Par
Nicolas Domenach, directeur adjoint de la
rédaction de Marianne.
François Fillon serait-il
entré en résistance ? En tout cas, il en a pris le sentier escarpé. Le
Premier ministre ne sourit plus automatiquement ; il grimace. Pire
encore, ce doux personnage, si accommodant et qui semblait prêt à tout
supporter, ce quasi « saint homme » donc s'est permis à haute voix des
réflexions qui, pour lui, s'apparentent à une insurrection.
« A Matignon, on
travaille, a-t-il d'abord lâché, mais on travaille dans l'Ombre ». Ici
l'Ombre… Le chef du gouvernement se dresse ainsi contre la dictature de
la transparence et contre les voleurs de lumière, ces conseillers de
l'Elysée qui ne sont pas des élus, ces « technos » qui prétendent
éclairer la politique gouvernementale à sa place. Premiers visés, David
Martinon le porte-parole, et la plume de Sarkozy, le graphomane Henri
Guaino, mais Fillon met aussi, met d'abord en cause le secrétaire
général de l'Elysée, Claude Guéant, ce haut fonctionnaire qui, non
seulement s'exprime publiquement, contrairement à tous les usages de la
Ve République, mais court-circuite son auguste communication. Une
récidive.
En juillet, on avait
parlé de cafouillage, de parasitage quand Guéant s'était exprimé avant
sa déclaration de politique générale au Parlement. Matignon avait fait
connaître son mécontentement. Les réglages et corrections nécessaires
avaient censément été effectués. Les résultats ont été plus
catastrophiques encore puisque Claude Guéant a littéralement gâché la
rentrée médiatique de François Fillon ; le secrétaire général de
l'Elysée est intervenu au Grand Débat RTL-Le Figaro-LCI, alors que le
Premier ministre se contentait de la radio, de France Inter. Une
intervention qui ne faisait que quelques lignes de reprise dans les
journaux. Alors que pour Guéant, c'était Géant !
Il faut dire que
l'élyséen, le second de Sarkozy avait à ses pieds et à l'écran plus de
la moitié du gouvernement, ce qui situait bien son importance, et même
sa prééminence, insupportable pour Fillon. Car le chef du gouvernement
c'est lui en théorie, lui qui peut et doit reprendre Christine Lagarde
quand elle gaffe, par exemple en évoquant un plan d'austérité. Or, c'est
Guéant qui l'a corrigée à la volée en parlant de « plan de
revalorisation de la fonction publique ». Ainsi se conduisait-il en vice
Premier ministre, dépositaire de la pensée et de la parole sacrée du
Président monarque dont il est le plus proche. Une situation pénible et
carrément intolérable pour Fillon quand Sarkozy la formalise à sa façon
en le qualifiant publiquement, lui, le Premier ministre, de « simple
collaborateur ». Je suis « un homme politique », a-t-il osé rappeler
devant les journalistes, pas un « collaborateur ». Il osait contredire
le Président ! Car cette humiliation était de trop. Elle le reléguait
officiellement au second plan, au rôle de simple exécutant alors même
qu'il prétendait être le grand ordonnateur de la rupture sarkozyste,
celui qui manage, structure, organise, galvanise, mène l'équipe
gouvernementale.
Fillon pensait quand même
avoir gagné ses galons de commandant en second derrière le Bosco. Il se
croyait bénéficiaire d'une marge de manœuvre, même si Sarkozy se
montrait si présent, si pressant, si envahissant. Il a donc conçu
quelque amertume d'être ainsi ravalé au rôle de servant que ce simple
préfet de police Claude Guéant supplante, alors qu'il ne s'est jamais
frotté au suffrage universel. Même pour un ancien élève du lycée Notre
Dame de Sainte Croix au Mans, il y a des limites à la mortification. Son
second prénom n'est pas paillasson mais Charles, en souvenir du Général
de Gaulle, l'homme qui a dit « Non ». Alors Fillon, « François, Charles,
Amand» ne dira plus oui tout le temps !...
Il va lutter pour
reprendre sa place, son rôle, son rang. Se forcer et forcer le passage.
Faire de la mise en scène médiatique. Après tout, le Président ne peut
pas être partout, il sera donc là où Sarkozy est absent. Sur le dos des
ministres, sur leur tête, éclipsant, lui aussi, leur travail et leur
action, peu importe. Il va aussi former une garde noire à Matignon,
rassembler des proches, des élus qui défendent sa politique, en même
temps que sa personne. Il fera de la politique et non plus seulement du
suivi trop gentil de Sarkozy. Qu'on se le dise, le Premier ministre si
fidèle ne se confond pas, ne se confondra plus totalement avec le
Président. François Fillon prétend à exister au moins quelques instants,
sans attendre les inéluctables difficultés sociales qu'on lui
reprochera. Ce n'est pas Guéant qui passera alors à la télé ! Fillon
veut bien porter le chapeau un jour mais à condition qu'il ait pu
montrer avant qu'il avait une tête…
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