus ou moins occultes. Il est pratiquement interdit de mettre en question la mondialisation des échanges comme cause du chômage.
Personne ne veut, ou ne peut, reconnaître cette évidence : si toutes les politiques mises en œuvre depuis trente ans ont échoué, c'est que l'on a constamment refusé de s'attaquer à la racine du mal, la libéralisation mondiale excessive des échanges.
Cette évolution s'est produite sous l'influence de plus en plus dominante des sociétés multinationales américaines, puis à leur suite des sociétés multinationales du monde entier. Ces sociétés multinationales ont chacune des centaines de filiales. Elles disposent d'énormes moyens financiers, et elles échappent à tout contrôle. Elles exercent de fait un pouvoir politique exorbitant.
En fait, cette évolution s'est accompagnée du développement d'un capitalisme sauvage et malsain.
Au nom d'un pseudo-libéralisme, et par la multiplication des déréglementations, s'est installée peu à peu une espèce de chienlit mondialiste laissez-fairiste. Mais c'est là oublier que l'économie de marchés n'est qu'un instrument et qu'elle ne saurait être dissociée de son contexte institutionnel et politique. Il ne saurait être d'économie de marchés efficace si elle ne prend pas place dans un cadre institutionnel et politique approprié, et une société libérale n'est pas et ne saurait être une société anarchique.
La mondialisation de l'économie est certainement très profitable pour quelques groupes de privilégiés. Mais les intérêts de ces groupes ne sauraient s'identifier avec ceux de l'humanité tout entière. Une mondialisation précipitée et anarchique ne peut qu'engendrer partout instabilité, chômage, injustices, désordres, et misères de toutes sortes, et elle ne peut que se révéler finalement désavantageuse pour tous les peuples.
Une seule explication réelle de cette situation, l'ignorance ; une ignorance profonde des principes dont l'application pourrait permettre la réalisation d'une société de progrès, efficace et humaniste.
 

  • Une condition incontournable : le rétablissement de la Préférence Communautaire

Incontestablement la politique de libre-échange mondialiste que met en œuvre l'Organisation de Bruxelles est la cause majeure, de loin la plus importante, du sous-emploi massif et de la réduction de la croissance que l'on constate.
Un objectif raisonnable serait que par des mesures appropriées et pour chaque produit ou groupe de produits un pourcentage minimal de la consommation communautaire soit assuré par la production communautaire. La valeur moyenne de ce pourcentage pourrait être de l'ordre de 80 %. C'est là, au regard de la situation actuelle, une disposition fondamentalement libérale qui permettrait un fonc-tionnement efficace de l'économie communautaire à l'abri de tous les désordres extérieurs tout en assurant des liens étendus et avantageux avec tous les pays tiers
1.
En fait, on ne saurait trop le répéter, la libéralisation totale des échanges n'est possible qu'en groupant des pays économiquement et politiquement associés, de développement économique et social comparable, tout en assurant un marché suffisamment large pour que la concurrence puisse s'y développer de façon efficace et bénéfique.
Chaque organisation régionale doit pouvoir mettre en place une protection raisonnable vis-à-vis de l'extérieur pour éviter les distorsions indues de concurrence et les effets pervers des perturbations extérieures, et pour rendre impossibles des spécialisations indésirables et inutilement
génératrices de déséquilibres et de chômage, tout à fait contraires à la réalisation d'une situation d'efficacité maximale à l'échelle mondiale associée à une répartition internationale des revenus communément acceptable.
 

  • Les conditions du rétablissement de la Préférence Communautaire

En fait, le rétablissement de la Préférence Communautaire qui constitue la condition majeure de toute politique efficace du rétablissement de la croissance et de l'emploi, suppose une très forte volonté politique, car il ne pourra être mis en place qu'avec l'assentiment unanime des vingt-cinq pays membres de l'Union Européenne et en modifiant les objectifs fondamentaux de l'OMC.
Si cette double condition ne pouvait être réalisée, l'ensemble des douze pays adhérents de la Zone Euro devrait rétablir la Préférence Communautaire pour cette zone et quitter l'OMC.
Si une telle solution se révélait finalement irréalisable la France devrait quitter l'Union Européenne et il est très probable qu'elle serait suivie par la plupart des pays membres de la Zone Euro et en tout cas par tous les pays membres de l'Europe des Six, fondateurs de l'Union Européenne.
Le rétablissement immédiat de la Préférence Communautaire et ce qu'il implique est la condition absolue de la survie de l'Union Européenne.
En fait, on ne saurait se dissimuler les immenses difficultés que rencontrerait sur le plan juridique et institutionnel le rétablissement immédiat de la Préférence Communautaire, et s'il était nécessaire une Sécession d'un groupe de pays membres de l'Union Européenne.
Je suis cependant convaincu que si les masses populaires, de l'extrême droite à l'extrême gauche, s'unissaient pour un temps dans un combat commun pour le rétablissement immédiat de la Préférence Communautaire et ce qu'il implique, le Président de la République saurait répondre à un tel appel et que leur action commune l'emporterait décisivement et rapidement à l'encontre de tous les obstacles.
Les rivalités entre les hommes politiques et entre les partis politiques face aux échéances électorales de 2007 ne sont que dérisoires au regard du rétablissement de la croissance et du plein emploi que seul peut assurer le rétablissement immédiat de la Préférence Communautaire.
Une seule stratégie s'impose :
"Toutes victimes de la mondialisation, unissez-vous".
L'Union fait la force et elle peut l'emporter décisivement sans délai face à tous les obstacles.

 

  • La politique de la France

La France quant à elle ne saurait accepter de continuer à participer pleinement à la politique de libre-échange mondialiste poursuivie actuellement par l'Organisation de Bruxelles, politique qui ne pourrait que la mener finalement à une situation totalement insupportée et insupportable.
Aujourd'hui la condition sine qua non fondamentale de notre participation à la Construction européenne, c'est le rétablissement explicite et solennel de la préférence communautaire, c'est-à-dire d'une protection raisonnable et appropriée du Marché Communautaire vis-à-vis de l'extérieur, dans le cadre d'une Charte Confédérale.

Ce qui doit arriver arrive.

La crise d'aujourd'hui, le chômage massif insupportable qui le caractérise et qui nous déshonore, la destruction jour après jour de la société française, ne sont que les conséquences des politiques dogmatiques sans cesse mises en œuvre depuis la Grande Cassure de 1974 et qui nous mènent au désastre. Il serait criminel de les poursuivre.
La situation présente ne peut pas durer. Elle ne doit pas durer. Elle ne durera pas.
La question majeure d'aujourd'hui n'est pas seulement un sous-emploi massif, c'est également la destruction de notre industrie et la destruction de la croissance de notre économie.
Il est bien certain que la France ne peut avoir d'avenir que dans le cadre européen, mais ce cadre ne saurait se réduire ni à la domination illimitée et irresponsable des nouveaux apparatchiks de Bruxelles, ni à une vaste zone de libre-échange mondialiste ouverte à tous les vents, ni à une domination de fait des Etats-Unis, eux-mêmes dominés par le pouvoir plus ou moins occulte, mais très puissant, des sociétés multinationales américaines.
En aucun cas la participation de la France à la Construction européenne ne doit la conduire à se dissoudre dans un ensemble où ses intérêts fondamentaux seraient méconnus, où elle ne pourrait que se détruire, et où finalement elle perdrait son âme.
En fait, la France n'a aucun intérêt à continuer à participer pleinement à une organisation qui ne pourrait que la mener finalement à une situation insupportée et insupportable.
La condition sine qua non fondamentale de notre participation à la Construction européenne, c'est ainsi le rétablissement explicite et solennel de la Préférence Communautaire, c'est-à-dire d'une protection raisonnable et appropriée de la Construction européenne vis-à-vis de l'extérieur.
Bien que d'une nature tout à fait différente, les forces de désagrégation sociale sont sans doute aujourd'hui bien plus fortes, que celles qui se constataient à la veille de la Révolution française, et nul ne sait ce qui pourrait survenir demain si la rue venait à balayer l'ordre public. Comme alors, l'inconscience de certaines féodalités dominantes qui se croient à l'abri et qui profitent, le plus souvent indûment, de situations privilégiées est ici totale.
Les perversions du socialisme ont entraîné l'effondrement des sociétés de l'Est. Mais les perversions laissez-fairiste du prétendu libéralisme de ces trente dernières années nous ont mené au bord de l'effondrement de la société française.
 

  • La confusion du libéralisme et du laissez-fairisme

Le libéralisme ne saurait se réduire au laissez-faire économique ; c'est avant tout une doctrine politique, destinée à assurer les conditions pour vivre ensemble des ressortissants d'une collectivité donnée, et le libéralisme économique n'est qu'un moyen permettant à cette doctrine politique de s'appliquer efficacement dans le domaine économique.
La confusion actuelle du libéralisme et du laissez-fairisme constitue un des plus grands dangers de notre temps. Une société libérale et humaniste ne saurait s'identifier à une société laxiste, laissez-fairiste, pervertie, manipulée, ou aveugle .
En réalité, l'économie mondialiste qu'on nous présente comme une panacée ne connaît qu'un seul critère, "l'argent". Elle n'a qu'un seul culte, "l'argent". Dépourvue de toute considération éthique, elle ne peut que se détruire elle-même.
 

  • Une crise de l'intelligence

L'ouverture mondialiste à tous les vents de l'économie communautaire dans un cadre mondial fondamentalement instable, perverti par le système des taux de change flottants, et où les échanges sont totalement faussés par des disparités considérables de salaires aux cours des changes, est la cause essentielle d'une crise profonde qui peu à peu nous conduit à l'abîme.
Les faits sont éclatants. L'analyse économique les confirme et les explique. Les faits, tout comme la théorie, permettent d'affirmer que si la politique de libre-échange mondialiste de l'Organisation de Bruxelles est poursuivie, elle ne pourra qu'échouer. La crise d'aujourd'hui, c'est avant tout une crise de l'intelligence. Il est dérisoire de ne remédier qu'aux effets. C'est aux causes qu'il faut s'attaquer.
Et ce combat doit être poursuivi en fonction d'un seul principe qui doit transcender tous les autres : L'économie doit être au service de l'homme et non l'homme au service de l'économie.

NOTES

1 Sur le choix entre une protection tarifaire et une protection contingentaire voir l'Annexe II, et Allais, 1999, La Mondialisation, la Destruction des Emplois et de la Croissance, p. 589-603.