Communiqué du 13 septembre 2007

 

François Fillon : Ici l'Ombre

 

Par Nicolas Domenach, directeur adjoint de la rédaction de Marianne.

François Fillon serait-il entré en résistance ? En tout cas, il en a pris le sentier escarpé. Le Premier ministre ne sourit plus automatiquement ; il grimace. Pire encore, ce doux personnage, si accommodant et qui semblait prêt à tout supporter, ce quasi « saint homme » donc s'est permis à haute voix des réflexions qui, pour lui, s'apparentent à une insurrection.

« A Matignon, on travaille, a-t-il d'abord lâché, mais on travaille dans l'Ombre ». Ici l'Ombre… Le chef du gouvernement se dresse ainsi contre la dictature de la transparence et contre les voleurs de lumière, ces conseillers de l'Elysée qui ne sont pas des élus, ces « technos » qui prétendent éclairer la politique gouvernementale à sa place. Premiers visés, David Martinon le porte-parole, et la plume de Sarkozy, le graphomane Henri Guaino, mais Fillon met aussi, met d'abord en cause le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, ce haut fonctionnaire qui, non seulement s'exprime publiquement, contrairement à tous les usages de la Ve République, mais court-circuite son auguste communication. Une récidive.

En juillet, on avait parlé de cafouillage, de parasitage quand Guéant s'était exprimé avant sa déclaration de politique générale au Parlement. Matignon avait fait connaître son mécontentement. Les réglages et corrections nécessaires avaient censément été effectués. Les résultats ont été plus catastrophiques encore puisque Claude Guéant a littéralement gâché la rentrée médiatique de François Fillon ; le secrétaire général de l'Elysée est intervenu au Grand Débat RTL-Le Figaro-LCI, alors que le Premier ministre se contentait de la radio, de France Inter. Une intervention qui ne faisait que quelques lignes de reprise dans les journaux. Alors que pour Guéant, c'était Géant !

Il faut dire que l'élyséen, le second de Sarkozy avait à ses pieds et à l'écran plus de la moitié du gouvernement, ce qui situait bien son importance, et même sa prééminence, insupportable pour Fillon. Car le chef du gouvernement c'est lui en théorie, lui qui peut et doit reprendre Christine Lagarde quand elle gaffe, par exemple en évoquant un plan d'austérité. Or, c'est Guéant qui l'a corrigée à la volée en parlant de « plan de revalorisation de la fonction publique ». Ainsi se conduisait-il en vice Premier ministre, dépositaire de la pensée et de la parole sacrée du Président monarque dont il est le plus proche. Une situation pénible et carrément intolérable pour Fillon quand Sarkozy la formalise à sa façon en le qualifiant publiquement, lui, le Premier ministre, de « simple collaborateur ». Je suis « un homme politique », a-t-il osé rappeler devant les journalistes, pas un « collaborateur ». Il osait contredire le Président ! Car cette humiliation était de trop. Elle le reléguait officiellement au second plan, au rôle de simple exécutant alors même qu'il prétendait être le grand ordonnateur de la rupture sarkozyste, celui qui manage, structure, organise, galvanise, mène l'équipe gouvernementale.

Fillon pensait quand même avoir gagné ses galons de commandant en second derrière le Bosco. Il se croyait bénéficiaire d'une marge de manœuvre, même si Sarkozy se montrait si présent, si pressant, si envahissant. Il a donc conçu quelque amertume d'être ainsi ravalé au rôle de servant que ce simple préfet de police Claude Guéant supplante, alors qu'il ne s'est jamais frotté au suffrage universel. Même pour un ancien élève du lycée Notre Dame de Sainte Croix au Mans, il y a des limites à la mortification. Son second prénom n'est pas paillasson mais Charles, en souvenir du Général de Gaulle, l'homme qui a dit « Non ». Alors Fillon, « François, Charles, Amand» ne dira plus oui tout le temps !...

Il va lutter pour reprendre sa place, son rôle, son rang. Se forcer et forcer le passage. Faire de la mise en scène médiatique. Après tout, le Président ne peut pas être partout, il sera donc là où Sarkozy est absent. Sur le dos des ministres, sur leur tête, éclipsant, lui aussi, leur travail et leur action, peu importe. Il va aussi former une garde noire à Matignon, rassembler des proches, des élus qui défendent sa politique, en même temps que sa personne. Il fera de la politique et non plus seulement du suivi trop gentil de Sarkozy. Qu'on se le dise, le Premier ministre si fidèle ne se confond pas, ne se confondra plus totalement avec le Président. François Fillon prétend à exister au moins quelques instants, sans attendre les inéluctables difficultés sociales qu'on lui reprochera. Ce n'est pas Guéant qui passera alors à la télé ! Fillon veut bien porter le chapeau un jour mais à condition qu'il ait pu montrer avant qu'il avait une tête…