Référendum du 21 octobre 1945

Retour                                                                                                               Mis en ligne le 03 avril 2007

 

Selon la procédure définie par l'ordonnance du 17 août 1945, les électeurs, hommes et femmes, civils et militaires, eurent le 21 octobre 1945 à désigner une nouvelle Assemblée succédant à l'Assemblée consultative provisoire, et à se prononcer sur deux questions. La première était ainsi formulée : "Voulez-vous que l'Assemblée élue ce jour soit constituante ?" Une réponse négative valait retour aux lois constitutionnelles de 1875. Quant à la seconde, elle était exprimée en ces termes : "Si le corps électoral a répondu oui à la première question, approuvez-vous que les pouvoirs publics soient, jusqu'à la mise en vigueur de la nouvelle Constitution, organisés conformément au projet de loi ci-contre ?" Rompant avec la tradition, le projet figurant au verso du bulletin limitait les pouvoirs de la future Constituante.

De Gaulle s'était clairement engagé à Brest, le 21 juillet de la même année, en faveur d'une double réponse affirmative. C'était là à ses yeux le préalable indispensable pour redonner à l'Etat républicain l'autorité et l'efficacité qui lui avaient fait défaut et préserver le gouvernement des débordements inévitables d'une Assemblée unique munie de l'intégralité des pouvoirs. Ni retour à la IIIe République, ni Constituante souveraine. Le "oui" l'emporta massivement à la première question (18 584 746 voix contre 699 136). Quoique de façon moins nette, c'est aussi largement que fût tranchée la seconde (12 795 213 voix contre6 449 206). La nouvelle Assemblée, au sein de laquelle le PCF occupait la première place, suivi par le MRP et la SFIO, eut donc à se couler dans le moule du projet qui devint la loi constitutionnelle du 2 novembre 1945.

Une comparaison de ce texte avec le projet initial du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), rejeté par l'Assemblée consultative provisoire le 29 juillet (Par 210 voix contre 19), est révélatrice du rapport de force qui s'instaure entre de gaulle et les partis. La loi du 2 novembre reprend les principales limites que le Général entend fixer à la constituante. D'une part, le projet de constitution devra être soumis à la ratification du peuple dans le mois suivant son adoption par l'Assemblée. D'autre part, pour accomplir sa tâche, celle-ci disposera, à compter de sa première réunion, d'un délai de sept mois qu'elle ne pourra outre-passer. Au cas où le corps électoral rejetterait la constitution qu'elle aura rédigée, ou si son travail n'était pas achevé dans le délai imparti, il serait procédé à l'élection d'une nouvelle Assemblée constituante. On ne pouvait mieux signifier l'urgence à sortir du provisoire comme le droit du peuple à décider en dernier ressort des institutions.

Cela dit, la loi du 2 novembre confie à l'Assemblée des prérogatives plus étendues que celles que lui consentait le projet primitif. Si de Gaulle est passé en force face aux réticences de l'Assemblée consultative provisoire, il a pris en compte une proposition de Vincent Auriol et Claude Bourdet donnant à la Constituante une capacité législative que lui déniait en grande partie le premier texte du gouvernement. Le texte organisait une responsabilité ministérielle, ignorée par le projet initial, mais dans des conditions propres à assurer la stabilité nécessaire de l'équipe gouvernementale. Il était ainsi prévu que sa démission ne serait obligatoire qu'après le vote distinct par l'Assemblée d'une motion de censure à la majorité de ses membres.

Dans ce contexte de rivalités pour l'exercice du pouvoir, l'unanimité parlementaire qui s'exprima le 13 novembre avec l'élection de de Gaulle à la tête du nouveau GPRF, ne pouvait être que trompeuse. De fait se manifestèrent d'emblée des tensions entre l'Assemblée et le Général. Son passé, sa stature, sa conception de l'Etat le rendaient, il est vrai, foncièrement étranger au jeu des partis. Usé par ce qu'il ressentait comme de "désobligeantes palabres", il déclara à la Constituante le 1er janvier 1946 : "Ce régime d'une Assemblée qui gouverne elle-même […], ce régime est concevable, mais ce n'est pas celui que conçoit le gouvernement. Je ne l'ai jamais caché en prenant les fonctions que vous avez bien voulu m'attribuer […]. Veut-on un gouvernement qui gouverne ou une Assemblée omnipotente déléguant un gouvernement pour accomplir ses volontés ? […] La formule qui s'impose, à mon avis, après toutes les expériences que nous avons faites, c'est un gouvernement qui ait et qui porte seul, je dis : seul, la responsabilité entière du pouvoir exécutif." Et d'ajouter ces mots décisifs : "Sans doute est-ce la dernière fois que je parle dans cet hémicycle." Ces paroles, pourtant lourdes de sens, passèrent alors presque inaperçues. Elles ne tardèrent pourtant pas à se traduire en actes. Le 20 janvier, le général démissionnait.

 

Ordonnance n° 45-1836 du 17 août 1945, 
instituant une consultation du peuple français par voie de référendum

et fixant le terme des pouvoirs de l'Assemblée consultative provisoire

 

Article premier

Le corps électoral des citoyens français sera consulté le 21 octobre 1945, par voie de référendum. Il décidera à la majorité des suffrages exprimés.

La liste électorale sera utilisée à cet effet.

Deux questions seront posées.

Article 2

La première question sera ainsi exprimée : « Voulez-vous que l'Assemblée élue ce jour soit constituante ? »

Article 3

S'il est répondu « Non » à cette première question, par le corps électoral, l'Assemblée élue le 21 octobre formera la Chambre des députés prévue par les lois constitutionnelles de 1875, et il sera procédé dans le délai de deux mois à l'élection du Sénat.

Chacune des deux chambres, en ce cas, se réunira de plein droit le jeudi suivant l'élection du Sénat.

Article 4

La deuxième question sera ainsi exprimée : « Si le corps électoral a répondu « Oui » à la première question, approuvez-vous que les pouvoirs publics soient, jusqu'à la mise en œuvre de la nouvelle Constitution, organisés conformément au projet de loi ci-contre ».

Article 5

S'il est répondu « Oui », par le corps électoral, aux deux questions, le projet de loi suivant, qui aura été inséré au verso des bulletins de vote à employer pour le référendum, aura force constitutionnelle et sera immédiatement promulgué en ces termes :

 

Projet de loi portant organisation provisoire des pouvoirs publics

Le peuple français a adopté,

Le Gouvernement provisoire de la République française promulgue la loi dont la teneur suit :

 

Article premier.

L'Assemblée constituante, issue du scrutin du 21 octobre 1945, élit aussitôt, au scrutin public et à la majorité absolue des membres la composant, le président du Gouvernement provisoire de la République. Celui-ci constitue son gouvernement et le soumet à l'approbation de l'Assemblée, en même temps que le programme du Gouvernement.

Le gouvernement est responsable devant l'Assemblée ; mais le rejet d'un texte ou d'un crédit n'entraîne pas sa démission. Celle-ci n'est obligatoire qu'à la suite du vote distinct d'une motion de censure intervenant au plus tôt deux jours après son dépôt sur le bureau de l'Assemblée et adoptée au moyen d'un scrutin à la tribune par la majorité des membres composant l'Assemblée.

Article 2.

L'Assemblée établit la Constitution nouvelle.

Article 3.

La Constitution adoptée par l'Assemblée sera soumise à l'approbation du corps électoral des citoyens français, par voie de référendum, dans le mois qui suivra son adoption par l'Assemblée.

Article 4.

L'Assemblée a le pouvoir législatif. Elle a l'initiative des lois concurremment avec le Gouvernement.

Dans le délai d'un mois imparti pour la promulgation des lois, le Gouvernement a le droit de demander une seconde délibération. Si, à la suite de celle-ci, le premier vote est confirmé à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée, la loi est promulguée dans les trois jours.

Article 5.

L'Assemblée vote le budget, mais elle ne peut prendre l'initiative des dépenses.

Article 6.

Les pouvoirs de l'Assemblée expireront le jour de la mise en application de la nouvelle Constitution et, au plus tard, sept mois après la première réunion de l'Assemblée.

Article 7.

Au cas où le corps électoral rejetterait la Constitution établie par l'Assemblée, ou au cas où celle-ci n'en aurait établi aucune dans le délai fixé à l'article 6, il serait procédé aussitôt, et dans les mêmes formes, à l'élection d'une nouvelle Assemblée constituante jouissant des mêmes pouvoirs, qui se réunirait de plein droit le deuxième mardi après son élection.

Article 8.

La présente loi adoptée par le peuple français, aura force constitutionnelle et sera exécutée comme loi de l'État.

Article 6

S'il est répondu « Non », par le corps électoral, à la deuxième question, l'Assemblée constituante élue fixera à son gré l'organisation provisoire des pouvoirs publics.

Article 7

Dans les deux cas visés aux articles 5 et 6 l'Assemblée constituante se réunira de plein droit à Paris, au Palais-Bourbon, le mardi 6 novembre 1945.

Article 8

Le modèle et le libellé du bulletin de vote à employer à l'exclusion de tout autre, pour le référendum seront fixés par décret rendu en Conseil des ministres.

Article 9

Une commission nationale sera chargée d'opérer le recensement général des votes et de proclamer le résultat du référendum.

Elle sera composée du premier président de la Cour de cassation, président, de deux conseillers d'État et de deux conseillers à la Cour de cassation désignés par le garde des sceaux.

En cas d'empêchement du premier président, il sera remplacé par un président de chambre à la Cour de cassation désigné par lui.

Un décret, rendu sur le rapport du ministre de l'intérieur, déterminera les conditions et les modalités du recensement.

Article 10

Les pouvoirs de l'Assemblée consultative provisoire instituée par l'ordonnance du 17 septembre 1943 prendront fin le 21 octobre.

Article 11

La présente ordonnance sera publiée au Journal officiel de la République française et exécutée comme loi.