
Le 5 avril 2006,
une convention de l'UMP relative aux institutions a permis à Nicolas
Sarkozy de présenter la globalité de ses propositions de modification de
la constitution actuelle.
Le document ci-après rédigé à partir du discours du Président-candidat
UMP à la présidentielle de 2007 vous permettra de mesurer l'ampleur de
la rupture que propose Nicolas Sarkozy.
Sommaire
Les Institutions
de la Vème République ont fait leurs preuves. "Avec
elles, nous avons traversé des drames qui auraient emporté dix fois les
précédentes Républiques" confiait le général de Gaulle à Alain
Peyrefitte (C'était de Gaulle – Fayard).
François
Mitterrand, dans son essai "Le coup d'État permanent", a fustigé
violemment les pratiques constitutionnelles de la Vème
République à laquelle il s'est pourtant rallié sans la modifier :
"Les institutions n'étaient pas faites à mon intention, mais elles sont
bien faites pour moi".
L'élection du
Président de la République au suffrage universel (Référendum du 28
octobre 1962) n'a pas été un changement de régime, mais une phase
indispensable à la rupture constitutionnelle opérée en octobre 1958.
"Depuis 1958,
la constitution a assuré la stabilité des gouvernements…
Elle a permis
au pouvoir exécutif de résoudre la crise algérienne, d'accomplir les
réformes importantes et d'assurer la défense des intérêts de la France
dans le monde. Elle est parvenue à surmonter l'alternance politique et
elle a su s'adapter au fil des temps, y compris parfois au prix
d'inflexions fortes telles que l'élection du Président de la République
au suffrage universel…"
En conclusion :
"…Je ne crois pas que le gène du sursaut se situe dans le changement de
nos institutions".
L'affirmation de
Nicolas Sarkozy est sans ambiguïté si l'on se satisfait des premières
lignes de son discours. Il n'y a pas nécessité de modifier notre
constitution pour régler nos problèmes.
Nous constaterons,
néanmoins, que les propositions du candidat UMP à la prochaine
présidentielle conduisent, globalement, non pas à une adaptation comme
il s'évertue à nous faire croire, mais à un changement radical de la
constitution de la Vème République.
Les abstentions
sont en augmentation constate Nicolas Sarkozy. "Plus d'un électeur
sur deux ne se reconnaît pas aujourd'hui dans ses élus. La pauvreté du
débat politique y a sa part, comme l'a montré a contrario la campagne
référendaire sur la constitution européenne".
Mais la faillite
des idées, donc du débat, n'est pas la seule explication. "Il faut
donc changer la constitution" se contredit Nicolas Sarkozy.
Il y a dans ses
propos l'expression d'un double aveu salutaire :
-
Lorsque le débat prime sur l'omerta, la démocratie se porte
mieux ; Le référendum redevient alors un outil démocratique lorsque
l'enjeu y est essentiel.
-
Le résultat du 29 mai revêt une
dimension fondamentale. C'est une raison de plus pour respecter le
verdict des Françaises et des Français. Les responsables politiques
doivent en tirer toutes les conséquences.
Nicolas Sarkozy
considère que le pouvoir exécutif est plus puissant que le pouvoir
législatif et que "la dyarchie crée une confusion dans l'exercice du
pouvoir", notamment en période de cohabitation où, "le pouvoir
exécutif est donc moins efficace".
Malgré les
affirmations de Nicolas Sarkozy sur les "bienfaits" des institutions de
la Vème République, nous voyons poindre les changements
radicaux qu'il propose pour en terminer avec la république gaullienne.
Affirmer que
l'exécutif est plus puissant que le législatif est une affabulation.
Chacune des instances a une mission bien définie qu'il n'est pas
possible de comparer en termes de pouvoir plus ou moins important :
Le législatif (Parlement :
Assemblée nationale et Sénat) vote les lois, et il est le seul à le
faire.
L'exécutif détermine la
politique de la Nation, assure la continuité de l'État et son chef (le
Président de la République) oriente, impulse, est garant de la bonne
application des règles communes, et notamment le respect de notre
constitution.
Que l'évolution de
nos institutions soit une donnée pérenne dans un monde qui change
rapidement, personne peut le nier.
Mais identifier
les changements qu'il propose conformes à la Vème République
et respectant les principes institutionnels du gaullisme est une
tromperie qu'il convient de dénoncer.
En vérité, comme
le précise Patrick Devedjian, conseiller politique de l'UMP, c'est bien
le fondement même de la Vème République qui est en cause.
"Lorsque Nicolas Sarkozy a exprimé son souhait de rééquilibrer nos
institutions, de mauvais esprits ont fait semblant de comprendre qu'il
voulait simplement augmenter encore les pouvoirs du Président de la
République. C'est exactement le contraire" admet-il.
Notons avec
satisfaction la vision plus réaliste de Jean-Pierre Raffarin que
personne ne peut suspecter d'être un gaulliste inexorable. "Avec la
succession des alternances, des cohabitations et des gouvernements, face
aux attentes de plus en plus fortes de nos concitoyens, gouverner est
peut-être devenu plus difficile, mais grâce à nos institutions, aucun
chef de gouvernement n'a été dans l'impossibilité de conduire son
action. Les Français ne s'y trompent d'ailleurs pas, puisqu'ils
continuent à plébisciter les institutions de la Vème
République."
Et tandis que
Nicolas Sarkozy voit dans la dyarchie supposée un élément de
dysfonctionnement, l'ancien Premier ministre rappelle avec bon sens :
"Le rôle du Premier ministre relève plutôt de la mise en œuvre, il est
le chef des chantiers présidentiels, l'ingénieur du social, le
technicien des réformes, mais aussi le pédagogue des travaux en cours"
et de conclure plein de sagesse que "la Vème République a
permis la modernisation de notre démocratie, elle doit être préservée et
saluée." A bon entendeur, salut !
Ainsi, Nicolas
Sarkozy considère que l'Assemblée nationale "ne fait pas suffisamment
contrepoids au pouvoir exécutif".
Cette affirmation
n'a aucune assise rédactionnelle dans notre constitution.
Rien n'interdit au
Parlement de se cabrer face à l'exécutif(1).
Certes, le quinquennat semble lier, plus que jamais, les pouvoirs
législatif et exécutif. Mais l'esprit de nos institutions implique une
séparation des pouvoirs législatif et exécutif.
Au contraire, au
lieu de chambouler l'ordre des choses, il serait plus opportun de
rétablir la continuité de l'État en abolissant la juxtaposition actuelle
des mandats présidentiel et législatif.
L'argument avancé
par ceux qui ont favorisé le quinquennat (refus de la cohabitation) est
plus affaire de morale politique que de règle écrite.
François Fillon y
va de son couplet : "Qui au sommet de l'État est comptable de la
politique de la France ? Qui fait quoi ? Qui décide ? Qui assume ? Du
temps du général de Gaulle, ces questions ne se posaient pas… Et par
ailleurs, le septennat sacralisait la fonction présidentielle en la
plaçant au dessus des contingences…" En un mot, moralité politique
et septennat étaient les deux piliers de la responsabilité et de
l'engagement politique. Que ne revient-on pas aux fondamentaux ?
Aujourd'hui, qui
peut affirmer que la majorité législative se superpose assurément à la
majorité présidentielle grâce au quinquennat ? Personne. L'erreur
fondamentale a été d'accepter, en 1986, l'inacceptable : la
cohabitation.
Nicolas Sarkozy
poursuit : "Lorsque la constitution
fonctionne normalement, et l'on doit espérer que grâce au quinquennat,
tel sera désormais toujours le cas(2),
le Président de la République exerce le leadership de l'exécutif… C'est
lui qui détermine la politique de la Nation et dirige l'action d'un
gouvernement qu'il a entièrement composé".
Il ne fait
qu'enfoncer des portes ouvertes. La constitution de la Vème
République a donné au Président de la République le pouvoir de diriger
l'État. Ce n'est pas la mise en œuvre du quinquennat qui en est à
l'origine.
Par ailleurs,
limiter l'action du Chef de l'État à la seule détermination de la
politique de la Nation telle qu'elle s'exprime par le Premier ministre
qui l'a met en "musique", notamment lors de sa déclaration de politique
générale, est restrictif par rapports aux missions que la constitution
confère au Président de la République.
Le Président doit
aussi être un arbitre, veiller à la bonne application de la
constitution, mener une politique étrangère pour défendre les intérêts
de la France dans le monde et assurer l'intégrité du territoire en tant
que chef des armées.
Nicolas Sarkozy
souhaite que "le leadership présidentiel soit reconnu et assumé".
Soit, mais le respect de nos institutions actuelles le permet.
Qui peut penser
que le général de Gaulle, père de notre constitution, soit passé "à côté
de la plaque" pour affirmer la primauté présidentielle, notamment après
avoir mis en œuvre l'élection du Président au suffrage universel ?
Qui peut penser
que le général de Gaulle eut accepté de se laisser dicter ses actions ?
En fait, la réelle
portée de nos institutions est avant tout une affaire purement
politique : le texte donne les moyens, les élus, et notamment le
Président de la République, font le reste.
"Pour que
l'énergie présidentielle soit mise à agir et non pas à durer"
propose Nicolas Sarkozy.
Graver dans le
marbre constitutionnel la durée de l'exercice présidentiel d'un chef de
l'État est une folie anti-démocratique. Il appartient au peuple
souverain, en fonction des circonstances, de fixer lui-même les limites.
Pourquoi faut-il s'interdire le renouvellement de la confiance au-delà
de 10 ans ? Qui peut affirmer aujourd'hui que Nicolas Sarkozy, s'il
était élu en 2007, serait de facto inapte à assumer, une nouvelle fois,
et à jamais, les plus hautes fonctions de l'État si les Français le
souhaitent. Et le nombre de mandats des députés, sénateurs, maires, etc.
Nicolas Sarkozy
préconise une intervention du parlement pour les nominations importantes
(Conseil Constitutionnel, patrons des entreprises publiques…).
"Des auditions
devant les commissions compétentes des deux chambres… permettraient de
garantir la compétence, l'envergure et la hauteur de vue des personnes
proposées" précise –t-il.
Édouard Balladur
va dans le même sens : "S'agissant du
Conseil Constitutionnel(3),
et pour lui donner une autorité morale incontestable, il serait
souhaitable que le choix de ses membres fut validé à la majorité des
deux tiers par le parlement…"
Ces propos sont
particulièrement désobligeants pour tous ceux qui ont nommé les actuels
détenteurs de ces postes, mais aussi pour les nommés eux-mêmes, les
qualités escomptées n'étant, a priori, pas démontrées. Mais si l'on suit
plus loin la théorie Sarkosienne, peut-on faire confiance au Président
de la République qui nomme les ministres du gouvernement de la France ?
Ces désignations ne doivent-elle pas, elles aussi, faire l'objet d'une
telle procédure ? Alors, tout le monde pourra constater que le pouvoir
sera définitivement passé du gouvernement au Parlement, et du Parlement
aux partis politiques. Quelles garanties peut-on avoir que ces
nominations découlant de commissions seraient de bien meilleurs crus ?
Aucune.
Dans la situation
actuelle, notamment pour ce qui concerne les entreprises publiques, il y
a un lien fonctionnel entre le pouvoir exécutif et l'entreprise ; il est
donc essentiel que ces nominations interviennent en conseil des
ministres, comme c'est encore le cas aujourd'hui, assurant ainsi une
bonne relation entre la maîtrise d'ouvrage et le maître d'œuvre.
Les "Secrétaire
d'État, comme d'ailleurs les ministres, pourraient retrouver leur siège
au parlement s'ils venaient à quitter le gouvernement" préconise
Nicolas Sarkozy à l'écoute d'Éric Woerth, trésorier de l'UMP et député
de l'Oise qui l'a proposé.
C'est l'apothéose
! Être Ministre du gouvernement de la France n'est plus une mission.
Encore moins l'honneur de servir son pays. Être ministre devient un
maillon de la carrière que beaucoup veulent construire à des fins
personnelles. On entre et on sort du gouvernement suivant les désirs et
les besoins de chacun. La pression des partis devient de plus en plus
forte ; c'est le régime des partis. Ce n'est même plus la 6ème
République, c'est le retour de la 4ème. Dans de telles
conditions, la solidarité gouvernementale bien peu respectée aujourd'hui
(C'est pourtant une caractéristique essentielle de l'esprit de nos
institutions !) n'existera plus. Au moindre "coup de blues", le
gouvernement deviendra un véritable panier à crabes. C'est tout le
contraire du bon sens et de ce que souhaite la très grande majorité de
nos concitoyens.
"Il faut donc
lisser le financement des partis politiques dans le temps et donner à
l'opposition parlementaire des moyens de fonctionnement comparables à
ceux de la majorité."
La question qu'il
faut poser en premier lieu à Nicolas Sarkozy concerne la délimitation de
la majorité et de l'opposition.
Est-il par nature
interdit de concevoir des majorités (donc des oppositions) à géométrie
variable en fonction des dossiers et des problèmes à régler ?
Penser que l'on
peut gouverner la France en s'affranchissant de cette possibilité est
une erreur politique. Il est vrai que le politiquement correct encourage
ce classement factice gauche-droite. Pourtant les dernières
consultations, notamment le référendum du 29 mai 2005, ont montré que
les Français refusaient ce "communautarisme politique".
Quelle est la
majorité aujourd'hui ? L'UMP, ou ceux qui ont dit Non à 55% (dont une
partie non négligeable des électeurs UMP) ?
L'UMP, ou l'UMPS ? L'UMP seule ou
avec l'UDF de François Bayrou ?
L'article
49.3
"Je pense
qu'une solution moderne et équilibrée serait d'en limiter l'usage à des
circonstances exceptionnelles, voire de le supprimer…"
avance-t-il comme solution, laissant entendre que Dominique de Villepin
aurait mieux fait de s'en dispenser pour faire passer le CPE.
Certes, l'abus
d'utilisation du 49.3 est préjudiciable à l'établissement d'un climat
politique serein. Mais le gouvernement doit décider. C'est sa mission.
Supprimer cette possibilité est une proposition de plus dans le lot des
mesures tendant à étouffer le gouvernement au profit des partis
politiques. La bonne solution "moderne et équilibrée" pour
reprendre les termes choisis de Nicolas Sarkozy appartient plus aux
Hommes qu'aux textes.
"Enfin, notre
démocratie gagnerait à permettre à nos compatriotes qui voteront en
faveurs des partis protestataires d'être représentés au parlement".
Nicolas Sarkozy
développe ici l'argumentaire facile pour ne pas dire simpliste de
beaucoup de partis. Cette proposition d'instiller une part de
proportionnelle pour l'élection des députés lui permet aussi, et
surtout, de ratisser large pendant la période électorale qui s'ouvre.
Mais l'émiettement
qui s'ensuivrait est en totale contradiction avec le vœu qu'il émet plus
haut d'identifier majorité et opposition(s).
Prise
individuellement, chaque mesure proposée par Nicolas Sarkozy ne semble
pas représenter une menace pour la démocratie. Globalement, ces mesures
ouvrent le chemin à une république différente. Il s'en défend. Il
affirme haut et fort qu'il n'est nullement question de changer de
république. Certains parlent de 6ème République ! En vérité,
il s'agit bien d'un retour aux "délices de la 4ème
République" avec son cortège de va-et-vient entre parlement et
gouvernement, avec un Président qui ne fait que présider ou "inaugurer
les chrysanthèmes".
Certains parmi nos
leaders politiques, s'il en existe encore, argumentent le besoin de
changer nos institutions par référence à ce qui se fait ailleurs,
notamment en Europe ou aux États-Unis : il faut s'aligner clament-t-ils
de concert. La France est la seule à avoir une constitution spécifique.
Et alors ?
L'État, peut-il
encore, à lui seul, définir l'intérêt général ? La question mérite
d'être posée dans notre République décentralisée. Par ailleurs, le
niveau de formation de la population et le développement des moyens de
communication, donnent aux citoyens une faculté de critiques élevé qui
se traduit par une revendication très légitime de plus de démocratie.
Il convient, plus
que chambouler les institutions, de créer les conditions d'une meilleure
participation des Français aux décisions qui les concernent directement
en instituant le référendum d'initiative populaire, sans mettre en cause
le référendum tel que nous le connaissons aujourd'hui, et d'inviter les
forces vives de la Nation à s'investir dans la préparation du travail
législatif en réformant le Sénat comme l'avait proposé le général de
Gaulle en 1969.
Les
propositions du président actuel de l'UMP et candidat à la
présidentielle n'ont qu'un seul but : mettre un terme à la Vème
République. Les choses étant si limpides, il s'agit maintenant de les
combattre publiquement et avec ardeur.
Alain KERHERVÉ
Il
l'a fait en 1962, même contre le général de Gaulle qui proposa, après
l'attentat du Petit Clamart, l'élection du Président de la République au
suffrage universel. Le 5 octobre, une motion de censure a été votée par
l'Assemblée (280 pour, 200 contre) Face à cette crise, le Chef de l'État
a dissout l'assemblée et le peuple a tranché en donnant raison au
Général (Référendum du 28 octobre).
[3]
NDLR. Le Conseil Constitutionnel est composé de 9 membres renouvelés par
tiers tous les 3 ans. Ils sont nommés : 3 par le Président de la
République, 3 par le Président de l'Assemblée Nationale, 3 par celui du
Sénat.
En sus des 9 membres, font de droit parti à vie du Conseil
Constitutionnel les anciens Présidents de la République (C'est le cas de
Valéry Giscard D'Estaing).
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