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6 mai 2008

 

Après Lisbonne, quelle défense pour quelle politique étrangère ?                                                                  texte en version imprimable

 
  • Par le contre-amiral (2S) Claude Gaucherand - Lundi 28 Avril 2008

     « La guerre n'est que la poursuite de la politique par d'autres moyens »

    Clausewitz
     

    «Les Etats-Unis eux-mêmes, par leur tendance croissante à agir de manière unilatérale
    et sans respect pour les préoccupations des autres,
    sont devenus un Etat-voyou
     »
    Robert Mac Namara
    (Secrétaire d'Etat à la Défense en 1961, Président de la Banque Mondiale 1968-1981)

Pour toute puissance, la politique de Défense doit être le corollaire de sa politique étrangère et l'outil militaire qu'elle se forge, cohérent avec les objectifs et les ambitions qu'elle se donne ; toute incohérence dans ce domaine se paye au prix fort. C'est aussi le lieu de penser l'avenir à long terme car un tel outil servira plusieurs dizaines d'années. C'est pourquoi ces politiques se devraient de n'être pas partisanes mais nationales. Si avec De Gaulle nous croyons qu'un pays n'a que des intérêts, ce sont ceux du peuple français qu'il s'agit là de préserver, le regard porté sur l'horizon. Pour ceux qui ont la responsabilité de concevoir et mettre en œuvre de telles politiques, une vision constamment prospective s'impose. Est-ce le cas aujourd'hui en France après la signature du traité de Lisbonne et la nième modification de la constitution que sa ratification par le parlement a entraînée ?

 

 

ETAT DES LIEUX 

Après la double présidence de François Mitterrand succédant à Valéry Giscard d'Estaing, et la première de Jacques Chirac, la France a effectivement eu de 1981 à 2002 une politique étrangère révélée avec clarté lors de la première guerre du Golfe et du conflit des Balkans, dont les axes principaux apparaissent comme suit :

  • l'Europe libérale de Bruxelles devenue plus tard celle de Maëstricht voulue avec vigueur par F. Mitterrand (« la France notre patrie, l'Europe notre avenir ») ;

  • les Nations Unies où nous nous essayons à tenir notre rôle de membre permanent du conseil de sécurité ;

  • le retour progressif dans l'OTAN : on y joue de l'exception militaire française comme on le fait de l'exception culturelle, la dissuasion nucléaire restant nationale ;

  • l'ouverture à l'Est et un désengagement concomitant en Afrique.

 Dans le domaine de la Défense, après dix ans d'un effort constant avec un budget d'environ 3% du PIB, la fin du pacte de Varsovie et de l'URSS a donné le signal de grandes économies, les dividendes de la paix, tandis que Maëstricht avec une Défense dite européenne intégrée dans un cadre atlantique donnait celui de nouvelles restrictions, les dividendes de l'Europe et de l'OTAN. Le temps de la cohabitation 1997-2002 aura été celui d'un budget des Armées à moins de 2% du PIB, dans la moyenne des pays européens,  Royaume-Uni excepté, servant de variable d'ajustement du budget de l'Etat, lui-même entravé par le respect des « critères de convergence » ; la professionnalisation des armées entrait dans les faits sans véritable débat national ni référendum : leur intégration dans l'OTAN en fut facilitée tandis que se multiplient les engagements sous la bannière de l'ONU, de l'OTAN et de Washington dans le Golfe arabo-persique, en Bosnie puis au Kosovo allant jusqu'à entrer en guerre avec la Yougoslavie démembrée. Après le « 11 septembre », les armées françaises sont engagées en Afghanistan aux côtés des forces américaines puis au sein de la Force internationale d'assistance et de sécurité mandatée par l'O.N.U.

Dans le même temps, les privatisations débutées en 1986, accélérées par Lionel Jospin dés 1997, libéralisme bruxellois oblige, ont limité le contrôle par l'Etat de l'industrie d'armement conduisant celle-ci, de regroupements en alliances, à s'européaniser et « s'atlantiser » au gré des marchés. Alors que les pays de l'Est revenus à l'indépendance à partir de 1991 attendaient à la porte de la communauté européenne, les Etats-Unis, maîtres de l'OTAN, les invitaient à entrer dans l'alliance atlantique, à s'équiper en conséquence et accueillir de nouvelles bases états-uniennes toujours plus loin vers l' Est.

Avec Mitterrand, la France avait misé sur une Défense européenne destinée à devenir le deuxième pilier de l'Alliance à parité avec le pilier américain, la France y apportant sa puissance économique, ses technologies de pointe, sa diplomatie, ses intérêts mondiaux et africains, sa force de dissuasion nucléaire et … une conception de l'Europe de la Défense que malheureusement aucun de ses partenaires, pas même l'Allemagne, ne partage. Jacques Chirac l'ayant compris prit le parti de réintégrer davantage bien qu'incomplètement l'organisation du Commandement intégré.

L'idée–maîtresse de son prédécesseur toutefois perdure : construire économiquement, diplomatiquement et militairement le deuxième pilier de l'Alliance mais en passant par plus d'intégration dans l'OTAN pour complaire à nos partenaires toujours plus nombreux et plus que jamais désireux de rester sous la protection de l'hyper-puissance.



CHANGEMENTS D'OPTIQUE

2002 : Jacques Chirac libéré de la cohabitation, enfin maître de la politique étrangère et de Défense doit faire face à la crise irakienne. L'entrée massive dans l'OTAN à l'été 2002 de pays de l'Est et l'admission dans la communauté européenne de plusieurs d'entre eux conjuguée à des signes ostensibles d'allégeance à Washington ont été pris en compte à Paris. Dans le même temps l'Europe se divisait entre partisans du droit international et va-t-en-guerre préventive : l'axe Paris- Berlin renforcé notablement par Moscou s'opposait à Washington, et la France osait se targuer de son droit de Veto au Conseil de Sécurité. 

Cette disparité d'appréciation a fait apparaître le divorce des opinions publiques des deux côtés de l'Atlantique, la presse anglo-américaine traînant la France dans le caniveau. La renaissance d'une politique « arabe » abandonnée en 1991 fit une apparition discrète, entravée par la pression constante des partenaires européens tandis que le tam-tam médiatique post 9-11 résonnait du fracas de la lutte contre le terrorisme sur fond de guerre de civilisations et d'islamisme assimilé à terrorisme. 

Autre conséquence, alors que huit gouvernements européens ont assuré Washington de leur appui dans la guerre puis dans l'occupation de l'Irak, les opinions publiques partout en Europe se sont reconnues dans l'opposition à celles-ci. Etait-ce là le premier signe d'une Europe des peuples divorçant de l'Europe Otanisée qui se fabrique à Bruxelles ? 

 


LA CRISE IRAKIENNE, REVELATEUR DE LA POLITIQUE ETRANGERE AMERICAINE ET DE LA MAJORITE DE LA COMMUNAUTE EUROPEENNE

La crise irakienne est révélatrice de la politique de l' « hyper puissance » au seuil de la quatrième guerre mondiale débutée en 1991, année du triomphe des Etats Unis d'Amérique et de l'émergence de la Chine, puissance intacte et monolithique. Cette politique a une pratique et ses porte-voix ; elle a des explications concourantes et, depuis juin 1997/septembre 2000, un fondement idéologique, politique, militaire et économique : « le projet pour un nouveau siècle américain » rédigé par R.Cheney, D.Rumsfeld, P.Wolfowitz, R.Perle et E.Abrams et quelques autres éminents néo-conservateurs, c'est à dire l'entourage du Président W. Bush. Il y déclare la prééminence planétaire des E.U.A par le biais d'une politique unilatéraliste et de la guerre préventive entre autres choses, mais aussi l'affirmation d'une doctrine militaire qui interdit à toute autre puissance l'accès aux technologies susceptibles de lui donner la parité dans ce domaine. L'ONU y est dépeinte comme un forum gauchiste, antisioniste et anti-impérialiste.

La pratique est celle du renforcement de l'OTAN,  machine économique et politique et machine de guerre remodelée en alliance offensive à l'occasion de son cinquantième anniversaire: en juin 1991, James Baker, Secrétaire d'Etat de Georges Bush, fait état à Berlin de l'objectif américain d'une communauté transatlantique  de Vancouver à Vladivostok en portant en 20 ans les frontières de l'OTAN,  bras armé de l'Amérique, jusqu'à celles de la Chine. Pour Madeleine Albright « l'Amérique est une puissance européenne qui s'attache à redessiner les Balkans et désormais l'OTAN peut intervenir sans mandat de l'ONU. »

Par les normes techniques imposées à ses membres, l'Alliance constitue un instrument de domination économique et d'assujettissement politique et militaire qui permet de fidéliser des voix dans les organismes internationaux, y compris au Conseil de Sécurité, et de partager les coûts des opérations militaires. Elle apporte en plus des clients à l'industrie américaine de l'armement. 

La politique de maintien d'un état de crise permanent au Proche-Orient répond à divers mobiles dont l'un éclaire la volonté de contrôler les réserves pétrolières. Les Etats-Unis présentent une économie structurellement en déficit : la délocalisation touche l'industrie mais la consommation est encouragée par des baisses des taux d'intérêt au prix d'un déficit supérieur au montant colossal du budget de la Défense. Pour y faire face, il faut attirer les capitaux de l'épargne mondiale : par exemple par une hausse du prix du baril de pétrole que Japonais, Chinois et Européens doivent payer en dollars. Les pétrodollars ainsi multipliés par la crise trouvent un refuge naturel aux Etats-Unis où ils compensent le coût de la consommation et dopent une industrie d'armement toute puissante. 

Avec la lutte contre le terrorisme, la machine de guerre OTAN trouve de nouveaux horizons. On est loin de l'Atlantique Nord…. Comme si le terrorisme se combattait avec des armées alors qu'il est avant tout enfant du désespoir et que ses causes profondes et donc son traitement curatif relèvent à l'évidence du domaine politique même si police et renseignement sont à l'évidence nécessaires pour en combattre les effets immédiats et s'en prémunir.

 


QUELLES POLITIQUE ETRANGERE ET DE DEFENSE POUR LA FRANCE ? 

LA VOIE GAULLIENNE 

La politique étrangère de la France doit prendre en compte ces faits et en tirer toutes les conséquences, économiques, diplomatiques, culturelles et militaires :

Monde multipolaire ou unipolaire ? Primauté du droit international ou celle de la force et de la guerre préventive ? Respect de la souveraineté des nations ou devoir d'ingérence ? Indépendance souveraine ou assujettissement à l'hyper-puissance ? Economie contrôlée ou libéralisme sans frein ? Ouverture sur l'Islam, la Russie et la Chine ou droit-de-l'hommisme érigé en doctrine ?

L'indépendance a un coût, celui d'une guerre larvée avec Washington et ses féaux européens dans tous les domaines. C'est à un conflit long, sournois, multiformes qu'il faut faire face, celui millénaire des nations contre les empires, couvrant toute la panoplie des armes : militaires peut-être ; diplomatiques sûrement ; économiques et financières bien sûr ; de façon plus insidieuse, culturelles aussi, - il ne devrait plus être un secret pour personne que depuis 1945 Hollywood et le Pentagone entretiennent des relations serrées - les media en étant les efficaces vecteurs et leur contrôle, déterminant dans la lutte contre la désinformation tandis que l'anglais, langue impériale, cherche et réussit à s'imposer comme langue officielle unique dans les organismes internationaux de toute nature.

En dépit des protestations d'« amitié franco-américaine séculaire », c'est à toutes ces armes auxquelles notre nation se frotte depuis 1958.

Il fallait une volonté ferme s'appuyant sur une opinion publique avertie, pour conduire d'une part une politique de rupture passant par le rejet par le peuple français du projet de « constitution » européenne, la révision du traité de Maëstricht et des suivants, la dénonciation du traité de l'Atlantique-nord, la reprise du contrôle national du commandement des forces armées, et d'autre part  un effort particulier dans le domaine de la Défense plus que jamais reposant sur une force de dissuasion nucléaire tous azimuts : car il est clair que sa maîtrise constitue encore aujourd'hui l'assurance tous-risques contre un agresseur potentiel qui ne supporte pas que l'on conteste sa politique et ne respecte que la force .

Une Défense exigeant aussi la reprise du contrôle par l'Etat de l'industrie liée à l'armement qu'il y a un intérêt vital et stratégique à ne pas laisser aux mains de groupes financiers sans frontières. 

Le chemin est long et difficile, il y faut des sacrifices de confort fondés sur la solidarité collective. S'il est vrai que toute entité divisée est condamnée à périr, alors toute politique de Défense doit tendre à refaire l'unité de notre pays : au plan sociologique, en combattant toutes les formes de communautarisme ethnique et religieux ; de ce point de vue la remise en place d'un service national tant civil que militaire constituerait un élément essentiel de l'homogénéisation de la société, occasion  pour un bilan de santé et culturel alors que l'illettrisme touche prés  de 10 °/o de la population.

Le discours de Dominique de Villepin à l'assemblée générale de l'ONU a pu faire croire à un retour de la pensée gaullienne en matière de diplomatie et de défense, retour concrétisé par le rejet du projet de constitution européenne par les peuples français et hollandais au printemps 2005. 

 


LA VOIE CHOISIE PAR NICOLAS SARKOZY 

Avec l'élection de Nicolas Sarkozy, homme lige des néo-conservateurs étatsuniens, ce n'est pas le chemin que la France choisit de suivre. Avec l'accord – ou la complicité ?- d'une partie de l'opposition, le parlement a ratifié à la hâte le traité de Lisbonne, version à peine allégée du projet de constitution, libérant le futur Président du conseil européen de toute entrave pour conduire une politique à sa main tandis qu'un livre Blanc sur la Défense dont les grandes lignes sont déjà connues le confortera dans les décisions déjà prises que de nombreux signes permettent de décrypter : 

  • au Proche-Orient, point de politique arabe mais un ami privilégié, Israël ;

  • à Washington, non point un allié occasionnel mais un ami séculaire ;

  • dans les Balkans, une hâte sans concurrence à reconnaître l'indépendance du Kosovo, cet état grand comme un département français où se trouve la base américaine exceptionnellement importante de Camp Bondsteel ;

  • en Afghanistan, l'envoi d'un régiment en renfort sur le terrain à la demande des Etats-Unis au moment où les alliés européens rechignent à participer à une guerre sans fin ;

  • pour ce qui concerne l'Iran, par la bouche de son Président, la France s'engage à participer à des mesures militaires qui pourraient être décidées à son encontre aux côtés des forces de l'alliance atlantique ;

  • dans la crise médiatique concernant la Chine et le Tibet, la France n'hésite pas à se lancer à l'assaut de l'empire du milieu ;

  • quant à la force de dissuasion nucléaire, elle se voit confirmée dans son allègement avec l'abandon du deuxième porte-avions tandis que le Président suggère qu'elle puisse à terme être « européanisée » ;

  • à l'assemblée européenne, une majorité de députés français approuve une motion demandant un siège de membre permanent au conseil de Sécurité pour l'UE et l'éventuel abandon de celui de la France à son profit. 


Toutes ces indications, tous ces signes ont pris leur pleine signification avec l'annonce officielle à l'occasion du sommet de l'OTAN    de la réintégration en 2009 des forces armées dans le commandement intégré de l'OTAN. A la pleine satisfaction du Président W.Bush. 

Dés lors, la politique étrangère et la politique de Défense de la France devient limpide : l'abandon de toute ambition à jouer un rôle particulier dans les affaires du monde au profit du rôle de vassal forcément docile, membre d'un club européen lui-même vassalisé et dédié au soutien des politiques décidées à Washington avec une organisation atlantique au service de guerres coloniales d'un nouveau genre menées au nom de la lutte contre le terrorisme, de la défense du Bien contre le Mal et de la Civilisation contre la Barbarie s'appuyant sur un devoir d'ingérence. Rien de bien nouveau en somme.

Reste pour seul défit celui de devenir le premier de la classe européenne, même si la concurrence est rude face au préféré – le Royaume Uni – et au pilier de l'Europe centrale – l'Allemagne. 

Mais est-ce là la philosophie de notre nation dans sa relation au monde ? Avec Tocqueville, il convient de se souvenir que « notre peuple, lorsqu'on l'a arraché à son logis et à ses habitudes est prêt à tout oser, ingouvernable dés que l'exemple de la résistance est donné quelque part, jamais si asservi qu'il ne puisse encore briser le joug. »


CG