26 mars 1961

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Concernant le Laos,
Charles de gaulle précise la position de la France
au nouveau Président des Etats-Unis, J.F. Kennedy

 

Dans ce courrier, le général de gaulle rappelle combien la France a été engagée dans cette partie du monde. Mais il rejette, malgré la menace communiste, toute entreprise militaire immédiate et préfère qu'un effort diplomatique des puissances occidentales (USA, Grande-Bretagne et France) soit menée, y compris auprès de Moscou.
 

Je m'empresse de répondre à votre message au sujet du Laos, car je crois que la situation y est effectivement sérieuse.

Tout comme vous, monsieur le président, je pense que les puissances occidentales doivent empêcher que le Laos tombe aux mains du camp communiste. Vous savez quels efforts la France a déployés, de 1945 à 1954, pour barrer à ce camp l'accès de l'Indochine. En dépit de beaucoup de difficultés, ces efforts avaient réussi à sauvegarder le Laos, le Cambodge et le Vietnam-Sud. Les accords de Genève consacraient ces résultats. Le Laos en particulier s'y voyait confirmé dans son indépendance, engagé à observer une attitude de neutralité et encouragé à réaliser son unité nationale. C'est dans cette perspective pacifique que les accords de Genève attribuaient à la France une base militaire à Séno et lui confiaient la charge exclusive de placer une mission militaire auprès de l'Armée laotienne.

Suivant ces principes et ces clauses, nous n'avons pas cessé comme vous le savez, de faire connaître à mesure à nos amis américains les réserves et les avertissements que suscitait, de notre part, leur politique au Laos, si bonnes que puissent être leurs intentions. Bien entendu nous condamnions formellement les interventions auxquelles les soviets, à leur tour, n'ont pas manqué de se livrer.

Quoi qu'il en soit et au point où en sont les choses, j'estime que la voie à suivre, par vous, par nous et par les Anglais, est celle qui conduirait à faire rétablir et garantir par une conférence internationale analogue à elle de Genève l'indépendance, la neutralité et les possibilités d'unité du Laos. Il faudrait, évidemment, qu'une commission de contrôle (par exemple celle qu'avaient prévue les accords de Genève et qui serait fournie par l'Inde, le Canada et la Pologne) assurât, auparavant et le plus tôt possible, la fin de toute livraison d'armes et la cessation des combats. C'est d'ailleurs là sensiblement la proposition que M. Macmillan a adressée à M. Khrouchtchev. Mais avant tout il est, suivant moi, indispensable que nos trois gouvernements entament sans délai avec celui des soviets des pourparlers en vue, d'une part de renoncer des deux côtés à fournir des concours aux éléments rivaux, d'autre part de réunir cette commission et cette conférence afin de déterminer les Laotiens à se donner un gouvernement aussi représentatif que possible. À cet égard le prince Souvanna Phouma me parait être le seul homme politique laotien qui puisse former un tel gouvernement.

Quant à utiliser l'OTASE* comme couverture éventuelle d'une intervention directe des Occidentaux au Laos, je dois vous dire que la France, pour ce qui la concerne, n'y est pas actuellement disposée. En effet étant donné les vastes conséquences que pourrait avoir une telle expédition, il ne me semble pas que la question doive se poser avant qu'un effort diplomatique conjoint de nos trois puissances occidentales ait été entrepris et poussé à fond tant à Moscou qu'à Vientiane dans le sens que je viens d'indiquer. Au surplus, s'il devait arriver qu'un jour la France crût devoir engager de nouveau ses forces dans cette région de l'Asie, elle aurait sans doute à se demander si un tel cadre serait le mieux approprié à ses propres responsabilités.

Il va de soi que je me tiens à votre entière disposition pour tout échange de vues à poursuivre sur ce grave sujet. D'autant plus que votre avis et, le cas échéant, des indications concernant vos intentions et votre action me seraient l'aide la plus précieuse pour ce que je pourrais avoir moi-même à considérer et à décider avec mon gouvernement.

*Organisation du traité de l'Asie du Sud-Est