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22 septembre
 2008

 

La Constitution de Jack Lang... et consorts                                                                                                              par Raphaël Dargent

 

Jeune-france.org

"Le Président est évidemment seul à détenir et à déléguer l’autorité de l’Etat ;l’autorité indivisible de l’Etat est confiée tout entière au Président par le peuple qui l’a élu, qu’il n’en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par lui.
Charles de Gaulle,  -  Conférence de presse du 31 janvier 1964.

 

Je ne souhaite pas que le président de la République ait  plus de pouvoirs qu’il n’en a déjà.  Je propose même qu’il en ait plutôt moins.

Nicolas Sarkozy,  Convention UMP sur les institutions du 5 avril 2006

 

La France et les sirènes du parlementarisme

 

Discours de De Gaulle le 4 septembre 1958 place de la République

Drôle d’anniversaire pour la Ve République ! Le 4 octobre prochain, les corps constitués, peut-être les plus hautes autorités de l’Etat, fêteront comme si de rien n’était les cinquante ans des institutions gaulliennes, faisant preuve à l’occasion d’une belle mauvaise foi et mine d’un unanimisme joyeux ; il y aura bien ici ou là quelques colloques ou expositions pour célébrer l’évènement ; le journal télévisé y consacrera trois minutes, entre les victimes des dernières inondations et les résultats piteux de ses footballeurs. Notre vieux pays continuera à faire comme si : comme si la Ve République existait encore, comme si la France de Sarkozy était encore celle de De Gaulle, c’est-à-dire tout simplement la France.

J’entends déjà ceux qui diront que jamais la Ve République ne s’est si bien portée, qu’avec la dernière révision, votée par le Congrès réuni à Versailles le 21 juillet dernier, les institutions sont revivifiées, rajeunies, plus d’attaque que jamais.

Discours de De Gaulle le 4 septembre 1958 place de la République

Quelques fortes paroles, quelques mouvements d’épaules, quelques roulements de mécanique devant un parterre de notables et de respectables figures, quelques tapes dans le dos suffiront bien à maintenir l’illusion, mieux flatteront les souvenirs, au premier rang, de quelques vieux messieurs du gaullisme. Cela suffira pour inscrire ses petits pieds dans les pas de géant du Général. Nul ne voudra voir – en tous les cas nul ne pourra dire – que tout cela est mensonge, théâtre d’ombres, supercherie et qu’en fait d’anniversaire il s’agit de prendre acte d’un décès, et pire : que ceux-là mêmes qui célèbrent l’anniversaire sont ceux qui ont provoqué la mort.

 

La lente agonie de la Ve République

D’où vient la Ve République ? Il n’est pas inutile ici de le rappeler. Si la question institutionnelle – en réalité celle de l’Etat – fut au cœur de la pensée politique de Charles de Gaulle, c’est que le Général éprouva mieux que d’autres en 1940 la faiblesse congénitale – le parlementarisme – de la IIIe République ; s’il démissionna en janvier 46, c’est parce qu’il refusa d’être un jouet dans la main des partis ; s’il jeta le 16 juin 1946 à Bayeux les bases de son projet institutionnel, ce fut encore contre les conceptions parlementaristes de la IVe République naissante ; enfin, s’il revint au pouvoir en 1958, ce fut pour répondre à l’effondrement d’un système institutionnel miné par les combinaisons partisanes et incapable de résoudre les difficultés du pays, notamment à l’extérieur. Pendant toutes ces années, et ensuite lorsqu’il tint les rênes de la France, le Général ne cessa de marteler combien pour lui l’Etat devrait être dirigé, et combien, dans ces conditions, le chef de l’Etat devait être le sommet du dispositif institutionnel. Si le peuple français approuva par référendum le 22 octobre 1962 le principe de l’élection du président de la République au suffrage universel, c’est parce que Charles de Gaulle le voulut ainsi. Face aux intérêts partisans, au-dessus de la cuisine et des arrangements politiciens qui sont souvent le lot d’un parlementarisme débridé, le Général souhaitait dresser la haute figure de l’Exécutif, de l’homme de la Nation, légitimé par elle, qui transcende les clivages et incarne cette « puissance de gouverner » que vantait en son temps le cardinal de Richelieu. Pour faire court, on disait alors – et les détracteurs du Général trouvaient dans la formule un argument supplémentaire contre son gouvernement – que la Ve République était une « monarchie républicaine ». C’est exactement ce qu’instituait la constitution gaullienne. Si l’expression fut créée par Michel Debré, de Gaulle la reconnaissait volontiers ; à Peyrefitte, il confiait alors : «  Ce que j’ai essayé de faire, c’est d’opérer la synthèse entre la monarchie et la République [...] une monarchie républicaine. »  Discours de De Gaulle le 4 septembre 1958 place de la République

 

On peut dire que ce système fonctionna le temps que dura la Présidence, c’est-à-dire le gouvernement – car le Général ne faisait pas la distinction –, de De Gaulle. Mais – et c’est là la grande faiblesse de la Ve République – comme le constatait lui-même le Général dans ses Mémoires d’espoir : « En aucun temps et dans aucun domaine, ce que l’infirmité du chef a, en soi, d’irrémédiable ne saurait être compensé par la valeur de l’institution. » Et il est un fait que ses successeurs ne bénéficièrent pas de « l’équation » propre au Général du fait de son charisme exceptionnel et de sa légitimité historique. La Ve République fut donc révisée ou son application infléchie. Georges Pompidou maintint l’essentiel mais fut un président clairement marqué à droite ; Valéry Giscard d’Estaing introduisit en 1974 le droit de saisine parlementaire du Conseil du constitutionnel, ce qui provoqua l’ire de Michel Debré ; quant à François Mitterrand, il accepta la cohabitation, brisant ainsi l’un des principes majeurs des institutions gaulliennes qui, d’une certaine façon, entendait mettre en pratique la maxime du grand Corneille lorsqu’il affirmait que « c’est ne pas régner que d’être deux à régner » Tout cela pourtant n’était rien en comparaison des quatorze révisions institutionnelles que Jacques Chirac engagea sous sa présidence, révisions dont la plus importante fut celle du quinquennat, qui en raccourcissant le mandat du chef de l’Etat réduisait en même temps sa légitimité, celui-ci n’étant plus dès lors élu que pour une durée équivalente à celle d’un simple député.

Contrairement à tout ce qu’on a pu lire et entendre, contrairement surtout à la propagande absurde de la gauche socialo-communiste qui fut toujours, depuis l’origine, hostile à la Ve République et à l’idée de « monarchie républicaine », Nicolas Sarkozy ne souhaite nullement renforcer le rôle et la place du chef de l’Etat ; il ne se considère absolument pas comme, et n’envisage pas d’être, un « monarque républicain ». Il le voudrait d’ailleurs, que sa nature propre, tout sauf digne, et son style de gouvernement, tout en clinquant et en rodomontades sans suite, le lui interdiraient. Non seulement Nicolas Sarkozy s’inscrit dans la continuité et le droit fil de cette politique parlementariste mais il procède avec cette 24ème révision constitutionnelle à un véritable saut quantitatif dans l’inconnu, refermant selon nous, sans l’avouer, la longue parenthèse des institutions gaulliennes. Ségolène Royal, comme son ami Montebourg, voulait une VIe République ; Nicolas Sarkozy, plus fin politique et afin de ne pas brusquer son camp, l’a faite sans le dire, ne sauvegardant que les apparences.

 

Un manteau d’Arlequin

En fait, pour ceux qui suivent cette affaire avec intérêt, il n’y a là aucune surprise. Il faut reconnaître cette qualité au nouveau chef de l’Etat : en la matière, il fait ce qu’il a promis ; le Président ne fait qu’appliquer le programme du candidat tel qu’il l’avait annoncé, ou peu s’en faut. Peu nombreux furent ceux qui lurent en 2007 mon Ils veulent défaire la France publié à L’Age d’Homme ; la vérité de ce programme y était écrite noir sur blanc. J’eus beau l’expliquer à certains miens gaullistes : ils ne m’écoutèrent même pas et votèrent  pour ce candidat-là et pour ce programme-là ; aujourd’hui ils font encore la sourde oreille et refusent d’admettre l’évidence. Mais que vaut donc la fidélité à son camp quand elle consiste à trahir ses propres convictions ?

Je sais bien qu’à chaque nouvelle révision, nous sommes quelques-uns à crier aux loups et à jurer que c’est la mort des institutions gaulliennes. Nous l’avons fait au moment de la cohabitation ; nous l’avons fait quand fut voté le quinquennat. Aussi a-t-on peut-être du mal à nous croire aujourd’hui quand nous fustigeons cette 24ème révision. Pourtant, il faut comprendre que l’agonie de la Ve est un long processus, que c’est une mort à petit feu, à laquelle on procède par étapes, sans jamais l’officialiser. Le décès serait plus simple à entériner si l’on changeait le chiffre, mais on ne touche pas à de Gaulle aussi facilement, on n’abat pas son œuvre au grand jour, on ne tourne pas la page aussi ouvertement, d’autant moins ouvertement qu’on se prétend son héritier, qu’on s’incline devant sa statue, qu’on inaugure son musée, qu’on honore sa dépouille pour mieux se hisser dessus. Pourtant, cette 24ème révision est loin d’être anodine, elle est le coup fatal, le coup de trop, auquel les institutions gaulliennes ne peuvent résister, dont elles ne se relèveront pas. Avec elle, c’est la nature même des institutions qui change : les sirènes du parlementarisme l’ont définitivement emportées et c’est la fonction exécutive qui est atteinte au cœur. Pour cette révision, l’essentiel des propositions d’un comité dit de « modernisation et de rééquilibrage des institutions », comité que présidait Edouard Balladur et dont Jack Lang était l’un des vice-présidents – tout est dit ! –, furent retenues.  Le rapport du comité annonçait la couleur : ses trois têtes de chapitre portaient comme titre : « Un exécutif mieux contrôlé », « Un parlement renforcé », « Des droits nouveaux pour les citoyens ». La nouvelle Constitution comporte donc les dispositions suivantes :

Désormais, le chef de l’Etat ne peut effectuer plus de deux mandats consécutifs ; le recours au 49-3 est limité à une seule fois par session, sauf pour le budget et la Sécurité sociale ; si le chef de l’Etat peut s’exprimer devant le Parlement réuni en Congrès, un débat sans vote peut avoir lieu à l’issue du discours ; le Président ne préside plus le Conseil Supérieur de la Magistrature ; il faut l’autorisation du Parlement pour prolonger plus de quatre mois une opération militaire à l’étranger ; l’ordre du jour de l’Assemblée est fixé pour moitié par les députés eux-mêmes, et lors d’une séance par mois, l’opposition fixe l’ordre du jour ; le Parlement peut adopter des résolutions non contraignantes marquant son opinion et éventuellement défiant la politique suivie ; les textes débattus sont ceux issus des commissions parlementaires et non plus la version du gouvernement ; l’opposition bénéficie d’un temps de parole plus important au Parlement.

Outre ces dispositions profondément hostiles à l’exécutif et qui, le cas échéant, réduisent ses marges de manœuvre et sa capacité à gouverner, la révision comporte encore quelques nouveautés aussi politiquement correctes qu’inutiles ou dangereuses telles que la reconnaissance des langues régionales, l’inscription de la parité homme-femme, l’égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités professionnelles et sociales, la création d’un défenseur des droits des citoyens, la constitutionnalisation de l’indépendance, du pluralisme et de la liberté des médias, toutes mesures qui n’ont pas leur place normalement dans un texte constitutionnel mais qui sans doute répondent à la volonté de rendre nos institutions non pas compatibles mais exactement conformes avec celles de l’Union européenne, faisant de notre texte fondamental un fourre-tout indescriptible quand la règle voulait jusqu’alors qu’il fixe simplement les grands principes et définisse l’organisation des pouvoirs publics entre eux. Il y a quatre ans, Jean Foyer, ancien Garde des Sceaux du Général, comparait devant moi la Constitution à « un manteau d’Arlequin » et avouait qu’il ne reconnaissait plus dans ce fatras le texte voulu par de Gaulle. Que dirait-il aujourd’hui ?

Deux autres dispositions nous choquent également. La première modifie l’article 11 et introduit la mise en place d’un référendum d’un nouveau type, non pas tant « d’initiative populaire » comme il est dit, que « d’initiative parlementaire à soutien populaire » (référendum organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales). Je sais que la mesure était dans l’air du temps ; cela me semble pourtant une fausse bonne idée car cette réforme, aux apparences démocratiques, risque de dénaturer, par le mélange des genres et la confusion, le caractère initial du référendum tel que souhaité par le Général, référendum qui, parce que exclusivement d’initiative présidentielle, sanctionnait – favorablement ou défavorablement – un choix politique du Président et engageait sa responsabilité. La seconde disposition est encore plus sournoise puisqu’elle consiste à modifier les articles 88-5 et 89 du Titre XV « Des Communautés européennes et de l’Union européenne », articles qui prévoyaient que toute nouvelle adhésion d’un Etat à l’Union européenne serait obligatoirement soumise par référendum à l’assentiment du peuple français, pour considérer désormais qu’une simple motion adoptée aux 3/5e par les deux chambres autoriserait le Président à faire entériner cette nouvelle adhésion par voie parlementaire. Nicolas Sarkozy revient donc sur un engagement qu’avait inscrit Jacques Chirac dans la Constitution, concernant notamment l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.

 

Vous avez dit « modernisation », « rééquilibrage » ?

Une des seules préconisations du comité Balladur qui n’est pas suivie dans le texte final concerne évidemment le cumul des mandats, auquel on ne touche pas. La mesure faisait pourtant partie du programme de Nicolas Sarkozy ; elle y figurait même en bonne place, constituant un argument-phare de – comment déjà ? – « rupture ». Il est vrai que 85% des parlementaires sont des cumulards et que la galette est visiblement bonne. Mieux, désormais les ministres issus du Parlement retrouveront automatiquement leur siège en cas de démission ou de renvoi.

Les points-clés de la réforme sont donc clairement en faveur d’une parlementarisation accrue du régime ; ils prennent le contre-pied de l’esprit et de la lettre de la Ve République ; pour dire vrai, après la cohabitation, après le quinquennat, ce renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement, cette dévalorisation de la place du Président, met à bas l’édifice gaullien.

 

Présentation du rapport du Comité Balladur

A ceux qui en doutent encore, crient à l’hyper présidentialisme, ou refusent de voir l’évidence, répétons les mots mêmes du père de la réforme, Edouard Balladur : « Ce qui a été retenu est ce qui était essentiel à mes yeux, à savoir une limitation des pouvoirs du président de la République, un renforcement de ceux du Parlement [...]. Dire que la révision constitutionnelle crée une monocratie présidentielle est tout simplement une absurdité. » Le Premier ministre ne cache pas non plus la réalité d’une réforme qu’il a appuyée et qui, dixit, « va compliquer la vie du gouvernement et renforcer le Parlement ». C’est là une première dans l’histoire de France : un gouvernement défend un projet dont l’adoption même lui compliquera la vie ! Autant d’emblée, cher François Fillon, vous tirez une balle dans le pied ! L’affaire est grave, d’autant plus qu’on sait qu’elle aura une suite, que d’autres réformes du même type sont dans les tuyaux, comme la prise en compte du temps de parole du Président comptabilisé comme temps du parti majoritaire, la réforme du Sénat et l’introduction d’une dose de proportionnelle, promesse de campagne du candidat Sarkozy. Le journaliste Guillaume Tabard s’en félicite bêtement dans le Figaro du 21 juillet : « Le mouvement ne va pas s’arrêter. C’est un des mérites de la méthode Sarkozy : elle a stimulé l’imagination et poussé tous les acteurs politiques à entretenir ou relancer leur réflexion sur les questions institutionnelles. » Et voilà qu’on évoque depuis plusieurs mois la création d’une prochaine commission, présidée cette fois par Simone Veil, qui serait chargée de faire des propositions pour modifier le Préambule de la Constitution.

On dit « modernisation ». Nicolas Sarkozy le premier lorsqu’il se félicite de l’adoption de la réforme : « C’est une victoire pour la démocratie française, je m’en réjouis profondément. [...] Une fois de plus, le camp du mouvement, du changement, de la modernité l’a emporté sur le camp de l’immobilisme, de la rigidité et du sectarisme. » L’argument est convenu pour faire passer la pilule ou avaler la couleuvre ; on le ressort à chaque fois qu’il s’agit de défaire un peu plus ce qui fonctionnait et qui faisait la France. Il est assez cocasse de constater que c’est la droite qui se veut désormais « moderne », et a plein la bouche ce mot de « modernité », sésame de la "bien-pensance". On dit encore « rééquilibrage », mais il n’y a pas à « rééquilibrer » les pouvoirs, entre exécutif et législatif. D’où vient cette manie à tout vouloir toujours, à droite aussi bien qu’à gauche, « rééquilibrer » ou « égaliser », comme si tout devait forcément valoir tout, comme si tout devait être arasé, nivelé, comme si rien ne devait être prééminent, au-dessus, supérieur, comme s’il fallait que l’élève équivale le maître, que le tag soit une œuvre d’art, que le "pipole" remplace le politique, et que donc le chef de l’Etat ne soit qu’un élu comme les autres. 

Oui, les institutions de la Ve République étaient déséquilibrées au profit du chef de l’Etat, de qui tout procédait, et d’abord le gouvernement. Mais c’était bien ainsi. C’est ainsi, figurez-vous, qu’on gouverne. Le commandement ne se divise, pas davantage que la souveraineté, et si en démocratie les pouvoirs doivent être séparés, pourquoi devraient-ils être équilibrés ?

 

 Le parti plutôt que le pays

 Ironie de l’Histoire : le 21 juillet dernier, la révision fut adoptée à une seule voix de majorité puisque 539 parlementaires l’approuvèrent quand était requis 538 suffrages, les 3/5e des voix exprimées. On fit grand cas alors du choix de Jack Lang, lequel approuva le texte contre l’avis du parti socialiste et de tous ses parlementaires. Le député UMP de l’Hérault, Jean-Pierre Grand, l’un des rares à s’opposer jusqu’au bout  à la révision, eut une heureuse formule en évoquant « la constitution de Jack Lang », ce qui traduisait ni plus ni moins que la vérité, le député du Pas-de-Calais ayant non seulement voté le texte mais aussi contribué de longue date à l’inspirer par ses réflexions. Faut-il rappeler par exemple que dans l’ouvrage Un nouveau régime politique pour la France, publié en 2004, ce dernier considérait la Ve République comme « un néo bonapartisme d’un autre âge » et se glorifiait d’être «  en rébellion contre nos institutions dès 1958 », dénonçant au passage « le pouvoir hautain de Charles de Gaulle » qui plaça le régime « sous sa baguette» !  Il est savoureux après cela d’entendre le porte-parole de l’UMP saluer « l’honnêteté intellectuelle » de Jack Lang.

Mais à une voix de majorité, cette nouvelle Constitution, qui n’ose pas encore s’appeler VIe République, n’est pas seulement celle de Jack Lang ; elle est aussi celle de tous ceux, pris individuellement, qui la votèrent. Finalement, une voix de majorité – l’histoire de France connaît cela –, c’est le scénario idéal : chacun de ceux qui vote la mort est ainsi mis en face de ses responsabilités et doit assumer personnellement son choix sans pouvoir se noyer dans la masse. Aussi cette nouvelle Constitution est-elle également celle de Bernard Debré, fils de Michel, qui malgré son opposition au texte le vota en définitive, déclarant pour se justifier qu’il ne voulait pas s’associer aux socialistes, qu’il fallait serrer les rangs derrière le président de la République pour ne pas l’affaiblir dans sa politique intérieure et extérieure, préférant ainsi – c’est bien triste de la part d’un homme que nous estimions – son parti à son pays. Exactement l’attitude qu’adoptèrent les députés Hervé Mariton et Georges Tron qui, finalement ralliés, se fendirent d’une tribune dans Le Figaro pour se justifier : « Notre opinion n’a pas changé sur le fond mais cela ne vaut pas la peine de mettre un pataquès dans la majorité. » Cette nouvelle Constitution – autre souffrance – c’est encore celle de Charles Pasqua qui malgré ses foucades, l’approuva après s’être fait prié. Cette nouvelle Constitution, c’est enfin celle de Patrick Labaune, député de la Drôme, et de François-Xavier Villain, député du Nord, respectivement vice-président et membre du Conseil d’administration de Debout la République, qui votèrent le texte pendant que Nicolas Dupont-Aignan, député de l’Essonne et président de leur mouvement, faisait hautement savoir qu’il s’y opposait, démontrant une fois de plus, si besoin était, que la vérité de DLR est plus beaucoup plus ambiguë qu’il n’y paraît. Oui, une voix de majorité, cela responsabilise et ne peut mentir.

Au contraire, il faut saluer ceux qui résistèrent aux sirènes du parlementarisme et aux menaces de basse politique. Tels les sept courageux de l’UMP, messieurs Henri Cuq, Guy Geoffroy, François Goulard, Jean-Pierre Grand, Jacques Le Guen, André Lardeux  et Jacques Myard. Tels aussi les cinq parlementaires du MPF de Philippe de Villiers : Véronique Besse, Dominique Souchet, Bernard Seillier, Philippe Darniche et Bruno Retailleau. Ceux-là choisirent leurs convictions plutôt que leurs carrières, cela mérite d’être remarqué : ils ne furent pas si nombreux. Du courage et des convictions, il en fallut en effet quand on sait à quel harcèlement ces parlementaires furent soumis, subissant les incessants appels téléphoniques qui du secrétaire d’Etat à l’Intérieur et aux Collectivités Territoriales, lequel laissait entendre que le futur redécoupage électoral pourrait être défavorable aux réfractaires, qui du président de l’Assemblée nationale, lequel proposait en échange d’un ralliement quelques missions rémunérées, qui enfin – c’est stupéfiant –  du président de la République lui-même lequel maniait à son tour la carotte et le bâton. Nous nageons déjà en pleine IVe République, le temps est revenu des combinazione en tous genres.

Tout cela évidemment se fait dans le dos des Français dont d’opportuns sondages nous expliquent qu’il l’approuve, 86% d’entre eux étant par exemple favorable à la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux. La belle affaire quand à ces pauvres Français on n’explique pas la réalité derrière les apparences et qu’eux-mêmes s’en moquent ou ne comprennent rien à ces questions.

 Mais il y a sans doute une cohérence cachée à cette marche forcée vers le parlementarisme : celle qui consiste à affaiblir l’exécutif français au moment où l’on veut renforcer celui de l’Union européenne. Pour preuve, cette troublante image télévisuelle des dernières semaines : lorsque Nicolas Sarkozy recevait à l’Elysée un homologue étranger – ce fut le cas par exemple avec le président ukrainien – se tenait à ses côtés José Manuel Barosso, le président de la Commission européenne, qui semblait le véritable maître du château. Au point que le téléspectateur pouvait se demander s’il n’avait pas la berlue et si la photo sur le perron n’était pas cruellement signifiante, si la France n’avait pas désormais deux présidents, pire : si Nicolas Sarkozy n’était pas tant le président en exercice de l’Union européenne qu’un simple gouverneur de province et si José Manuel Barosso n’était pas en fait le véritable chef de l’Etat. Nul ne doit en douter : la mise à mort de la Ve République et la parlementarisation des institutions françaises ne servira pas la France.