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La
pression sur la France et les Pays-Bas est montée d'un cran au cours du
Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement de la semaine
dernière à Bruxelles. Les Etats favorables au maintien du traité ont
lancé une première offensive politique et médiatique.
«L'Europe
du «oui» s'impatiente» titraient certains journaux le lendemain.
Ainsi, l'Espagne et le Luxembourg, les deux seuls pays qui ont approuvé
la Constitution européenne par référendum, ont invité les seize autres
Etats membres de l'Union l'ayant ratifiée à se réunir, fin janvier à
Madrid, pour relancer le processus constitutionnel. La Roumanie et la
Bulgarie, dont l'adhésion vaut ratification sont également conviées à
cette première réunion tandis que «les neufs pays récalcitrants ou
attentistes» en sont écartés.
Culpabiliser le Non
Une prochaine réunion, fin février à Luxembourg, avec la France, les
Pays-Bas et les Etats qui ne se sont pas encore prononcé dont le
Royaume-Uni est également prévue. «Nous
pensons que ceux qui ont ratifié le traité ont le droit de s'exprimer
haut et fort» a expliqué Jean-Claude Juncker, le Premier ministre
du Luxembourg. Doit-on comprendre qu'il souhaite que soient organisés
des référendums dans tous les pays sur la Constitution européenne ? Et
de poursuivre : «Tout
le public européen est sous l'influence de ceux qui ont dit non. Nous
devons redonner leur dignité aux arguments de ceux qui ont dit oui».
Chiche ! La chancelière allemande Angela Merkel, qui compte bien
profiter de sa présidence de l'UE début 2007 et du changement
de Président en France pour ressusciter la Constitution a jugé que «la
voix des Dix-huit ne doit pas être sous-estimée»... Certes, mais
nous nous permettrons néanmoins ici de la nuancer.
Il
faut d'abord ne pas oublier que 68% des espagnols s'étaient abstenus, ce
qui en dit long sur leur soi-disant ferveur européenne. On peut
comprendre que les vingt-trois autres nations du continent européen
ne puissent s'en contenter au regard de l'extraordinaire enjeu, pas
plus d'ailleurs que des 109.494 électeurs du grand Duché luxembourgeois
qui ont voté "oui", aussi respectables soient-ils. Pour les seize
autres, les ratifications ont prudemment emprunté la
voix parlementaire plutôt que le référendum, c'est à dire le vote
verrouillé de majorités tenues par les consignes de vote des grands
partis plutôt que l'expression du suffrage universel direct.
La
démocratie représentative est certes le "moins mauvais" des systèmes
politiques mais elle a tout de même ses limites. S'agissant non
pas d'une simple réforme législative ou de l'adoption d'un projet de loi
de finances mais bien d'une "Constitution", on ne peut considérer
sérieusement que la légitimité de la ratification parlementaire du
Traité qui l'instaure ait la même force qu'une ratification
populaire. Surtout, il est douteux qu'aucun des parlements ayant ratifié
en ait reçu le moindre mandat de la part de leur peuple, la ratification
de la constitution européenne n'ayant pu figurer dans leurs programmes
électoraux.
Le mandat de 2007
A
cet égard il en sera différent en France avec la majorité qui sortira
des urnes en 2007. Si Ségolène Royal ménage actuellement le "non" de
gauche en ne disant pas qu'elle recyclera la constitution européenne
(elle ne dit pas non plus le contraire), on peut lui faire confiance à
elle et sa future majorité de gauche plurielle, qui ont dit "oui" à
toutes les étapes supplémentaires dans l'intégration européenne, pour
régler l'affaire en passant par le Parlement et montrer au reste de
l'Europe, que la France socialiste est plus européenne que la France
chiraquienne.
Le
patron de l'UMP Nicolas Sarkozy a quant à lui été plus clair sur ses
intentions de faire ratifier par le Parlement les parties I et II du
Traité c'est à dire le volet constitutionnel proprement dit. Comme
Ségolène Royal, il joint sa voix aux pourfendeurs de la politique de
l'euro fort menée depuis toujours par la Banque Centrale de Francfort
dont la Constitution renforce justement les pouvoirs, l'indépendance et
l'objectif déflationniste. Les Français qui voteront pour l'un ou
l'autre le feront donc en connaissance de cause. De même que pour les
députés qu'ils éliront ensuite à l'Assemblée nationale, eux qui auront
la délicate mission de défaire leur Non.
Despotisme éclairé
Toutes ces offensives contre le vote populaire du 29 mai sont évidemment
à mettre en perspective de la méthode intégrationniste depuis l'origine,
qui obéit à un principe hégémonique (la légitimité vient d'en haut)
et non démocratique (la légitimité vient d'en bas). Ce qu'expliqua fort
bien M. Tommaso Padoa-Schioppa, patron d'un important think-tank
européiste qui milite ardemment pour le recyclage du Traité
constitutionnel et actuel Ministre italien de l'Économie et des
Finances.
Alors qu'il préparait l'avènement de l'euro comme directeur des
relations internationales de la BCE, il entreprit une "opération-vérité"
sur l'Europe dans un article dense et bien écrit publié par la revue
"Commentaire" (n°87) :
L'aventure européenne a également fait émerger, tout en montrant leur
efficacité, des modes d'action politique bien différents de ceux qui
caractérisent les démocraties contemporaines, fondées sur les partis,
les élections, des procédures et structures préétablies, le cadre
national et la professionnalisation de la politique. […] A côté du
politicien de métier, existent ceux qui conçoivent la politique comme
une lutte dont le but est de créer un pouvoir différent, tout en sachant
que, une fois créé, ce pouvoir sera, presque à coup sûr, pris par
d'autres […] La construction européenne est une révolution, même si les
révolutionnaires ne sont pas des conspirateurs blêmes et maigres, mais
des employés, des fonctionnaires, des banquiers et des professeurs […]
L'Europe s'est formée en pleine légitimité institutionnelle. Mais elle
ne procède pas d'un mouvement démocratique […] Entre les deux pôles du
consensus populaire et du leadership de quelques gouvernants, l'Europe
s'est faite en suivant une méthode que l 'on pourrait définir du terme
de despotisme éclairé". Voici les électeurs français
définitivement éclairés.
Christophe Beaudouin
Observatoire de l'Europe
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