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N° 45 du 22 décembre 2006

 

Défaire le non du 29 mai 2005 par Christophe Beaudouin

 

La pression sur la France et les Pays-Bas est montée d'un cran au cours du Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement de la semaine dernière à Bruxelles. Les Etats favorables au maintien du traité ont lancé une première offensive politique et médiatique. 

«L'Europe du «oui» s'impatiente» titraient certains journaux le lendemain.  Ainsi, l'Espagne et le Luxembourg, les deux seuls pays qui ont approuvé la Constitution européenne par référendum, ont invité les seize autres Etats membres de l'Union l'ayant ratifiée à se réunir, fin janvier à Madrid, pour relancer le processus constitutionnel. La Roumanie et la Bulgarie, dont l'adhésion vaut ratification sont également conviées à cette première réunion tandis que «les neufs pays récalcitrants ou attentistes» en sont écartés.

Culpabiliser le Non

Une prochaine réunion, fin février à Luxembourg, avec la France, les Pays-Bas et les Etats qui ne se sont pas encore prononcé dont le Royaume-Uni est également prévue. «Nous pensons que ceux qui ont ratifié le traité ont le droit de s'exprimer haut et fort» a expliqué Jean-Claude Juncker, le Premier ministre du Luxembourg. Doit-on comprendre qu'il souhaite que soient organisés des référendums dans tous les pays sur la Constitution européenne ?  Et de poursuivre : «Tout le public européen est sous l'influence de ceux qui ont dit non. Nous devons redonner leur dignité aux arguments de ceux qui ont dit oui». Chiche !  La chancelière allemande Angela Merkel, qui compte bien profiter de sa présidence de l'UE début 2007 et du changement de Président en France pour ressusciter la Constitution a jugé que «la voix des Dix-huit ne doit pas être sous-estimée»... Certes, mais nous nous permettrons néanmoins ici de la nuancer. 

Il faut d'abord ne pas oublier que 68% des espagnols s'étaient abstenus, ce qui en dit long sur leur soi-disant ferveur européenne. On peut comprendre que les vingt-trois autres nations du continent européen ne puissent s'en contenter au regard de l'extraordinaire enjeu, pas plus d'ailleurs que des 109.494 électeurs du grand Duché luxembourgeois qui ont voté "oui", aussi respectables soient-ils. Pour les seize autres, les ratifications ont prudemment emprunté la voix parlementaire plutôt que le référendum, c'est à dire le vote verrouillé de majorités tenues par les consignes de vote des grands partis plutôt que l'expression du suffrage universel direct. 

La démocratie représentative est certes le "moins mauvais" des systèmes politiques mais elle a tout de même ses limites. S'agissant non pas d'une simple réforme législative ou de l'adoption d'un projet de loi de finances mais bien d'une "Constitution", on ne peut considérer sérieusement que la légitimité de la ratification parlementaire du Traité qui l'instaure ait la même force qu'une ratification populaire. Surtout, il est douteux qu'aucun des parlements ayant ratifié en ait reçu le moindre mandat de la part de leur peuple, la ratification de la constitution européenne n'ayant pu figurer dans leurs programmes électoraux. 

Le mandat de 2007

A cet égard il en sera différent en France avec la majorité qui sortira des urnes en 2007. Si Ségolène Royal ménage actuellement le "non" de gauche en ne disant pas qu'elle recyclera la constitution européenne (elle ne dit pas non plus le contraire), on peut lui faire confiance à elle et sa future majorité de gauche plurielle, qui ont dit "oui" à toutes les étapes supplémentaires dans l'intégration européenne, pour régler l'affaire en passant par le Parlement et montrer au reste de l'Europe, que la France socialiste est plus européenne que la France chiraquienne. 

Le patron de l'UMP Nicolas Sarkozy a quant à lui été plus clair sur ses intentions de faire ratifier par le Parlement les parties I et II du Traité c'est à dire le volet constitutionnel proprement dit. Comme Ségolène Royal, il joint sa voix aux pourfendeurs de la politique de l'euro fort menée depuis toujours par la Banque Centrale de Francfort dont la Constitution renforce justement les pouvoirs, l'indépendance et l'objectif déflationniste. Les Français qui voteront pour l'un ou l'autre le feront donc en connaissance de cause. De même que pour les députés qu'ils éliront ensuite à l'Assemblée nationale, eux qui auront la délicate mission de défaire leur Non. 

Despotisme éclairé

Toutes ces offensives contre le vote populaire du 29 mai sont évidemment à mettre en perspective de la méthode intégrationniste depuis l'origine, qui obéit à un principe hégémonique (la légitimité vient d'en haut) et non démocratique (la légitimité vient d'en bas). Ce qu'expliqua fort bien M. Tommaso Padoa-Schioppa, patron d'un important think-tank européiste qui milite ardemment pour le recyclage du Traité constitutionnel et actuel Ministre italien de l'Économie et des Finances. 

Alors qu'il préparait l'avènement de l'euro comme directeur des relations internationales de la BCE, il entreprit une "opération-vérité" sur l'Europe dans un article dense et bien écrit publié par la revue "Commentaire" (n°87) :  L'aventure européenne a également fait émerger, tout en montrant leur efficacité, des modes d'action politique bien différents de ceux qui caractérisent les démocraties contemporaines, fondées sur les partis, les élections, des procédures et structures préétablies, le cadre national et la professionnalisation de la politique. […] A côté du politicien de métier, existent ceux qui conçoivent la politique comme une lutte dont le but est de créer un pouvoir différent, tout en sachant que, une fois créé, ce pouvoir sera, presque à coup sûr, pris par d'autres […] La construction européenne est une révolution, même si les révolutionnaires ne sont pas des conspirateurs blêmes et maigres, mais des employés, des fonctionnaires, des banquiers et des professeurs […] L'Europe s'est formée en pleine légitimité institutionnelle. Mais elle ne procède pas d'un mouvement démocratique […] Entre les deux pôles du consensus populaire et du leadership de quelques gouvernants, l'Europe s'est faite en suivant une méthode que l 'on pourrait définir du terme de despotisme éclairé". Voici les électeurs français définitivement éclairés.


Christophe Beaudouin

Observatoire de l'Europe