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La
non-ratification du Projet de Constitution par la France et les Pays Bas
en mai 2005 pourrait-elle signifier un recul, voire un abandon
quelconque de la Construction Européenne ? Certainement pas, tout au
contraire. Nous devons indéfectiblement poursuivre la nécessaire
édification de la Construction Européenne.
La non-ratification du Projet de Constitution, loin de s'opposer à la
Construction Européenne, doit lui permettre de s'engager dans des voies
réalistes et pleines d'avenir.
Le Projet de Constitution doit être radicalement repensé à tous points
de vue. Le retard qui pourra en résulter n'est rien au regard de ce qui
est effectivement en jeu, l'avenir de l'Europe pour les décennies à
venir.
En fait, l'existence d'un "déficit démocratique" dont on se plaint tant
ne résulte que de l'absence d'institutions démocratiques appropriées. Ce
sont les peuples eux-mêmes qui doivent décider et rester maîtres de leur
avenir.
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Une Confédération d'Etats souverains
Pour moi l'Organisation politique de l'ensemble des pays européens doit
reposer sur une Confédération d'Etats souverains.
Cette Confédération doit reposer sur une Charte Confédérale, précisant
limitativement les droits transférés à l'Autorité Confédérale et les
modalités générales d'exercice de ces droits, l'application de cette
Charte devant être entendue dans son sens le plus restrictif.
Cette Charte doit être rédigée par une Assemblée Constituante et être
approuvée par référendum le même jour dans tous les Etats membres de la
Confédération européenne à une majorité qualifiée.
· La
question la plus importante, la plus urgente aujourd'hui, c'est
effectivement de définir le cadre institutionnel dans lequel les droits
démocratiques fondamentaux des Etats membres seraient préservés, dans le
même temps que l'action de la Confédération, pour poursuivre en commun
les objectifs communs des Etats membres, serait rendue plus efficace.
La Construction Européenne ne pourra pas progresser tant qu'il ne sera
pas remédié au profond déficit démocratique qui se constate aujourd'hui.
· Un
principe général doit ici guider notre action : c'est ce que
j'appellerai le Principe confédéral. D'après ce principe il ne faut
déléguer à une Autorité politique confédérale que les seuls pouvoirs
nécessaires pour l'exercice en commun des seuls objectifs communs des
Etats membres de la Confédération européenne, et reconnus comme tels par
tous ces Etats, sans aucune exception.
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Les institutions de la Confédération
Pour éviter tout déficit démocratique, quel devrait être le cadre
institutionnel de la Confédération européenne dans lequel les pouvoirs
expressément et limitativement délégués à l'autorité politique commune
pourraient s'exercer efficacement en symbiose avec les pouvoirs
nationaux ?
Tout d'abord un Sénat Européen, dont les membres seraient élus par les
Parlements nationaux, devrait rendre possible une préservation efficace
des intérêts nationaux fondamentaux des nations européennes dans le
cadre d'un plein respect de la Charte Confédérale. Ce Sénat devrait
constituer avec la Chambre européenne de Strasbourg le Parlement
confédéral.
En second lieu, la poursuite en commun des objectifs communs des pays
membres de la Confédération européenne dans le plein respect des
dispositions de la Charte confédérale devrait être confiée à une
Autorité politique confédérale nommée par le Parlement confédéral et
responsable devant lui.
La Confédération européenne serait présidée par un Président élu pour
cinq ans par le Parlement confédéral. Son mandat ne serait pas
renouvelable.
L'Autorité politique confédérale serait présidée par un premier ministre
nommé par le Président de la Confédération au regard des résultats des
élections.
L'action de cette Autorité confédérale devrait s'exercer en concertation
avec un Conseil européen, représentant les gouvernements nationaux.
Comme en Suisse serait expressément prévu le principe d'un Référendum
d'initiative populaire.
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Une
Assemblée Constituante
La
rédaction de la Charte Européenne devrait être effectuée par une
Assemblée Constituante élue à cette fin au suffrage universel.
·
Dans cette Confédération européenne un enseignement pluraliste de la
littérature, de l'histoire, de l'économie, de la sociologie et de la
science politique, contribuerait puissamment à faire disparaître les
antagonismes artificiels, et trop souvent aveugles, entre les différents
peuples, antagonismes qui s'opposent à leur compréhension réciproque.
Sans aucun doute ce serait là une condition majeure de l'émergence d'un
véritable esprit européen.
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L'implantation géographique des
Institutions Confédérales. Un Territoire Confédéral
La
dispersion géographique actuelle des Institutions Confédérales entre
Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg et leur localisation sur des
territoires nationaux sont totalement déraisonnables et elles ne
sauraient réellement être maintenues.
En fait, il convient de localiser les Institutions Confédérales sur un
Territoire Confédéral qui soit propre à la Confédération européenne et
qui soit indépendant de tout pays membre. Ce territoire devrait être
constitué par des zones contiguës attribuées à la Confédération
européenne par certains de ses membres, et la Confédération européenne y
exercerait sa totale souveraineté.
Au regard de l'histoire passée de l'Europe, au regard du rôle majeur
joué par la France dans la réalisation de la Confédération européenne,
au regard de la réunification de l'Allemagne et de son rôle tout à fait
essentiel dans la Construction européenne, ce Territoire Confédéral
devrait de toute façon être établi sur une zone située actuellement à la
fois en France et en Allemagne.
Compte tenu des données géographiques et démographiques, une
implantation pourrait être raisonnablement envisagée. Elle impliquerait
également le Luxembourg et se localiserait dans la région des trois
frontières. Cette zone comprendrait environ 300 km2.
En tout cas, il est absolument nécessaire de rassembler les Institutions
Confédérales sur une même localisation, et cette localisation ne saurait
être ni Bruxelles, ni Luxembourg, ni Strasbourg, toutes grandes villes
indissociables de la Belgique, du Luxembourg et de la France, et dont
aucune d'entre elles ne peut offrir des potentialités comparables à
celles d'un Territoire Confédéral.
Incontestablement la mise en place d'un Territoire Confédéral Européen,
qui ne soulèverait aucune difficulté majeure, aurait une valeur de
symbole matérialisant la volonté politique de réaliser la Confédération
européenne.
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Les limites de la Confédération
européenne
La
question des frontières de la Confédération européenne, c'est-à-dire des
pays dont la participation doit actuellement être envisagée, est
absolument capitale.
Il convient de souligner ici que tout ensemble trop étendu est condamné
soit à l'inefficacité et à la paralysie, soit à l'apparition de
puissantes forces de désagrégation.
L'explosion de l'ex-Union soviétique est ici convaincante. Une trop
forte intégration sous une même autorité politique de populations
hétérogènes ne peut que mener inéluctablement à des situations instables
et explosives.
Si on considère cette donnée de l'expérience historique, on est amené à
la conclusion qu'une Confédération européenne ne peut être stable et
viable que sous deux conditions : - ne pas être trop vaste et appartenir
à un même espace géographique ; - rassembler des pays (ou des peuples)
constitués d'un tissu historique, sociologique et politique semblable.
Il résulte de là que la Confédération européenne doit se limiter à
l'Europe actuelle des vingt-cinq avec l'addition de la Bulgarie et de la
Roumanie.
L'inclusion de la Turquie doit être totalement et définitivement exclue.
Cette exclusion doit être décidée au plus tôt par référendum dans
l'ensemble de la Confédération européenne.
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Deux erreurs essentielles
Jusqu'ici deux erreurs essentielles ont été commises dans la
Construction européenne.
La première erreur a été de penser qu'il fallait commencer par l'Europe
économique, alors que manifestement la réalisation d'une Europe
économique réelle devait poser tôt ou tard et inévitablement des
questions politiques majeures. Elle a été également ne négliger presque
totalement la réalisation d'une Communauté Culturelle Européenne, sans
laquelle la réalisation et le fonctionnement de toute Europe Politique
se révèlerait finalement impossibles.
La seconde erreur, conséquence de la première, a été de donner à
l'Organisation de Bruxelles des pouvoirs tout à fait excessifs, sans
avoir clairement conscience des dangers évidents qui pouvaient résulter
pour l'Europe de décisions bureaucratiques et technocratiques, pour une
large part irréalistes et à vrai dire irresponsables.
De là est résultée une dérive technocratique, dirigiste,
centralisatrice, unitaire et jacobine de l'Union européenne. Non
seulement cette dérive a entraîné partout des effets pervers, mais par
ses excès mêmes elle a suscité de très fortes oppositions, à vrai dire
justifiées, à la Construction européenne.
En fait, la démonstration a été donnée à l'Est que toute centralisation
excessive dans un ensemble hétérogène, loin de parvenir à unifier,
développe des forces centrifuges déstabilisatrices. La démonstration a
été donnée que le dirigisme centralisateur mène inévitablement à
l'échec. En réalité, une Europe centralisée mènerait inévitablement à un
puissant réveil des nationalismes.
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L'essence de la démocratie
Le
fondement véritable de la démocratie n'est pas la règle de la majorité.
C'est essentiellement le respect des individualités et des minorités.
C'est également une décentralisation aussi grande que possible des
pouvoirs politiques.
Dès lors, toute tentative pour organiser une structure européenne sur
une base unitaire où la majorité ferait la loi sans aucune restriction,
serait fondamentalement antidémocratique. En fait, toute organisation
valable d'une société démocratique doit être aussi décentralisée qu'il
est possible et toute centralisation doit se limiter au minimum
indispensable.
L'objectif essentiel de l'organisation confédérale européenne ne doit
pas être de tout unifier, de tout centraliser, mais tout au contraire de
préserver toutes les diversités, dans la mesure où leur exercice ne
s'oppose pas à la réalisation efficace en commun des objectifs communs
et reconnus comme tels des pays membres de la Confédération européenne.
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L'édification de la Construction européenne
Telles sont, à mon avis, les lignes directrices qui devraient guider
notre action pour l'édification de la Construction européenne.
Construire l'Europe tout en sauvegardant les Nations européennes dans ce
qu'elles ont de spécifique, c'est là le principe fondamental à partir
duquel doit s'élaborer la Construction européenne.
Cette élaboration ne peut être que progressive, et elle doit se faire
dans une pleine clarté. Elle ne peut être imposée dans la hâte, et
forcer la marche avec de mauvais textes ne peut mener qu'à des impasses.
En fait, nous ne sommes nullement acculés à un choix entre tout ou rien.
L'Europe ne peut se faire dans l'équivoque, sans une totale approbation
des peuples concernés et sans leur participation active.
L'Europe ne peut pas plus se fonder sur des bases technocratiques et
centralisatrices que sur des incantations verbales. Elle ne peut se
faire que sur des bases réalistes associant nos vieilles nations
européennes dans un ensemble décentralisé, démocratique, libéral et
humaniste.
A vouloir aller trop loin et trop vite, dans le cadre d'institutions
centralisées inappropriées et sans contre-pouvoirs efficaces, on ne peut
que s'exposer inéluctablement à l'échec à terme, et compromettre
gravement la Construction européenne, dont je suis et reste un ardent
partisan depuis 1945.
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Perspectives d'une Confédération européenne
Des possibilités sans précédent s'offrent à
nous aujourd'hui qui peuvent représenter une très grande chance pour
l'Europe et l'humanité tout entière. Serons-nous assez lucides pour
voir clairement les problèmes auxquels nous sommes confrontés, assez
clairvoyants pour en apercevoir les solutions réalistes, et assez
courageux pour défendre ces solutions devant nos opinions publiques
?
Si une Confédération européenne véritable pouvait se constituer
économiquement, politiquement, et culturellement, elle connaîtrait
une extraordinaire prospérité, et elle représenterait par son
exemple une immense espérance pour la communauté des hommes.
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